JUSQU'A SON EXTREME FIN, le comte de Paris, disparu le 19 juin dernier, a conservé le souci du bien commun, je peux en témoigner. Pour les besoins d'une étude biographique et politique sur sa longue existence (1908-1999), je l'ai rencontré longuement durant les derniers mois de sa vie.
Je ne chercherai pas ici à trancher des vertus ou des faiblesses de l'homme privé, ce n'en est pas l'occasion. On glose sur la gestion de sa fortune. Je n'ai aucune information sur la manière dont Monseigneur en a disposé : ne m'intéresse que le prince, homme public, soucieux de l'intérêt de la France. On me permettra seulement de reproduire ici ce que le comte de Paris me disait de l'argent : " L'argent libère, aide parfois à faire le bien. Les moyens que j'ai eus n'ont jamais servi qu'à mon indépendance. Voyez, je ne vis pas dans le luxe. " Autour de lui, le cadre sobre et confortable d'un haut fonctionnaire retraité, sans fortune.
Le bien de la France, dont le Prince me parlait encore au téléphone le 11 juin, huit jour avant sa disparition, nous avait conduits à évoquer le naufrage des institutions actuelles de la République. L'un comme l'autre, nous l'avions remarqué : Paris n'a guère pavoisé en 1998, à l'occasion du quarantième anniversaire de la constitution de la Ve République.
Motif ? L'échec. Parlant de la situation politique en France, Jean Dutourd, jadis gaulliste, eut alors ce mot : " C'est la IVe en pire, la IVe avec la durée ! " Solide, la Constitution ? Par elle, de Gaulle entendait que " la République puisse demeurer forte, ordonnée, continue ". Pour Alain Peyrefitte, elle " fait du temps l'allié des dirigeants français ", à condition, " qu'en soit conservé l'esprit ", que " l'Élysée ne forme pas un supergouvernement occulte, dont les compétences sont d'autant plus envahissantes qu'elles ne sont pas définies ". Charge antimitterrandienne, le propos est de 1992. La dérive était antérieure : " Permettre que les grandes décisions qui commandent l'avenir se prennent à Matignon et non à l'Élysée, avait dit Georges Pompidou, cela voudrait dire à brève échéance que l'Assemblée reprendrait le dessus . " Régime d'assemblée, ou régime présidentiel ? Alternative alarmante. Le président issu d'un parti est dans la mêlée, il n'y a plus d'arbitre au sommet : " Dans l'esprit des hommes de la Ve République, les pouvoirs sont de nouveau confondus, et les partis ont repris leurs jeux, avec pour but la domination de l'État . "
" La Constitution doit être élastique ", disait le Général . Nommera-t-on " souplesse " qu'elle puisse être déformée, jusqu'à être méconnaissable, suivant le titulaire de la présidence et la configuration politique du pays ? Fâcheuse " souplesse " pour une loi fondamentale ! Il suffit de constater que ce texte a condamné le monarque républicain, deux ans après son élection, à partager le pouvoir avec son principal adversaire. Cette dyarchie au sommet de l'État est une absurdité. Si la dérive présidentialiste n'est plus à craindre, où est donc passé le président, garant de la continuité ? Il est entre deux chaises, entre deux sièges : celui qu'il a emporté en 1995 et celui qu'il aimerait recouvrer, en 2002. Il temporise, laisse aller son Premier ministre et rival, attendant de ses erreurs qu'elles lui rendent l'avantage perdu en juin 1997. Dévalorisé par une défaite qui sonna comme un désaveu, condamné au silence, sauf à paraître partisan s'il s'en prend à l'action de son Premier ministre. Il est plus mal en point que Louis XI à Péronne ; c'est le roi de Bourges, avant la venue de Jeanne : sa légitimité est douteuse.
On a pu se féliciter que " la Constitution n'eût plus d'adversaires ". Chez les professionnels de la chose publique, certes ; le citoyen lambda, républicain d'habitude, est, je crois, indifférent à la Constitution. Au vrai, les Français incompétents ne saisissent pas l'étendue du mal, ils n'en diagnostiquent pas l'origine. Les questions constitutionnelles sont épineuses, on ne mesure leurs effets qu'à terme. Selon le texte de 1958 modifié 1962, l'arbitrage à échéances régulières du suffrage universel devait assurer au gouvernement stabilité, au chef de l'État, une incontestable légitimité. Prévoyait-il que le même suffrage universel pût assurer la nécessaire stabilité de l'un au prix de l'indispensable légitimité de l'autre ? " On ne fondera jamais l'unité nationale sur l'opinion moyenne des hommes moyens ", a dit Bernanos . Pour l'heure, le suffrage universel est d'autant moins ciment d'unité, que, déficient arbitre, il est condamné à attendre la fin de la partie. La Constitution n'est pas souple, faute d'un processus automatique d'arbitrage, sinon d'un arbitre. Le temps devait être son allié, il la tétanise. La machine bloque, installe le trouble, laisse libre cours à l'initiative illégitime des factions, et, quand viennent les échéances, les passions se déchaînent, ou éclate le dégoût.
En France, depuis deux siècles, on n'a pas piétiné moins de quinze constitutions ! " La France serait-elle la seule démocratie de l'Occident où l'enjeu permanent des batailles politiques soit, non le gouvernement, mais l'État ? Les États-Unis, la Grande Bretagne, la Belgique n'ont jamais eu qu'une Constitution, écrite ou non écrite . " L'amendement constitutionnel de 1962 devait permettre," l'accord direct entre le peuple et celui qui a la charge de le conduire devenu, selon de Gaulle, dans les temps modernes, essentiel à la République ". Il n'en a rien été. Sinon, comment les Français se satisferaient-ils de la dyarchie — ce jeu sans arbitre, cette guerre d'usure, où il n'y a qu'un perdant, la France, divisée contre elle-même ?
Les Français ont rejeté le régime d'impuissance
Le comte de Paris n'a cessé d'observer la France. Tout le confortait dans la conviction que " le dialogue est le contraire de la polémique, qu'on rassemble les peuples pour quelque chose et non contre quelqu'un ". Il revendiquait " l'exemple des monarques qui, pendant un millénaire, apprirent aux Français à se rassembler et à s'aimer ". Sa conception de la démocratie n'avait rien de technocratique : c'est une manière de vivre libre et responsable, pas une machine de gouvernement. Il souscrivait à cette description : " Un système stable d'autogestion effective, et non le bavardage satisfait d'individus grassement payés qui se retranchent dans leur parlement . " Le prince récusait " palabres ou forums idéologiques ", en appellait à " l'engagement de tous, et non de quelques groupes privilégiés, sans lequel l'autorité sera sans appui et la liberté sans objet ". Surtout, écrivait-il, " il ne peut y avoir de démocratie sans acceptation d'une échelle de valeurs extérieures et supérieures à l'homme, d'essence religieuse . " Il savait avec le Psalmiste que " si Yaveh ne garde la ville, en vain la garde veille ".
Très vite, il a vu la fragilité des institutions de la Ve République.
En 1958, pourtant, il a salué avec chaleur la victoire du " oui " : " Les Français ont rejeté le régime de division et d'impuissance. " Il formulait toutefois une réserve : " Le maintien des partis sous leur forme ancienne, avec leur même idéologie, leurs mêmes méthodes . " Il n'avait pas ménagé son engagement. De Gaulle s'en félicita : " Il a donné un coup de main à la France, il a placé le débat à sa véritable hauteur . " En 1959, l'enthousiasme du prince tiédit : " Les Français avaient cru [conférer] aux pouvoirs la durée, l'autorité, la continuité. Se seraient-ils trompés ? Les rumeurs de complots, les " affaires " font de nouveau surgir le doute . "
C'est dans l'espoir d'appuyer la " légitimité nouvelle " qu'en 1962, le comte de Paris approuve le projet d'élection du président de la République au suffrage universel. " Le successeur du général de Gaulle ne pourra préserver l'État et la nation des assauts [des ressentiments de toute nature], que s'il tient du peuple lui-même son mandat et son crédit . " " La clé de voûte de nos institutions ", disait de Gaulle. Le Capétien ne croit pas aux textes miraculeux. La même année, lors des élections législatives anticipées, il met en garde : " Pour donner son plein sens au vocable démocratie, il convient surtout que le terme signifie l'engagement de tous, et non de quelques groupes privilégiés, politiques ou de pression, dans la construction de l'avenir. Sans ce dialogue, sans cette communication permanente que le général de Gaulle veut établir entre les Français et l'État, l'autorité sera sans appui et la liberté sans objet . " Autant dire que si les Français ne sont pas touchés par la grâce — l'amour de la France —, les institutions demeureront une coquille creuse.
En 1964, le comte de Paris pressent la faillite . " La foi du général de Gaulle dans les destinées de la France, son exemple, son style, son symbolisme devraient élever les regards, vivifier les volontés . " De Gaulle a su s'inscrire dans la lignée des champions de la patrie, avec lesquels l'histoire devient légende et se fait grâce. Le prince garde l'espoir, pour l'immédiat. L'après-de Gaulle l'inquiète. " De nos institutions il ne restera rien, la stratégie de presque tous les états majors des partis conduit à la division des Français en deux blocs hostiles. L'opposition des mystiques, la rivalité des politiques redeviendront vite forcenées. Tout ce qui a été fait de grand et de fécond l'a été par l'effort d'une nation rassemblée autour d'une volonté politique déterminée et cohérente, s'élevant sur de larges assises où elle trouve stabilité, force et puissance. " La volonté d'un homme, ciment de l'unité ? Pas sûr. Les souverains élus ont toujours été contestés : rois de Pologne, empereurs, papes mêmes, malgré la confiance affichée par l'Église en l'Esprit-Saint ! Tout cela Henri d'Orléans le sait.
En 1965, au lendemain de la première élection du président de la République au suffrage universel, le prince paraît recouvrer l'espérance . " En dépit d'une coalition hétéroclite, confuse, où les haines et les politiques se sont secondées dans le seul dessein de détruire nos institutions, le général de Gaulle vient de se voir reconduire dans sa tâche et cette tâche lui fait l'obligation d'assurer et de rendre irréversible une politique qui interdise aux ambitions partisanes et aux extrémismes de tous bords de reprendre jamais possession de l'État pour le disloquer, de la France, pour l'aliéner. S'offre à la France une voie qui peut paraître étroite, exigeante, mais qui plus que jamais, demeure notre vérité politique. "
Relisons l'acte de foi prononcé, en novembre 1947 : " Par vocation royale, autant que par expérience, je préfère aux rassemblements de fanatiques autour d'un homme, le ralliement à une sage politique de ceux qui veulent raison garder, et à l'enthousiasme frénétique des foules pour quelque sauveur providentiel, j'oppose l'attachement raisonnable d'un peuple à ses institutions . " Dans cette perspective, le prince admoneste la formation politique — le " relais parlementaire " — qui soutient le président : " Si elle ne veut pas sombrer, après le MRP, après le RPF, dans le fractionnement, la brigue et le reniement, [elle] devra être plus essentiellement animée par une volonté de réunir les Français et, surtout, par l'idéal de service. " Le prince péchait-il par optimisme ? Il énonçait la condition sine qua non. De Gaulle lui-même avait dit, en 1963 : " L'État doit échapper aux partis, y compris le parti gaulliste ! " Il avait déjà dit à Bayeux, en 1946 : " Il est de l'essence même de la démocratie que les opinions s'efforcent par le suffrage d'orienter l'action publique. Mais aussi tous les principes et toutes les expériences exigent que, au-dessus des contingences politiques, soit établi un arbitrage national qui fasse valoir la continuité au milieu des combinaisons. " De Gaulle et le comte de Paris parlaient la même langue.
Où trouver l'arbitre " qui fasse valoir la continuité au milieu des combinaisons " ? De Gaulle l'a dit : " Que le président soit l'expression directe de la volonté populaire, si l'on ne veut pas qu'il soit contesté dès sa prise de fonction . " Illusion : les élections législatives de 1967 montrent que les espoirs fondés sur une monarchie républicaine aux vertus arbitrales ont vécu. Le prince parle de " retour de la"guerre civile froide" ". En fait, pour lui, " depuis 1965, chaque consultation nationale exprime la division de la France en deux camps irréductiblement antagonistes " ; les Français ne se sont pas convertis à l'amendement gaullien qu'ils ont approuvé. La perspective salvatrice, formulée de façon trop exclusivement juridique, était par trop idéale ! Lui manquait cette dimension affective qui fait les attachements durables. La politique, en France, est redevenue l'enjeu des passions manichéennes et spéculatives !
Le dernier Bulletin mensuel d'information du Bureau politique de Mgr le comte de Paris qui paraît le 18 janvier 1967 , s'achève sur un pressant appel : " Nous disons, une fois encore, la dernière, que, de ces subterfuges et de ces divisions artificielles, rien de bon ne sortira. " Le prince baisse-t-il les bras ? Il ne veut pas s'opposer à de Gaulle et lui écrit : " Comme je n'ai aucun goût pour l'opposition, je m'abstiendrai désormais de me manifester. Ce n'est pas sans tristesse que j'interromps une œuvre que j'avais vouée au service de mon pays . " Pourquoi s'opposerait-il ? Parce que de Gaulle a cessé d'être la garant de l'unité. Le prince qui pendant la guerre n'a pas rejoint de Gaulle, afin de ne pas " épouser ses querelles ", risquer de rentrer en France " sous la tutelle de l'étranger " , écrira, en 1994 : " Le général de Gaulle fut monarque de 1958 à 1965 ; il n'avait pas d'héritier, mais un héritier présomptif, le comte de Paris. De 1965 à 1969, le général de Gaulle fut un homme de parti, de la droite, et ses héritiers étaient innombrables . " Jean Tulard, qui connaissait bien le prince est encore plus net : " Une restauration par ses soins devenait difficile . " " Je me suis tu, devait me dire le prince, pour ne pas compromettre la monarchie. "
Le spectacle, en effet, est désolant : " L'actuelle majorité par son comportement et ses déclarations donne des institutions une interprétation qui lui est propre et tend à les accommoder à ses meilleures convenances. La minorité s'attaque au pouvoir personnel, en se proposant, en cas de victoire, de contraindre le président de la République à se soumettre ou à se démettre. Les hommes de la Ve République ont oublié que l'esprit de la Constitution nouvelle consiste, tout en gardant un Parlement législatif, à faire en sorte que le pouvoir ne soit plus la chose des partisans . " Sur tous ces points, les événements, depuis trente ans, n'ont cessé de lui donner raison.
On lit cette analyse sous la plume du prince, dans sa Lettre aux Français, de 1983 : " Quelle que soit l'admiration que l'on éprouve pour le général de Gaulle, force est de reconnaître que son effort institutionnel a en partie échoué, avant même qu'il ait quitté les affaires. Pour le régime, le ballottage aux élections présidentielles de 1965 fut l'écueil, imprévu, difficilement contourné, qui provoqua non le naufrage, mais une lente dérive. Avant 1965, le Général avait des fidèles qui le suivaient. Il eut ensuite besoin d'un parti qui obéissait à sa logique propre. On sait que celle-ci n'est pas le service de l'État, qu'elle ne favorise pas le bien commun, mais tend à la domination des intérêts particuliers . " Quelques mois plus tôt, le prince, dans une Note sur la situation politique de la France visant à alerter le général de Gaulle sur les dangers de la nouvelle perspective institutionnelle, écrivait : " Après huit ans de pouvoir, le "gaullisme" ne dispose ni d'une organisation sérieuse, ni d'hommes, ni de femmes, ni de jeunes, ni de presse, aucune vie nouvelle n'a été créée, les anciens partis ont gardé leur puissance, parce que rien n'a été tenté pour reconstituer le tissu social et politique de la nation . " Il rappelait que " quelle que soit leur valeur, les institutions ne sont qu'un squelette sans chair et sans âme ". Le naufrage de l'œuvre gaullienne est écrit, fatal, inéluctable.
Élections et mouvements passionnels divisent
" Les capétiens ont installé au sommet [de l'État] un système qui ne permettait ni à l'élection ni aux mouvements passionnels de diviser la tête et de la séparer de la nation . " Comment nos rois ont-ils fait pour régner, avec tant de succès et pendant tant de temps ? La religion du prince est faite depuis longtemps. Il y a peu à changer à ce qu'il écrivait, en 1947-1948 : comme en cette période où les factions légales se disputaient le pays en ruine, en quête les unes et les autres d'une légitimité qu'aucune ne détenait, la légitimité se cherche toujours en France. En 1962, de Gaulle disait : " Si mon successeur reçoit le sacre du suffrage universel, c'est la seule chance qu'il n'esquive pas le devoir de porter à bout de bras la nation . " " La seule chance... " : que d'incertitude !
Celui qui pensait incarner la légitimité française depuis juin 1940 — y compris pendant la période 1946-1958 —, savait mieux que quiconque comme celle-ci s'était perdue, depuis que, par haine de Dieu, une poignée d'activistes avait bousculé l'ordre national et chrétien, en 1789, au bénéfice du chimérique amour universel d'un homme " normalisé ". Taine a stigmatisé le réductionnisme révolutionnaire qui " saisit aisément la qualité d'homme ", mais " a oublié que sa notion sommaire ne correspond qu'à un très mince extrait de l'homme total ". Conséquence de cet humanisme sans humanité ? " Tout et tous aimer : geste contradictoire et faux, qui ne conduit qu'à n'aimer rien . " L'universalisme libertaire à la française ouvre les portes à tous les égoïsmes et dilue le lien social. Le prince selon lequel " le mot fin n'a pas de sens pour le message évangélique ", proposait de mettre un terme à la misère morale où une folie présomptueuse a plongé la France. Par quelle voie ? Si " la tradition récente asservit le présent au passé " et " ravive les passions qui divisent, la tradition profonde relie le passé, non au présent, mais à l'avenir ".
Après une rupture de cent cinquante ans
L'esquisse de sa " constitution monarchique et démocratique " qu'il a publiée en 1948 renoue avec l'ère de la légitimité . Abstraction faite d'une part de son argumentation trop événementielle, aujourd'hui obsolète, l'exposé des motifs du projet demeure valide . Le prince condamne " la nocivité du régime d'assemblée ", " la dépendance [où] les intérêts particuliers tiennent l'État, alors que seule la monarchie sauvegarderait son indépendance ". " Le salut de la France, déclare-t-il, dépend de cet arbitrage. " Il se dit l'adversaire " du régime où l'argent commande aux hommes, autre forme de dictature ". " Les alliés naturels de ce régime ? [...] Le peuple, les humbles, les opprimés aveuglés par un enseignement injuste. Après une rupture de cent cinquante ans, le pays ne conçoit pas les bienfaits du loyalisme, de cette affection, de cette confiance réciproque du peuple et du roi. "
Il faut réapprendre la France aux Français, l'intérêt commun. La redécouverte de la monarchie les y aidera. La République a dressé d'elle un portrait abominable : " La IIIe République, disait de Gaulle, vous croyez qu'elle se serait enracinée, si elle n'avait pas pris en main les écoles, les lycées, l'université, les manuels d'histoire, la plupart des journaux ? La gauche, les francs-maçons, les syndicats, les hussards noirs ont fait pénétrer opiniâtrement l'idée qu'il n'y avait pas d'autre régime possible que la République, que tout adversaire du régime était un mauvais Français . " Les Français auraient-ils cessé d'aimer assez leur pays, parce qu'on a dénaturé jusqu'à l'horreur l'image de son passé ? Et on continue : en 1995, un ancien président du Conseil constitutionnel, déclare : " La nation française est née avec la déclaration des droits de l'homme . " La République est fondée sur le mensonge idéologique. Et la monarchie capétienne ? " Hugues Capet et ses descendants, hissés sur le pavois par les grands barons, s'empressèrent d'organiser et de soutenir les Communes ; par ce subtile dégagement, ils fondaient l'avenir de la Monarchie sur la reconnaissance et le loyalisme populaires . "
Pour Bernanos, " un roi n'est que le premier serviteur du peuple, le protecteur naturel du peuple contre les puissantes oligarchies, il est le droit du peuple incarné ". En 1789, les Cahiers de doléances ne comportaient pas un mot qui fût dirigé contre le roi, considéré comme le " défenseur de la chose publique et des choses privées ". Ainsi en va-t-il depuis l'assemblée de Senlis, en 987 : " De génération en génération, ce contrat fut reconduit du consentement général que traduisait à chaque sacre l'acclamation populaire . " Sous Louis XVI, que de témoignages d'amour pour le roi ! Voyez en quels termes ce marchand — un réformé de vingt ans — condamne la tyrannie de... l'empereur de Chine : " S'il était le père bien-aimé de ses sujets, s'il était Henri IV, Louis XVI, ils pourraient avoir chez eux son portrait, image toujours chère quand elle représente un prince qui fait le bonheur de ceux qui l'ont pour maître . " Chacun connaît Louis XII, pour qui " le roi de France avait oublié les querelles du duc d'Orléans ", et qui était dit " le père du peuple ". Louis XVI se voulait tel, qui, en septembre 1789, écrivit à son frère, Artois : " Vous parlez de courage, de résistance aux projets des factieux, vous n'êtes pas roi ! Le Ciel, en me plaçant sur le trône, m'a donné les sentiments d'un bon père. " Le comte de Paris définit la monarchie comme " une affaire de famille entre le peuple et son souverain " ; elle est " surtout la justice et l'arbitrage. Elle apporte dans l'État plus d'autorité, ne serait-ce qu'en lui fournissant la durée et la continuité. Qui fait de la monarchie le système politique autoritaire par excellence, perd de vue la justice. Il n'y a pas d'autorité sans justice, de justice sans amour. Du peuple au roi, du roi au peuple ".
Le prince qui se défend de faire des propositions " utopiques ou chimériques, démagogiques ou sibyllines ", affirme vouloir faire " œuvre pragmatique ", en annonçant " les grandes lignes de ce que pourrait être la Constitution d'une véritable démocratie française ". Il invite le pays à " y réfléchir ". Vaine proposition, en 1999 ? Ne serions-nous plus en quête de " l'équilibre que la nation recherche depuis deux siècles, allant tour à tour, dans un balancement cynique, de l'anarchie à la tyrannie, de l'autoritarisme à l'impuissance, dans un effort désespéré de conciliation de la Justice et de l'Ordre " ? Le prince pose la question : " La démocratie parlementaire est-elle condamnable en soi, inapplicable en France ou seulement mal "interprétée" dans notre pays ? " Elle fonctionne ailleurs. " Le Français n'est pas d'une essence si particulière qu'un système pratiqué par des millions d'Européens ne lui soit point applicable. " Alors ? " Lui ont manqué, d'une part, l'éducation politique et le civisme, des plus humbles électeurs aux dirigeants de la nation, d'autre part une balance des pouvoirs équilibrant les organes politiques chargés d'exprimer les intérêts particuliers et ceux chargés de défendre les intérêts permanents du pays ". Analyse limpide : il n'existe pas de " bons citoyens " français — de la base au sommet. Cette carence civique suscite quelques questions. 1/ Le mensonge républicain qui a suffi à détourner le citoyen de la France monarchique, n'aurait donc pas réussi à lui faire aimer la République ? 2/ La même incertitude, au sein du personnel dirigeant, aurait-elle tué la notion de " service " ? 3/ Ne serait-ce pas la précarité congénitale du régime qui lui interdit toute forme d'arbitrage serein ? 4/ Ne suffirait-il pas à la France de retrouver un arbitre aimé d'elle, pour que les Français aiment à nouveau assez leur patrie, pour lui concéder quelque abnégation ? " C'est pour répondre aux déficiences de la structure politique française, tout en conservant le régime représentatif qui, seul, permet la libre expression des familles spirituelles, que j'ai songé à proposer deux contrepoids au système parlementaire tel qu'il fonctionne. " Ces amendements demeurent valides pour la Constitution de 1958, ils poussent à son terme utile la réforme gaullienne de 1962.
Projet constitutionnel
La constitution serait maintenue en vigueur mais elle serait modifiée sur les points en contradiction avec les propositions ci-dessous :
Législatif
1/ Le pouvoir législatif appartient à une assemblée élue au suffrage universel.
2/ Les conditions d'éligibilité, le régime des incompatibilités, les modalités du scrutin etc., sont déterminés par des textes particuliers.
3/ L'Assemblée nationale vote les lois, soit qu'elle en prenne l'initiative, soit qu'elle en soit saisie en projet par le gouvernement, ou par le conseil économique.
4/ Les lois votées par l'assemblée sont transmises au Grand Conseil pour que leur soient données les suites qu'elles comportent. La compétence de l'Assemblée s'étend à tout ce qui relève actuellement du pouvoir législatif à l'exclusion de l'administration de la Justice.
Exécutif
1/ Le pouvoir exécutif est chargé de l'application des lois. Il est exercé par le Conseil des ministres, par les administrations centrales, départementales et communales.
2/ Le président du Conseil et les ministres sont responsables devant le pays et devant l'Assemblée nationale. Le Conseil des ministres comprend : le président du Conseil désigné par le roi, les ministres et le directeur du Contrôle général choisi par le président du Conseil.
3/ La direction du Contrôle général est créée auprès de la présidence du Conseil pour surveiller l'exécution de la loi du budget.
4/ Le secrétaire d'État à la Chancellerie, garde des Sceaux, chef de la justice, est choisi par le roi. Il assiste aux réunions du Conseil des ministres.
5/ Dans chaque département ministériel, un secrétaire général assure la régularité du fonctionnement administratif des services et la liaison entre les directions.
6/ Les membres du Conseil des ministres ont accès aux assemblées et à leurs commissions. Ils peuvent s'y faire représenter par des commissaires désignés par le président du Conseil.
7/ Le roi peut toujours appeler auprès de lui le président et les membres du Conseil des ministres pour leur communiquer un message ou recevoir d'eux toutes informations.
8/ Le président du Conseil nomme les hauts fonctionnaires qui participent au pouvoir exécutif notamment les directeurs des administrations centrales, les préfets, les recteurs des universités etc., avec le contreseing du ministre intéressé.
Conflits et arbitrages
1/ Grand Conseil
Ce Grand Conseil est composé de trente membres environ qui pourraient être désignés, partie par le roi, partie par les délégués du peuple et l'Assemblée, partie par les grands corps de la nation.
Ces conseillers participent au fonctionnement des institutions du Royaume, transmettent au roi pour promulgation les lois votées par l'Assemblée, donnent au roi des avis sur ce qu'ils jugent à propos et procèdent aux études dont le roi peut les charger.
La fonction de conseiller est incompatible avec tout autre emploi public ou privé, toute autre fonction rémunérée ou honorifique.
Le Grand Conseil concourt au règlement des conflits entre le gouvernement et l'Assemblée en organisant une procédure de référendum devant les délégués du peuple dans les cas prévus par la constitution.
Il peut également proposer au roi, à l'occasion de lois votées par l'Assemblée, une consultation des délégués du peuple.
2/ Délégués du peuple
Ils sont chargés d'exprimer l'opinion du peuple particulièrement en cas de conflit entre les pouvoirs publics.
Les délégués du peuple sont élus au suffrage universel par un collège électoral dont l'assise territoriale sera suivant la densité de la population, la commune, le canton, ou partie de l'un ou de l'autre. Ils sont élus au scrutin majoritaire uninominal à un tour.
Ils ne sont jamais réunis en assemblée. Ils sont consultés tous en même temps mais votent individuellement sans se réunir.
L'opinion exprimée par ces délégués permet de vérifier si, en présence de certaines situations déterminées par la loi constitutionnelle, l'action politique de l'assemblée et du gouvernement demeure en accord avec la volonté du pays.
Les délégués du peuple sont élus pour six ans, renouvelables par tiers tous les deux ans. La responsabilité politique qui leur incombe, le prestige attaché à leurs fonctions, les informations objectives dont le Grand Conseil devra les pourvoir sur les sujets dont ils auront à juger, tous ces éléments devront concourir à les élever au-dessus de la notion des intérêts personnels pour faire d'eux de véritables élites politiques.
3/ Mécanisme des arbitrages et référendums
Premier cas — lorsque le gouvernement est mis en minorité sur la question de confiance , le président du Conseil offre sa démission au roi. Le Grand Conseil en est saisi. S'il est d'accord, la démission du cabinet est acceptée. Sinon il propose au roi de procéder à la consultation des délégués du peuple. Si le roi ordonne cette consultation, celle-ci a lieu dans un délai déterminé, et le cabinet assure l'expédition des affaires courantes. Si le vote des délégués est contraire aux décisions de l'Assemblée, celle-ci est dissoute, et on procède dans un délai déterminé à de nouvelles élections.
Deuxième cas — lorsque le Grand Conseil est saisi par l'Assemblée d'une mesure législative pour la présenter à la promulgation, s'il estime que celle-ci engage gravement l'avenir du pays, soit en raison de sa nature, soit par suite des circonstances, il en fait rapport au roi pour que sa promulgation soit différée, et propose d'en saisir le pays par la voie du référendum des délégués du peuple. Si le roi ne retient pas cette proposition, la loi est promulguée. Si, au contraire, le référendum a lieu et approuve la loi, celle-ci est promulguée ; s'il la rejette, la loi est renvoyée à l'Assemblée nationale pour être discutée à nouveau.
La nouvelle loi est soumise une seconde fois au référendum. Si celui-ci aboutit à un nouveau rejet, l'Assemblée est dissoute et il est procédé à de nouvelles élections.
Justice
La justice du roi est la garantie suprême de la liberté des personnes. Le principe de l' habeas corpus est inscrit dans la constitution. En conséquence, toute personne, le détenu ou un tiers, peut, par requête d' habeas corpus demander au secrétaire d'État à la Chancellerie ou à tout magistrat d'ordonner la comparution du détenu à une date déterminée devant les tribunaux qui décideront, soit sa mise en liberté, soit si la détention est légale, son jugement rapide.
Le droit de justice est la prérogative essentielle de la monarchie. Toute justice émane du roi soit qu'il la rende lui-même soit qu'il en délègue l'exercice. La justice est rendue au nom du roi. Le souverain possède le droit d'évocation .
Le roi nomme le secrétaire d'État à la Chancellerie garde des Sceaux, responsable devant lui seul ; il nomme les magistrats sur proposition du secrétaire d'État.
Celui-ci est assisté d'un Conseil supérieur de la magistrature qu'il préside, composé comme suit : le secrétaire général du département de la Justice, vice-président ; le premier président de la cour de cassation et le procureur général près ladite cour ; huit magistrats élus pour six ans, et huit suppléants représentant chacune des catégories de magistrats, dans les conditions prévues par la loi. Les décisions sont prises à la majorité des suffrages. Le Conseil supérieur de la magistrature assure la discipline des magistrats et leur indépendance. Il participe à l'administration des tribunaux judiciaires. Les magistrats du siège sont inamovibles.
Le souverain
Le roi règne, juge et arbitre. Il représente la France. Il incarne la nation et symbolise la continuité et la permanence de la patrie. Il est à ce titre l'arbitre et le justicier ainsi que le fondement de l'autorité et du pouvoir. Il promulgue les lois votées par l'Assemblée, soit après le vote, soit après consultation des délégués du peuple. Il règle l'organisation et l'administration du département de la Justice. Il exerce le droit de grâce et accorde l'amnistie.
Le roi signe et ratifie les traités. Il ne peut déclarer la guerre sans un vote de l'Assemblée entériné par le Grand Conseil. Le roi désigne le président du Conseil des ministres. À l'occasion d'une crise ministérielle ou du vote d'un texte législatif, il peut, sur proposition du Grand Conseil, faire procéder à une consultation des délégués du peuple .
Vox Populi
L'esprit qui a suggéré cette esquisse n'a pas vieilli. " La France trouverait le point d'équilibre où son goût de la liberté ne nuirait plus à la sagesse politique, si, d'une part, les Français parvenaient à concilier demain l'expression de souveraineté populaire par l'Assemblée avec celle des délégués du peuple vivant constamment auprès des gens ; et d'autre part, si les Français parvenaient également à équilibrer cette double expression de la volonté populaire avec celle des intérêts supérieurs et permanents du pays par un organe approprié . " Que la constitution permette à une Assemblée de légiférer sous le contrôle du peuple ; au gouvernement de gouverner sous le contrôle de l'Assemblée, protégé de ses entraînements par un automatisme constitutionnel. Le prince s'en explique, en trois points :
1/ " Pour associer plus étroitement le peuple aux décisions politiques, pour vérifier que l'Assemblée nationale traduise en permanence l'état de l'opinion publique je souhaiterais qu'à l'exemple de la Suisse, on recourût au référendum. Le référendum direct possible en Suisse, est peu maniable avec 25 millions (38, en 1999) d'électeurs, aussi pourrait-on lui substituer un référendum auprès des délégués du peuple élus au suffrage universel, dans de très petites circonscriptions. Ces mandataires de la nation appelés à se prononcer sur certaines lois essentielles, participeraient étroitement aux activités politiques nationales en demeurant en contact permanent avec leurs commettants ; ils seraient l'intermédiaire nécessaire entre le bon sens populaire et les entraînements passionnels ou partisans des assemblées élues. "
Ces délégués du peuple sont des États généraux mobilisables en permanence, propres à encadrer, réduire et désamorcer les effets pervers de la " démocratie partisane " des professionnels de la chose publique. En proposant la désignation de ces élites d'un nouveau genre dans le Royaume restauré, le prince répondait d'avance au processus de désaffection des électeurs pour leurs élus : face à cette lassitude on a vu, sous Giscard, sous Mitterrand, les élus de tous niveaux chercher à s'adjoindre des " personnalités de la société civile ". Les élus doutaient-ils de leur propre compétence ? Il y a des fonctionnaires techniciens pour les suppléer. S'ils appellent sur eux le crédit d'hommes de valeur reconnue, c'est qu'ils commencent à prendre conscience des limites de leur légitimité d'élus du nombre. Ils ont été désignés par le suffrage universel, mais, outre que cette base s'amenuise, ils sentent que cette désignation arithmétique ne suffit plus au peuple. Le citoyen qui vote de moins en moins, ne dissimule pas son goût pour les personnalités non élues dont l'autorité s'impose à lui. Je vois là la réhabilitation du notable, dont le poids ne se quantifie pas. Elle remet en cause le principe exclusif sur lequel des chimériques ont fondé la légitimité, depuis la proclamation de la règle un homme = un citoyen = une voix. La quantité rend d'elle-même des points à la qualité. Heureux et rassuré de voir dans les organes qui les dirigent des hommes qu'il estime d'instinct, le souverain populaire se montre ainsi prêt à admettre que toute légitimité, n'émane pas de lui. Cette ouverture du citoyen à la compétence qu'il préfère à la brigue légale, permet d'augurer des aménagements mentaux qui prépareront la voie aux amendements constitutionnels les plus hardis dont ceux du comte de Paris sont le plus bel exemple. Revenons aux éclaircissements du prince.
2/ Il suggère de " placer à l'autre extrémité du système, auprès de l'État, alors que le délégué du peuple l'est auprès du citoyen, un organisme qui par sa structure et sa composition soit l'interprète autorisé, indiscutable des intérêts permanents du pays. Ce Grand Conseil serait en quelque sorte le conseil des sages du Royaume : plaque tournante entre l'assemblée législative, l'exécutif, le souverain et le peuple. Il faudrait que ses membres, peu nombreux, fussent parfaitement indépendants : l'inamovibilité, ainsi que le mode de leur désignation devraient y contribuer ".
Ne faudrait-il pas, pour qu'ils soient indépendants des partis, que les membres du Grand Conseil n'aient jamais été parlementaires ? Dans le même esprit de prudente indépendance, leur nomination, par l'Assemblée s'impose-t-elle ? Qui les grands corps nommeront-ils ? Des personnalités issues de leurs rangs, des personnalités " de la société civile " ? Des unes aux autres, il y a plus qu'une nuance. Un historien, un conseiller d'État, un ancien industriel, ne réagiront pas de la même façon devant les mêmes problèmes, ni devant la façon de les traiter. Le Grand Conseil, enfin, comptera-t-il des représentants des Églises, ou le Royaume restauré feindra-t-il d'ignorer, comme la République, que les Français ont une âme, chrétienne depuis quinze siècles ? Le capétien demeure le Très-Chrétien. " Entre le sacré et le profane une articulation politique est nécessaire qui ait par nature des appartenances dans les deux domaines. Une monarchie chrétienne par la tradition et la foi de son représentant me paraît la solution irremplaçable. L'adhésion personnelle du monarque à la foi chrétienne suffit à donner tous apaisements aux chrétiens. Par contre, le réalisme politique et l'identité des intérêts de la couronne et de ceux du pays seront, aux yeux des laïcs et des athées, la garantie de son respect de la liberté de conscience. D'ailleurs, pourquoi ne pas faire appel à l'histoire ? Les rois de France, étaient, à peu d'exceptions près, un ferme rempart contre l'ingérence de l'Église dans les affaires politiques du royaume . "
Avec l'éducation spécifique qu'a reçue le prince dynaste, afin de répondre pleinement à sa vocation royale — " ce n'est point pour lui-même que les dieux l'ont fait roi, disait Fénelon. C'est aux peuples qu'il doit tout son temps, tous ses soins, toute son affection, et il n'est digne de la royauté qu'autant qu'il s'oublie lui-même " — le Grand Conseil, placé auprès du souverain garantit que " celui qui incarne la nation ", quelles que soient ses facultés personnelles, remplira son rôle arbitral .
3/ Le roi, maillon d'une dynastie, est la négation du césarisme.
" Quant au souverain qui symbolise la Patrie dans sa permanence et sa durée, il est à ce titre l'arbitre, le justicier ainsi que le fondement de l'autorité et du Pouvoir. Si certains critiquent l'insuffisance de ses pouvoirs politiques, qu'ils n'oublient pas ceci ; la dynastie a le Temps pour elle et le Monarque s'il veut être l'arbitre ne peut pas gouverner. Si le peuple gouverne par ses représentants, il ne peut également rendre la justice sans risquer d'être tyrannique. Dans la symbiose peuple-monarque, si l'un gouverne par ses représentants, l'autre doit assumer le haut arbitrage et la justice. Lorsque cette division des tâches n'existe pas, on tombe dans la tyrannie et l'absolutisme. L'erreur de la dictature et l'erreur de la démocratie d'assemblée est la même : confondre tous les pouvoirs, toutes les fonctions, dans le premier cas sur un homme, dans le second sur une assemblée. "
La dictature et la démocratie d'assemblée interdisent toute " démocratie sociale ", à quoi participe toute la société, avec ses intérêts divers et complémentaires, et qui proscrit la démagogie. Le roi qui n'est pas élu, n'a nul souci partisan et ne peut en être soupçonné. Qui " est digne de la royauté ", est à l'écoute du peuple : qu'il dispose, à cette fin, d'un arsenal de moyens propre à le lui faire interroger, à tout moment, lui ou ses délégués et porte-parole.
Un césarisme sans César
Même si pour Henri d'Orléans, " la sombre grandeur de la Révolution ne peut être niée, ni la fascination durable qu'elle a exercée sur tant de peuples ", les deux derniers siècles erratiques qu'a connus la France au nom du progrès illusoire de ses libertés, militent dans le sens de la restauration d'une monarchie arbitrale. Le prince rappelait en 1948 " cette inéluctable pente de la démocratie formelle bourgeoise et parlementaire vers le césarisme ". Où est César ? Nous vivons en France " un césarisme sans César " — fantôme des erreurs passées, à la poursuite d'un état politique et social peuplé d'hommes réduits à un concept idéal et qui n'existent pas ! Le prince parlait " d'absolutisme intellectuel ", stigmatisait " le formalisme et l'esprit juridique de notre déformation intellectualiste " et en survolait les effets : " La première République envoie Louis XVI à l'échafaud pour se jeter six ans plus tard dans les bras de Napoléon. La deuxième République exile Louis-Philippe, et s'anéantit dans la dictature de Louis-Napoléon. La troisième République qui s'était bâtie sur une constitution monarchique, néglige de la couronner ; elle résiste soixante ans au destin commun, mais finit, dans l'adversité, par recourir d'abord aux décrets-lois , puis au pouvoir personnel . "
1948-1958, la chienlit de la IVe République : inutile de revenir sur cette période du " mal suprême, la déliquescence de l'Autorité ". 1958-1968, l'ère gaullienne est celle de la " légitimité partiellement retrouvée, et momentanément incarnée ", d'un ordre certain et du redressement national, liés à la personnalité de celui qui, " comme Louis XI rompit avec l'idéalisme moyenâgeux, en finit avec l'idéologie romantique ". La France est quelque peu revenue sur terre, et elle a repris pied dans le monde. 1968-1998, l'hystérésis de la brève période gaullienne — rémission dans la décadence — et lent retour à la chienlit, à l'injustice et à l'impuissance. On débouche sur l'aventure d'une Europe technocratique et arrogante, sans légitimité, face à laquelle le capétien invite les Français à se révolter bientôt , et sur un mondialisme devant quoi plient tous ceux que la France a élus, pour défendre son indépendance. En matière d'environnement, le président de la République ne souhaite-t-il pas voir " créer une autorité mondiale s'appuyant sur une convention générale qui doterait le monde d'une doctrine homogène " ? Combien rêvent de voir instituer une juridiction internationale dont ils ne semblent pas mesurer que sa jurisprudence mettrait un terme — " judiciaire " et conditionnel, bientôt juridique et immédiat — à toute authentique souveraineté ? Nos gouvernants n'ont qu'une hâte : que nous cessions d'être maîtres chez nous. Le " déséquilibre fondamental entre les nécessités politiques et les aspirations des citoyens ", le " martelage médiatique propre à triturer la cervelle des électeurs " concourent à l'avènement du pouvoir impersonnel d'un grand frère sans visage et omniprésent. " Des esprits libres ne peuvent admettre que l'enseignement répété de l'Histoire ne porte pas ses fruits . "
Leçons millénaires
Je parlais un jour avec Alain Peyrefitte des " modèles " de De Gaulle. À leur nombre, à côté de Sully, de Richelieu, le roi Philippe II Auguste, formidable homme d'action dont Henri d'Orléans était fondé à écrire, à l'âge de vingt ans, après une visite secrète à Bouvines : " L'évidence m'apparut comme lumineuse, en plein XXe siècle. La monarchie n'avait point d'autre assise que la volonté populaire. C'est du peuple qu'elle tenait sa légitimité. C'est seulement ensemble, d'accord, par-dessus les corps intermédiaires, les clans rivaux et les intérêts coalisés, que le peuple et le roi sont à jamais victorieux, évidents et sereins. Philippe-Auguste l'avait, une fois pour toutes, démontré . " Le fils de Louis VII était aussi l'ancêtre de la centralisation à la française. De Gaulle était dirigiste : " Plus on ira, plus le Plan s'emparera de tout. Il faut créer une mystique du Plan . " Dirigiste et républicain, jacobin. Charles de Gaulle prétendit " rendre à notre pays, d'après les leçons millénaires de la Maison de France, sa raison d'être, son rang et sa vocation universelle ", il n'a pas su, ou n'a pas osé choisir la clé de voûte qui convînt à nos institutions. Saint Louis n'était pas son modèle : " Sire, justice ! " a été, de siècle en siècle, le cri du peuple de France en détresse. De Gaulle mésestima le poids politique de la justice, qu'il concevait comme une " autorité ", non comme un " pouvoir ", au motif que le peuple souverain " n'élit pas les juges ". Celui qui était " républicain de raison " se refusa à bousculer un peu les " républicains d'habitude " et se montra plus pointilleux républicain qu'un " républicain de conviction ". Malheureux zèle du sceptique ! Il privait la nation de l'égide paternelle que, huit siècles durant, lui offrit la Maison de France et dont elle a le plus pressant besoin. Son roi élu n'en était pas un, il ne donne pas de chair au " squelette " institutionnel, la justice, dans l'État gaullien, ne tenait pas son rôle : pas de justice, partant pas d'amour. Vers qui le peuple en désarroi allait-il se tourner ?
Avec de Gaulle, homme d'action donc et cassant, on songe plutôt à Napoléon. À cette nuance près, qui lui donne un brevet certain de démocratie : la remise en jeu de son mandat à chaque échéance cruciale, et son départ, après le désaveu d'avril 1969. Efficacité sans lendemain. Le quitus est un mode de direction qui sied au monde des affaires, pas à une nation, autrement complexe, si on entend en préserver les forces vives. De Gaulle qui ne sut éviter de rompre avec le prince-arbitre, s'est posé en législateur malheureux, sa monarchie élective n'a pas de sens, elle ne peut être " une affaire de famille ". Le jacobin planifie, sans succès, la liberté, l'égalité et même la fraternité, cherche à les imposer ; le roi est équité, il rend à chacun son dû — tâche surhumaine qui requiert de lui qu'il connaisse son royaume et les hommes qui le peuplent, mieux que quiconque au monde. Quels voyageurs furent les capétiens ! Henri comte de Paris s'est souvenu de leur exemple ; ses Bulletins l'attestent.
Le jacobin est juge et partie, touche à tout, chimérique, il tyrannise et s'effondre — bien heureux quand ce n'est pas dans l'odieux et l'absurde ; le roi sonde la réalité des hommes pour rendre des arrêts difficiles : " Loin de déterminer la société, loin de prétendre la faire entrer dans le moule de son idéologie et de mesurer chaque homme à l'aune de sa propre "conception", le roi est celui qui a pour tâche de faire exister le lien social, de garantir la justice dans une société donnée et pour les hommes tels qu'ils sont . " Ce n'est pas le roi, selon le comte de Paris, qui comme Mitterrand en septembre 1981, eût menacé de " radicaliser " sa politique, si on ne se pliait pas à ses choix idéologiques. Le roi dure, de père en fils, tant que la folie ne s'empare pas de la nation, jusqu'à la pousser au parricide, donc au suicide.
Mgr le comte de Paris et moi bavardions. Il gardait l'esprit vif, une mémoire étonnante, le goût de la discussion. La confiance s'était tout de suite installée. Monseigneur demeurait à quatre-vingt-dix ans l'homme affable, le charmeur que décrivaient ses visiteurs, il y a plus de soixante ans. Son regard ne vous quittait jamais, il était toute attention. Surtout, il avait cette exquise courtoisie des grands seigneurs, qui veut que le visiteur prenne congé, enchanté de son hôte et de soi-même, tant le prince lui a fait sentir le prix qu'il attache à ses propos et à sa présence. L'essentiel de sa conviction, sur la question que je viens de survoler, tient en quelques phrases, qui valent toutes les dissertations politiques !
" Les institutions de la Ve République sont douteuses. Elles vivent sur cette réputation : "la monarchie élective", "la légitimité retrouvée grâce à l'œuvre du Général". C'est un leurre, il nuit à la renaissance de l'idée monarchique, la vraie, qui est tout d'arbitrage. Un élu ne peut pas être arbitre, puisqu'il s'appuie sur une partie seulement de l'opinion. Dire qu'il est l'élu de la nation parce qu'il est celui d'une majorité numérique, courte de surcroît, c'est une chimère, une vue de l'esprit — un système qui fait fi des réalités humaines. De Gaulle était tenté par l'idée monarchiste, mais il est resté au milieu du gué, avec sa monarchie élective, dont il a pu mesurer lui-même comme elle était vouée à l'échec. Il m'avait fait des promesses... A-t-il fait semblant ? S'est-il accroché à un pouvoir qui l'installait dans l'histoire ? Il avait dans le monde un renom extraordinaire, il a pesé sur le destin du monde. Mais il n'a pas fait autant pour la France qu'il a fait pour le monde. Qu'est-ce que c'était aussi que cette histoire de légitimité historique depuis 1940 ! Un conte pour militant, ou une manœuvre d'autosuggestion, qui a fait beaucoup de mal à l'unité française.
Il n'y a pas de démocratie possible sans un arbitre, libre de toute pression, informé sans relâche. Pas de démocratie sans justice, insistait le Prince. Par son indépendance de toute forme d'influence partisane, le roi est la justice. Le roi est indépendant de son état. Il lui faut pour asseoir ses jugements, une information sincère. La conviction m'en est venue, dès l'exil, à mesure que je recevais les visites innombrables de compatriotes qui me racontaient la France. Je leur dois l'idée des délégués du peuple. Aujourd'hui, il faut rechercher un nouveau relais entre le peuple et le pouvoir, pour renouer avec la réalité. La prudence commande de changer le système, dès qu'il se sclérose et engendre des féodalités. Quelques dizaines d'années, et on change, il faut éviter de s'installer dans un système. " " La révolution permanente ? " ai-je demandé, avec un sourire.
Le Prince a ri : " C'est ça ! Autour d'un pivot, la monarchie. "
X. W.