LIBERTE POLITIQUE n° 40, printemps 2008.
Par Lionel Devic. Deux décisions du rapport Attali préconisent d' accorder une plus grande autonomie aux établissements primaires et secondaires dans le choix de leurs professeurs notamment, et de permettre aux parents de choisir librement le lieu de scolarisation de leurs enfants .
BIEN QU'UN PEU VITE RECOUVERT par le flot de l'actualité boursière et bancaire, le rapport remis le 23 janvier dernier par Jacques Attali au président de la République continue à susciter des remous. Vaniteusement présenté par son auteur comme un tout devant être transposé sans discussions en textes légaux et règlementaires, le rapport révèle au lecteur — et au chrétien en particulier — 316 décisions , parmi lesquelles le pire côtoie le meilleur.
À cet égard, il est effectivement souhaitable que certaines mesures, comme celle relative à l'ouverture des magasins le dimanche, finissent aux oubliettes.
Mais au titre du meilleur, l'observateur attaché à la liberté scolaire ne peut que se féliciter des recommandations de la Commission Attali. Cette commission hétéroclite, chargée de formuler des propositions pour créer et favoriser la croissance, préconise, dans le domaine de l'éducation qu'elle place au premier plan, une révolution salutaire. Révolution, qui pour une fois, est susceptible de profiter non seulement aux parents, professeurs et directeurs d'établissements, mais surtout aux enfants et à la France.
À notre sens, les deux propositions les plus remarquables dans ce domaine sont celles qui consistent, d'une part, à accorder une plus grande autonomie aux établissements primaires et secondaires dans le choix de leurs professeurs notamment et, d'autre part, à permettre aux parents de choisir librement le lieu de scolarisation de leurs enfants .
À noter qu'il s'agit là de deux mesures qui, jusqu'au 23 janvier 2008, étaient davantage portées par les droites dites libérales et nationales que par le reste de la classe politique. En France du moins, car à l'étranger, ces sujets ne sont pas abordés en termes partisans.
Que préconise le rapport ?
Il est appréciable de voir la question éducative mise au premier rang des priorités ; le bilan négatif de la situation de l'éducation en France, et le constat d'échec édifiant auquel se livre le rapport, mettent bien en évidence les défaillances du système actuel ; fondamentalement, créer les conditions de la croissance implique nécessairement d'accorder la première place à la réforme de notre système éducatif gravement inadapté.
Dans un premier chapitre ( Au commencement, le savoir ), le rapport assigne aux décisions qu'il recommande dans ce domaine la promotion d'une éducation qui forme des générations créatives et confiantes .
Pour y parvenir, il est proposé notamment (décision 4) de redonner aux chefs d'établissement primaires et secondaires une plus grande autonomie. Ainsi, une liste de recrutement national constituant un vivier doit être établie, dans laquelle les établissements puiseront pour embaucher leurs professeurs. Cette autonomie permettrait aussi, en motivant les enseignants, d'encourager la nouveauté en matière de réussite scolaire, alors que le pilotage actuel des enseignements, trop centralisé et tatillon, leur ôte beaucoup de possibilités de s'approprier leurs cours et d'adapter la pédagogie aux besoins spécifiques des élèves.
En outre, partant du constat de l'inadaptation de la carte scolaire, le rapport précise (décision 6) qu'il faut permettre, dans un premier temps, un libre choix total de l'établissement par les parents et les élèves, qui pourront tenir compte de l'évaluation publique des établissements. En cas de demande excédentaire pour un établissement, des priorités transparentes, géographiques et sociales, seront établies.
Des droits à l'école seront attribués à chaque enfant et utilisables dans toutes les écoles : ce dispositif permettra d'établir une véritable liberté de choix, pour que chacun puisse bénéficier dans son voisinage d'écoles publiques et privées conventionnées. En pratique, l'État affectera aux parents une somme d'argent par élève. Chaque parent pourra l'utiliser dans un établissement public ou privé de son choix. Le conventionnement des écoles privées devra être très strict sur la nature des enseignements et le respect des valeurs de la République.
Les parents pourront ainsi bénéficier d'une totale liberté de choix de l'établissement et profiteront de ce financement quel que soit leur choix. La Suède utilise déjà ce système efficacement.
Enfin, dans un autre chapitre relatif à la mobilité sociale , le rapport demande (décision 153) de permettre l'installation d'établissements privés conventionnés dans les quartiers (comprendre : les banlieues difficiles) ; ainsi, comme s'il s'agissait d'une mesure de tempérament de la décision 6 précitée, il est précisé que l'autorisation d'ouverture d'établissements privés dans ces zones devrait pouvoir déroger aux restrictions nationales . En outre (cf. supra), il est proposé de permettre, dans un premier temps à titre expérimental, comme en Suède, l'installation dans les quartiers défavorisés d'établissements privés conventionnés, en accordant à chaque famille un financement global par élève, laissant aux parents la liberté de le dépenser dans l'école de leur choix, privée ou publique. Cela permettra, sans dépense budgétaire particulière, d'assurer une véritable égalité de traitement entre enfants de tous les milieux.
Recommandations lourdes de menaces ?
À notre connaissance, les principales critiques formulées à l'encontre de ces recommandations sont venues non seulement des défenseurs radicaux du système actuel (cf. notamment communiqué de la FSU du 23 janvier 2008) mais aussi de certains partisans attachés à la liberté scolaire d'une façon générale, et aux écoles hors contrat en particulier (en référence notamment à leur dimension catholique ou aux pédagogies alternatives qu'elles développent).
Si les critiques des premiers ne sont guère étonnantes et ne justifient pas que l'on s'y attarde, celles des seconds méritent davantage d'attention, même si elles concernent surtout la question du coupon scolaire (et non celle de l'autonomie des établissements) et l'abordent essentiellement sous l'angle de la défense des établissements libres et indépendants.
En effet, à certains égards, les mesures préconisées par le rapport Attali (l'instauration de droits à l'école ) pourraient avoir des incidences néfastes sur les libertés scolaires effectives ; le coupon scolaire donné à chaque parents pour chaque enfant ne pourrait pas être utilisés pour une école qui ne serait pas habilitée à le recevoir, c'est-à-dire qui ne serait ni publique ni conventionnée. Les droits à l'école ne s'appliqueraient donc pas aux enfants dont les parents feraient le choix d'une école non conventionnée. Par conséquent, un tel choix reviendrait, pour les parents, à gâcher les droits à l'école de leurs enfants ; psychologiquement, l'existence de ces droits à l'école rendrait donc plus difficile la décision de sortir du cadre public ou conventionné.
En outre, faute d'information suffisante dans le rapport, il est effectivement possible de s'interroger plus largement sur le sort des établissements sous contrat actuels : le contrat sera-t-il automatiquement remplacé par une convention nouveau modèle ? Que restera-t-il du caractère propre , c'est-à-dire du caractère catholique de l'établissement, dès lors que ce conventionnement devra être très strict sur la nature des enseignements et le respect des valeurs de la République , au nombre desquelles Jacques Attali précise oralement qu'il y a la laïcité ?
Par exemple, les catholiques attachés au développement d'un souffle apostolique plus grand au sein des établissements d'enseignement catholique, et à une identité plus marquée de ces derniers, doivent-ils donc craindre une limitation accrue de leur liberté ? Par ailleurs, que signifient ces restrictions nationales auxquelles la décision 153 fait allusion ? Faut-il comprendre que le contingentement du privé à 20 % des effectifs serait maintenu ? Enfin, faut-il craindre une instauration timide du bon scolaire, limité dans un premier temps aux seules banlieues difficiles ? (à propos de ces dernières, il semble que la proposition 153 fasse écho au souhait qu'avaient émis des responsables de l'Enseignement catholique quant à la possibilité d'ouvrir de nouveaux établissements dans ces quartiers).
Enfin, la référence au modèle suédois (que cite le rapport), dans lequel la liberté des chefs d'établissements semble assez réduite tant pour choisir les élèves que pour exiger de ces derniers et de leurs parents l'adhésion à un projet d'établissement identifié (chrétien par exemple) ne constitue-t-elle pas une menace pour l'identité catholique des établissements français sous contrat ?
Ces interrogations nous semblent légitimes ; elles sont le reflet d'une analyse attentive et prudente des propositions du rapport Attali. En matière d'éducation, les discours anticléricaux refont vite surface, et la tentation de négliger la liberté des parents et des professeurs est toujours vivace.
Faut-il pour autant lancer l'anathème sur les mesures préconisées par le rapport, en insistant sur les éventuels aspects négatifs de ces recommandations ? N'est-ce pas prendre le risque de mélanger sa voix à celles des jacobins et des idéologues co-gestionnaires du Mammouth , et de voir s'éloigner la perspective d'aboutir (enfin !) à l'instauration du bon scolaire ?
Le risque évident d'une telle attitude est de conduire les défenseurs de la liberté scolaire à baisser les bras et à considérer en définitive qu'il n'y a rien de bon à attendre de ce rapport. Est-ce conforme à l'espérance ou à l'état d'esprit qui doit habiter les personnes impliquées dans la promotion de choix politiques ?
Anticiper et saisir cette opportunité
Croire que ces propositions du rapport Attali peuvent contribuer à une juste réforme du système d'enseignement français relève-t-il d'un optimisme exagéré ? La plus discrète des trois vertus théologales ne doit-elle pas au contraire conduire à profiter de la force de ces propositions — et de leur dimension révolutionnaire — pour imaginer les voies et moyens nécessaires pour pousser l'avantage le plus loin possible dans le sens d'une véritable liberté scolaire ?
En premier lieu, il faut observer que le rapport ne dit pas que l'enseignement hors contrat — espace de liberté (onéreuse !) que d'autres pays ne connaissent pas — serait supprimé. En fait, sa situation juridique ne changerait pas de ce qu'elle est aujourd'hui. L'existence de l'enseignement hors contrat (les écoles indépendantes) s'appuie sur un droit constitutionnel, reconnu par la Déclaration universelle et la Convention européenne des droits de l'homme, qui semble bien difficile à supprimer. L'idée d'instaurer le bon scolaire constitue en lui-même une révolution très satisfaisante, même si elle ne s'accompagne d'aucun bénéfice particulier — ni d'aucun inconvénient supplémentaire — pour le hors contrat.
En deuxième lieu, le rapport évoque les établissements conventionnés , et non plus seulement ceux sous contrat ; sauf à n'accorder que peu d'importance au sens des mots, le juriste notera que le contrat appartient à la catégorie plus large des conventions. Faut-il y voir, malgré la mention d'un conventionnement strict, le signe d'une modification, dans un sens plus libéral, de la nature des rapports qui pourraient exister à l'avenir entre l'État et les établissements d'enseignement privés actuellement sous contrat ?
À cet égard, il est intéressant de constater que le jour même où Jacques Attali rendait son rapport, Éric de Labarre, secrétaire général de l'Enseignement catholique, exprimait, lors du congrès du SNCEEL (Syndicat national des chefs d'établissements d'enseignement libre) son souhait de revoir les relations contractuelles existant entre l'Enseignement catholique et l'État : Association ne signifie pas assimilation. Nous souhaitons un enseignement catholique contractualisé, pas un enseignement catholique administré. Le caractère propre des établissements catholiques ne doit pas être une ligne de défense que l'enseignement catholique aurait construite pour contenir l'intervention de l'État . Il a par ailleurs annoncé qu'un groupe de travail autonomie et contrat a été mis en place en vue de parvenir à la rédaction d'un document de référence sur les obligations des établissements .
Dans ce domaine, la meilleure défense n'est-elle pas d'anticiper et de proposer des solutions ? D'ailleurs, Éric de Labarre n'avait-il pas annoncé il y a quelques mois sa volonté de permettre à l'enseignement catholique de redécouvrir ses espaces de liberté ? Ne faut-il pas saisir cette opportunité du rapport Attali pour agir en amont, en assouplissant et libérant les critères permettant l'accès à ce conventionnement ? Les promoteurs de la liberté scolaire ont donc la responsabilité de faire en sorte d'être au cœur du processus législatif qui conduira éventuellement à l'adoption des conclusions du rapport.
Ils devront faire preuve d'imagination pour profiter des espaces qui s'ouvrent et s'appuyer tant sur les pasteurs conscients de leurs responsabilité dans ce domaine que sur les laïcs, catholiques ou non, convaincus de la nécessité de favoriser la mise en œuvre du principe de subsidiarité dans ce domaine.
Comme la Congrégation pour l'éducation catholique l'a rappelé, n'oublions pas que l'école catholique est appelée à un courageux renouvellement. L'héritage précieux d'une longue expérience séculaire manifeste, en effet, sa propre vitalité surtout dans la capacité d'une sage innovation. Il est tellement nécessaire qu'aujourd'hui encore l'école catholique sache se proposer de manière efficace, convaincante et actuelle. Il ne s'agit pas de simple adaptation, mais d'élan missionnaire: c'est le devoir fondamental de l'évangélisation, d'aller là où est l'homme pour qu'il accueille le don du salut .
Quant au critère de laïcité, il y a la conception de Jacques Attali, d'une part, et la conception de Nicolas Sarkozy, d'autre part.
La première semble être le reflet d'une vision étriquée ; mais est-elle encore crédible ?
La seconde en revanche, qui se veut positive , va dans le sens d'un progrès remarqué et devrait permettre aux établissements catholiques d'affirmer davantage leur identité, notamment dans le futur cadre conventionné . En effet, il semble – surtout dans les discours pour l'instant (cf. discours du Latran et note 5) – que l'exercice d'une activité publique confessionnelle (comme peut l'être l'activité d'enseignement) ne soit plus nécessairement considérée comme une atteinte au principe de laïcité. C'est à cette seconde conception de la laïcité que les catholiques attachés à la promotion d'une véritable liberté scolaire pourront opportunément se référer, en prenant le chef de l'État au mot.
On notera avec satisfaction que dans son discours en réponse à celui de Jacques Attali, le président de la République s'est réjoui de voir la liberté faire son entrée dans le domaine de l'éducation : Aujourd'hui cela progresse, c'est une évidence. Mais d'une manière générale, toutes vos propositions qui mettent en avant le libre choix, la liberté individuelle, me semblent parfaitement légitimes.
Enfin, s'agissant de la référence au système suédois, les craintes légitimes dont nous nous sommes fait l'écho doivent être tempérées par les conclusions que l'on peut tirer de la comparaison de la situation respective de la Suède et de la France. Chez cette dernière, l'histoire et l'état des forces en présence (et notamment l'importance numérique de l'Enseignement catholique, dont profitent plus ou moins discrètement nombre de laïcs ), offrent à ceux qui le veulent les moyens d'éviter les défauts du système nordique.
Puissent les hommes de bonne volonté — et les chrétiens en particulier — être suffisamment nombreux, dans les prochains mois, à rappeler comme l'Église au législateur que le rapport correct entre l'État et toute école — pas seulement catholique — se pose non pas tant à partir des relations institutionnelles qu'à partir du droit de la personne à recevoir une éducation adéquate selon son libre choix. Droit auquel on répond selon le principe de subsidiarité. En effet, les pouvoirs publics, dont le rôle est de protéger et de défendre les libertés des citoyens, doivent veiller à la justice distributive en répartissant l'aide des fonds publics de telle sorte que les parents puissent jouir d'une authentique liberté dans le choix de l'école de leurs enfants selon leur conscience.
C'est dans le cadre non seulement de la proclamation formelle de ce droit fondamental de l'homme, mais aussi de son exercice effectif, que se pose, en certains pays, le problème crucial de la reconnaissance juridique et financière de l'école qui n'est pas école d'État. Nous faisons nôtre le souhait de Jean-Paul II pour que l'on parvienne enfin à réaliser, pour les écoles qui ne sont pas écoles d'État, une vraie égalité, qui soit en même temps respectueuse de leur projet éducatif.
L. D.*
* Avocat.