QUELLE SERA LA PLACE de notre Loi fondamentale à côté d'une " Constitution européenne " peut-être ratifiée, et donc applicable dès 2006 ? Est-elle destinée à entrer dans un quelconque musée de la République ? Dès lors, n'est-il pas contraire à la Constitution de ratifier ce traité qui la menace de disparition ?

La décision du Conseil du 19 novembre dernier répond à cette question.

 

Le Conseil rappelle l'article 3 de la DDHC de 1789 et l'article 3 de la Constitution de 1958 , pour affirmer le lien entre souveraineté et nation, et partant entre souveraineté nationale et suffrage populaire. Mais le préambule de 1946 est également rappelé : " La République française se conforme aux règles du droit public international " et " consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l'organisation et à la défense de la paix ", ainsi que l'article 88.1 du titre XV de la Constitution : " La République participe aux Communautés et à l'Union européenne constituées d'États qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d'exercer en commun certaines de leurs compétences. "

Pour le Conseil la conclusion s'impose donc, paradoxalement, plus encore qu'en 1992 : que l'on considère le nouveau traité comme un traité international qui organise un transfert de souveraineté ou qu'on le considère comme un pas supplémentaire dans la " participation aux Communautés et à l'Union européennes ", c'est bien la volonté nationale, exprimée à travers ses représentants et à travers le référendum qui autorise la France à le ratifier.

Cependant le Conseil n'en conclut pas pour autant à la primauté du droit communautaire sur le droit constitutionnel français. Bien que le futur traité inscrive noir sur blanc la primauté du droit de l'Union et de sa Constitution sur celui des États membres, le Conseil maintient le statu quo d'une hiérarchie des normes résolument nationale (I) et, s'il conclut à la compatibilité d'une Charte des droits fondamentaux intégrée au traité (II), il recense les nouveautés dans le fonctionnement futur de l'Union qui nécessitent la révision de notre constitution en discussion au Parlement (III).

 

 

 

I- IL N'Y A PAS EN EUROPE D'AUTRES CONSTITUTIONS QUE CELLES DES ÉTATS ET LA PRIMAUTE COMMUNAUTAIRE REPOSE SUR LA PRIMAUTE CONSTITUTIONNELLE

 

Le Conseil rappelle dès le début de sa décision que, lorsque " les engagements souscrits à cette fin contiennent une clause contraire à la Constitution " ou lorsque ces engagements remettent en cause les droits et libertés constitutionnellement garanties ou portent atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ", il faut réviser la Constitution au préalable... Il y a là comme trois verrous successifs qui résultent du choix déjà ancien du Conseil d'internaliser le droit communautaire en y conformant le plus possible notre Constitution, sans pour autant reconnaître sa primauté. Le nouveau traité met plus encore en relief le caractère paradoxal de cette prise de position intangible puisque, s'il faut en croire son titre, il " établit une Constitution pour l'Europe ". Cette position repose sur la conviction qu'il n'y a pas en Europe d'autres Constitutions que celles des États, parce que le futur texte n'est pas une Constitution (A) et que la future Union qu'il met en place n'aura toujours pas une compétence de droit commun qui lui conférerait une souveraineté interne pleine et entière (B).

 

A/ Ce texte n'est pas une Constitution au sens du droit public français

 

En effet, la procédure, qu'elle concerne l'entrée en vigueur, la révision, ou la dénonciation, est celle d'un traité, pas d'une Constitution, et parce que les État membres sont pour l'heure les seuls États souverains de l'organisation de l'Union européenne, cela laisse à cette dernière toutes les apparences d'une organisation internationale. Cependant, si l'on considère l'ampleur qu'a prise récemment la dévolution des pouvoirs " régaliens " aux organes décisionnels européens, il apparaît que si on n'est pas dans un État fédéral, et partant, pas dans un processus " constitutionnel " au sens du droit public français, on est du moins dans une marche, récemment accélérée, vers le fédéralisme. Ce système politique, revendiqué dans notre histoire aussi bien par la gauche que par la droite, par Proudhon que par Montesquieu, s'est matérialisé juridiquement, rappelons-le, dans les institutions américaines. Or elles aussi ont mis du temps à passer de la simple alliance à la fédération, et ce par agrégation progressive d'États nouveaux au fur et à mesure de leur conquête. Le texte soumis à l'examen du Conseil, s'il n'est pas encore une Constitution, est donc, politiquement, beaucoup plus qu'un traité.

Rappelons par ailleurs que le droit anglo-saxon a moins de scrupules que le nôtre à utiliser le terme " Constitution " dans une acception non formelle. Or même si c'est pour le déplorer, on ne peut que constater que la Commission se réserve le droit d'adopter une terminologie juridique d'outre-Manche voire d'outre-Atlantique. Ainsi en a-t-il été de la notion de " services économiques d'intérêt général ". Le terme a été préféré à celui de " service public " et ce n'est évidemment pas sans incidence sur le contenu même de la notion. Ainsi le terme " Constitution " peut il être utilisé ici non seulement en anticipation d'un futur fédéral à venir, mais parce que ce terme peut être usité dans une acception plus large que celle du droit public français.

Donc les structures fondamentales, politiques et constitutionnelles, et l'identité nationale des pays membres sont préservées.

Pour vider l'article I.6 de sa substance, le Conseil lui oppose l'article I.5 voisin, qui dispose que " l'Union respecte l'identité nationale de ses États membres inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles ". Certes, si elle les respecte, c'est qu'elles existent encore. Mais ce " respect " va-t-il jusqu'à accepter que les gardiens des structures fondamentales et politiques françaises considèrent le droit communautaire comme ayant, au même titre que les autres traités, une valeur supra-législative mais infra-constitutionnelle ? Cela peut-il être considéré comme une spécificité nationale ?

Si c'est bien le fond de la pensée de certains de nos " sages ", ils doivent cependant craindre que ce point de vue ne soit pas unanimement partagé, et avancent un second argument : la compétence de l'Union sera une compétence d'attribution et non de droit commun.

 

B/ L'Union n'a pas une compétence de droit commun

 

L'article 88.1 de notre Constitution parle de " compétences exercées en commun ". L'article I.1 du traité quant à lui dispose : " Inspirée par la volonté des citoyens et des États d'Europe de bâtir leur avenir commun, la présente Constitution établit l'Union européenne, à laquelle les États membres attribuent des compétences pour atteindre leurs objectifs communs ", et ajoute : " l'Union coordonne les politiques des États membres visant à atteindre ces objectifs et exerce sur le mode communautaire les compétences qu'ils lui attribuent ". Il faut remarquer que le texte initial était " transfèrent " et non " attribuent ", que le changement a été opéré en juin dernier, et qu'il y a plus qu'une nuance dans ce changement. Il implique que les États ne transfèrent pas une part de leur souveraineté comme cela reste le cas, aux termes du préambule de 1946, toujours en vigueur, pour les traités internationaux, mais qu'ils se servent de cette souveraineté pour attribuer des pouvoirs à une Union dont ils sont partie prenante.

Cet argument de la compétence d'attribution — et non générale — de l'Union auquel le Conseil aurait pu ajouter celle d'une compétence subsidiaire et proportionnée est intéressant car c'est proprement ce qui différencie cet " Objet juridique non identifié " d'une véritable fédération qui se fait confier toutes les compétences par les États auxquels elle les rétrocède et avec qui elle les partage. La subsidiarité et la proportionnalité sont du reste à nouveau très clairement définies et une référence est expressément faite au protocole de 1997 pour les modalités de son contrôle et de sa mise en œuvre. C'est cette nouveauté qui aura, effectivement, pour conséquence d'empêcher le processus " constituant " en cours de produire son plein effet juridique.

 

 

 

II- DES DROITS FONDAMENTAUX FRANCO-COMPATIBLES

 

La charte des droits fondamentaux est désormais, soumise au contrôle du Conseil puisqu'elle fait partie du traité. Cette deuxième partie de la décision du Conseil était très attendue car les avatars des relations entre le juge français et la CEDH laissaient craindre une incompatibilité entre certains des droits fondamentaux garantis par la Cour et le peu d'enthousiasme des juridictions françaises à les défendre. Allait-on être obligé, pour ratifier le texte communautaire, d'inscrire dans notre Constitution des clauses dérogatoires ?

Le Conseil apporte la réponse attendue en examinant successivement deux cas potentiellement litigieux : la liberté religieuse (A) et les droits des citoyens face à la justice (B).

 

A/ La liberté religieuse

 

Dans le considérant 18, le conseil examine la compatibilité avec la Constitution de l'article II 70 du traité qui " reconnaît le droit à chacun, individuellement ou collectivement, de manifester par ses pratiques, sa conviction religieuse en public ". Par chance pour la France, sur ce point, le præsidium de la Convention qui a rédigé la charte a précisé que le droit garanti par cet article avait le même sens et la même portée que celui garanti par l'article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, c'est-à-dire qu'il peut subir des restrictions tenant à la sécurité, l'ordre, la santé publiques, ce qui est classique, et même, c'est plus récent, au moins dans la formulation, à la " morale publique " ou à la " protection des droits et liberté d'autrui ".

La Cour européenne des droits de l'homme, dans sa récente décision Leyla Sahin c/ Turquie du 29 juin 2004, citée dans les visas de la décision, a par ailleurs jugé que l'application de ces droits devait se faire " en harmonie avec la tradition constitutionnelle de chaque État membre " en l'occurrence, concernant la Turquie avec le principe de " laïcité "... que chaque État pourra concilier avec la liberté de culte selon des modalités conformes à ses traditions.

Le conseil conclut qu'il n'y a pas d'incompatibilité entre la charte et l'article 1er de notre Constitution — " la France est une république laïque " — et en profite pour nous donner, en prime, une définition de la laïcité qui consisterait en une interdiction de " se prévaloir de ses croyances religieuses pour s'affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers "...

Voilà donc circonscrite la marge d'action des gouvernants : aucune interdiction " générale et absolue ", comme l'interdiction du port du voile dans la rue, mais des interdits possibles au sein de collectivités publiques, comme l'école, l'hôpital, etc. Et ce afin qu'il n'y ait pas de dérogation à la règle commune, que cette règle soit le port de l'uniforme, l'absence de couvre-chef ou la participation aux cours de gymnastique ou aux séances de piscine.

Mais bien des questions restent en suspens, car l'interprétation par le juge communautaire de la neutralité de l'État est différente de celle de la France et si les articles de la Constitution sur ce point sont succincts, il n'en va pas de même des lois ou des décrets. Mais il n'est pas de mon propos de traiter ici d'un thème où spécialistes des libertés publiques et administrativistes auront beaucoup à dire.

 

B/ Les droits des citoyens face à la justice

 

Deux de ces droits sont examinés par le Conseil : le droit au recours effectif à un tribunal impartial et la règle non bis in idem étendue à tout le territoire européen.

 

1/ Droit au recours effectif à un tribunal impartial

Dans les considérants 19 et 20, le Conseil examine l'art II 107 du traité qui dispose que " tout homme a droit au recours à un tribunal impartial ". Si le præsidium précise que, contrairement à l'art. 6 de la CEDH, ce droit s'applique dans tous les tribunaux et non seulement au civil et au pénal, en revanche il explique qu'il n'a pas pour conséquence d'imposer la publicité des audiences dans tous les cas, et qu'il restera possible d'interdire aussi bien la présence du public dans la salle d'audience que la publicité, notamment par voie de presse, quand la moralité, l'ordre public ou la sécurité nationale, l'imposeront ou même " quand il pourrait être porté atteinte aux intérêts de la justice ".

 

2/ La règle " non bis in idem "

De même, pour ce qui est de l'interprétation de l'article II 110 relatif à l'interdiction de rejuger dans un pays de l'Union de ce qui a déjà été jugé dans un autre pays de l'Union en matière pénale dès le moment ou le jugement a autorité de choses jugées... le præsidium a précisé que cela ne concernait pas les procédures administratives et disciplinaires et que cette interdiction ne joue que s'il y a " identité d'infraction " et non " identité de faits ", ce qui, d'après le Conseil constitutionnel, rendrait possible la poursuite et la répression sur notre territoire de crimes et délits portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation prévues au livre IV titre 1 du nouveau code pénal français, alors même que des faits identiques ont été jugés en étant qualifiés d'infractions de droit commun par les juridictions d'un autre État membre.

Là encore l'optimisme que les juristes français pourraient ressentir en lisant la présente décision pourra se trouver infirmé par les contentieux susceptibles de naître du fait d'une conception du fonctionnement de la justice très différente à Paris et à Luxembourg. Mais n'anticipons pas.

En somme, pour l'heure, la formulation des droits et donc le contenu de la charte peuvent se voir apposer le label " conforme à la Constitution ".

Mais il n'en va pas du tout de même pour la troisième partie du traité relatif aux politiques et au fonctionnement de l'Union.

 

 

 

III- UNE REVISION NECESSAIRE POUR LES FUTURS MECANISMES DE FONCTIONNEMENT DE L'UNION

 

Nous voici enfin à l'objet même de la décision : la recension par le Conseil des mesures du futur traité incompatibles avec la Constitution qui pose implicitement le contenu de la révision nécessaire.

En 1992 on avait procédé à un toilettage minimal de la Constitution. Ainsi par l'article 88-2 de sa Constitution, la France avait accepté des transferts de souveraineté nécessaires à l'établissement de l'Union économique et monétaire, ainsi que ceux nécessaires pour déterminer les règles relatives à la libre circulation des personnes ou celles relatives au mandat d'arrêt européen.

Cela sera insuffisant à l'avenir puisque le traité rend possible des transferts supplémentaires " affectant les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale " (A) ainsi que le contrôle de l'activité législative européenne par les parlements nationaux (B). Une révision sera donc nécessaire (C).

 

A/ Des transferts supplémentaires " affectant les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale "

 

Le Conseil vise dans sa décision trois cas précis d'extension possible des compétences de l'Union : celles qui résulteraient de l'application de la subsidiarité, celle qui résulteraient des modifications de procédure législative, et celles qui résulteraient des révisions constitutionnelles ou législatives par " clauses passerelles ".

 

1/ Ainsi qu'il le déclare dans le considérant 25, le Conseil est persuadé que le principe de subsidiarité de l'art I.11 ne suffira pas à protéger la France d'éventuelles atteintes à ces " conditions essentielles ". À juste titre, nous semble-t-il. On abondera même dans le sens de la décision qui souligne qu'il pourra en être le vecteur, dans la mesure où il fonctionne dans les deux sens : pour éviter que l'Union ne s'empare de domaines que les États peuvent parfaitement contrôler (subsidiarité " négative "), mais aussi pour qu'elle intervienne de manière quasi obligatoire quand les États sont jugés incompétents ou insuffisants (subsidiarité " positive "). Or les matières de souveraineté, en particulier la Défense ou la monnaie, pourraient relever facilement du deuxième cas. Un tempérament est à apporter cependant aux craintes du Conseil : le futur traité met en place diverses procédures très strictes et très élaborées de contrôle de la subsidiarité, ce qui réduit les risques d'un recours trop fréquent à des attributions supplémentaires de compétences.

 

2/ La règle de majorité qualifiée de l'art. I 25 au sein du conseil supplantera peu à peu celle de l'unanimité. Or cette loi de majorité permettra des transferts de compétences nouvelles non prévues par les précédents traités : contrôle aux frontières, coopération judiciaire en matière civile et pénale, et surtout création d'un " parquet européen " qui poursuivra les auteurs d'infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union jusque devant les juridictions nationales...

Elle sera aussi appliquée, aux termes du futur traité, à des compétences déjà transférées, mais jusqu'ici soumises à la règle de l'unanimité, notamment pour ce qui est d'Europol, Eurojust, ou des actions ou positions de l'Union relativement à la politique étrangère. La vigilance du Conseil s'étend aux procédures de " co-décision " du moins lorsqu'elles concernent la monnaie ou la justice — " matières essentielles " à la souveraineté —, notamment pour ce qui est des procédures permettant les " coopérations renforcées ". Enfin l'initiative des textes ouverte aux États membres devra désormais être une initiative conjointe d'un quart des États et non plus de chacun des États. Cette modification est ressentie par le Conseil comme une atteinte aux principes essentiels de la souveraineté de chaque État, et nécessite donc une révision constitutionnelle.

 

3/ Les " clauses passerelles " pour les lois et lois- cadres (qui vont remplacer les règlements et directives). Ces " clauses passerelles " permettront de réviser la procédure législative et de passer, en certaines matières, à des décisions prises, non plus à l'unanimité mais à la majorité qualifiée. Bien que la décision de révision de la procédure ne puisse être prise qu'à la suite d'un vote à l'unanimité, le Conseil considère que la révision ne pourra être contrôlée par les États quand elle se produira, car il n'y aura pas ratification ou approbation nationale. Il ne fait du reste que reprendre ici sa jurisprudence " traité d'Amsterdam " de 1997. Pour cette raison, il déclare ces mesures incompatibles avec notre Constitution telle qu'elle est aujourd'hui. Afin de justifier sa position, il insiste, dans le considérant 34, sur le fait que cela pourra concerner des domaines touchant de très près à la vie et aux droits des citoyens, puisque cela touchera aussi bien le droit de la famille ou les règles pénales que des décisions relatives à la politique étrangère et de sécurité.

En matière " constitutionnelle ", les " clauses passerelles " existeront aussi et pourront être utilisées pour la révision du traité. Ainsi que le rapporte le considérant 35, elle résulteront d'une initiative du Conseil européen qui autorisera le Conseil des ministres à ne pas utiliser les procédures de révision initialement prévues (unanimité ou procédure législative spéciale), et ce, en tous domaines sauf, tout de même, celui de la Défense. Là encore, la ratification nationale ne sera pas requise. Là encore, notre Constitution, en l'état, ne le permet pas. Le Conseil fait une exception pourtant pour les procédures de révision simplifiée des politiques et actions internes de l'Union, qui seront soumises à l'approbation ou à la ratification des États membres. Pour ce qui est de la France, l'article 53 de la Constitution s'appliquera, ce qui rend inutile une révision constitutionnelle sur ce point précis.

 

B/ Le contrôle par les Parlements nationaux de l'activité législative de l'Union

 

Le traité prévoit trois mécanismes de contrôle des activités législatives de l'Union par les États.

1/ Par l'article I.9, il institue une procédure d'alerte précoce d'un gouvernement et des institutions communautaires par un parlement qui provoquera un réexamen de la proposition de texte législatif de la Commission. Dans le considérant 37 à 41, le Conseil évoque aussi le futur article IV-444 qui permettra à un parlement national de s'opposer à un projet de révision du traité dans les six mois suivant la communication du texte par les autorités de l'Union. Si un seul parlement s'y oppose, la révision ne sera pas adoptée. Chaque parlement disposera donc d'un droit de veto.

2/ Veille parlementaire collective en matière de subsidiarité. Les parlements nationaux veilleront également au respect du principe de subsidiarité. Le futur article I.11§3 et les protocoles N° 2 — articles 6 et 7 et N° 1 — art. 3 — prévoient en effet que dans les six semaines de la transmission d'un projet d'acte, un parlement pourra adresser un avis motivé aux présidents de la Commission, du Parlement ou du Conseil. Si un quart ou un tiers — selon les matières — des voix des parlements nationaux sont de l'avis que la subsidiarité n'a pas été respectée (chaque parlement national disposant de deux voix), le projet sera réexaminé, puis maintenu, modifié, ou retiré.

3/ Saisine de la CJCE par les chambres des parlements nationaux et le comité des régions.

La Cour de justice pourra être également saisie par un État d'un recours en manquement pour violation du principe de subsidiarité contre un projet de texte provenant des institutions de l'Union. Le recours sera exercé par l'État mais " au nom de son parlement national ou d'une chambre de celui-ci " et " conformément à son ordre juridique " . Le Comité des régions pourra aussi agir contre les textes pour lesquels le traité a prévu une consultation du Comité des régions, à la demande, par exemple de régions dotées de compétences législatives.

 

C/ Une révision sera donc nécessaire

 

Le projet de révision constitutionnelle présenté le 4 janvier par le Premier ministre et le garde des Sceaux au nom du président de la République est " à deux vitesses ". Il permet, dans l'immédiat, à la France de " participer à l'Union européenne dans les conditions prévues par le traité établissant une Constitution pour l'Europe signé le 20 Octobre 2004 " en ajoutant un second alinéa à l'article le 88-1 pour le cas ou le traité serait ratifié. Il entérine également dès maintenant dans un article 88-5 la promesse faite par Jacques Chirac à propos de l'adhésion de la Turquie, que " tout projet de loi autorisant la ratification d'un traité relatif à l'adhésion d'un État à l'Union européenne est soumis au referendum par le président de la République ".

Ceci restera en l'état si le traité n'est pas ratifié. S'il l'est, l'article 3 du projet de loi dispose qu'" à l'entrée en vigueur du traité [...], le titre XV de la Constitution est remplacé par les dispositions suivantes " : suit le texte définitif de la révision, pudiquement appelée, il faut le noter, " modification du titre XV de la Constitution ". C'est sémantiquement et symboliquement très important, car cela reflète la position du Conseil constitutionnel : on ne révise pas notre Constitution pour l'adapter à un droit supérieur. On n'y touche pas, en réalité sauf en ce qui concerne la partie spécifiquement réservée à l'articulation droit national droit communautaire : le titre XV.

Par delà les changements formels ( les " Communautés européennes " disparaissent au bénéfice de la seule Union), la révision permet :

 

1/ D'abord d' élargir les compétences du Parlement. En l'état actuel de la Constitution, la seule compétence législative reconnue au parlement est le vote de la loi nationale, et le seul contrôle possible est celui de l'activité du gouvernement. Bien sûr, l'article 88-4, depuis 1992, permettait déjà au gouvernement de transmettre aux deux Chambres les " projets ou propositions d'actes de l'Union comportant des dispositions de nature législative " ainsi que " les autres propositions d'actes ainsi que tout document émanant d'une institution de l'Union européenne ". Mais cela ne débouchait que sur des " résolutions " exemptes d'effet juridique contraignant. Les futurs article 88.5 et 88.6 permettront une extension des pouvoirs du Parlement, et cette compétence est donnée à parts égales aux deux chambres — elles pourront, soit assortir une résolution d'un avis motivé sur la compatibilité d'un texte ou d'un acte de l'Union avec le principe de subsidiarité (et cet avis qui sera transmis par le président de l'Assemblée aux présidents du Parlement européen, de la Commission et du conseil), soit exercer directement un recours devant la CJCE, transmis cette fois par le gouvernement. Pour ce qui est des " clauses passerelles " permettant le passage a une procédure simplifiée d'adoption des textes, chacune des chambres disposera d'une sorte de motion de censure pouvant empêcher cette clause d'être adoptée.

Ces dispositions risquent de remettre en cause l'ensemble de notre hiérarchie des normes. Notre division loi/règlement tiendra-t-elle, en effet, s'il y a désormais des votes du Parlement sur des textes européens qui toucheront les deux domaines ? C'est sans doute pourquoi l'article 88-4 parlera non pas d'actes de l'Union européenne " comportant des dispositions de nature législative " mais " comportant des dispositions qui sont du domaine de la loi ", ce qui permettra des adaptations droit communautaire-droit national, le droit communautaire ne connaissant pas de loi " par nature "... et aboutira en pratique, comme la loi fédérale allemande dans son article 59, à assimiler les textes de droit communautaire à des lois ou à des actes administratifs selon leur objet d'après nos critères nationaux.

 

2/ Ensuite d'autoriser de nouvelles attributions de compétences à l'Union. Un bon indice sur l'évolution éventuelle du droit français sur le problème de la primauté du droit communautaire est le choix fait dans le projet de révision . Réviser ponctuellement la Constitution sur les points concernés par le futur traité, (comme on l'a fait pour le mandat d'arrêt européen à la suite de l'avis du CE du 26 sept 2002 par la loi du 17 mars 2003 ou comme en 1999 pour permettre la ratification du traité d'Amsterdam (article 88.2) ?) nous donnerait une " révision catalogue " qui pourrait bientôt rivaliser avec la Constitution américaine ... La décision du Conseil incitait plutôt à cette solution a minima, mais le réalisme du Conseil d'État et la détermination de l'exécutif à faire avancer l'intégration ont amené le premier ministre et le garde de sceaux à poser un principe général d'acceptation des " attributions de compétences " que déterminera le futur traité.

Cela tient en peu de mots, en fait ceux de l'article 88.1 auxquels on rajoutera simplement " dans les conditions fixées par le traité du 24 octobre ... " tandis qu'on gommera l'inutile " en vertu des traités qui les ont instituées " — et cela amène même à en supprimer, par exemple dans l'article 88.2 qui se voit amputé de ses deux premiers alinéa relatifs à L'UEM et aux règles de libre circulation des personnes dans l'article 88.2 pour ne garder que l'alinéa 3, du reste vidé de sa substance puisque la loi fixera toujours les règles relatives au mandat européen mais cette fois, clairement, en application des actes pris par les institutions de l'UE.

C'est ce type d'indice qui nous pousse à reconnaître, malgré les réticences du Conseil constitutionnel, que des instances communautaires vont être habilitées à créer un droit qui s'appliquera directement dans notre ordre interne, y compris dans les matières essentielles à la souveraineté, et que, donc, la primauté du droit communautaire, encore partielle, est néanmoins incontestable. C'est du reste pourquoi le traité confie aux parlements nationaux le loin de fixer une limite à cette primauté : la motion de censure des textes européens contraires au principe de subsidiarité si les dispositions attaquées vont au delà des compétences attribuées à l'Union par le traité . Ainsi se trouve mis un " verrou " supplémentaire qui s'avérera indispensable, celui de " conformité à la Constitution " restant valable pour les autres traités mais devenant peu à peu inutile pour le doit communautaire.

Le président de la République ayant choisi la procédure référendaire pour la ratification, la loi d'autorisation sera soustraite au contrôle du Conseil constitutionnel qui ne peut juger de ce que le peuple décide. Du coup, si le traité est ratifié, les sages actuels encourront peut-être le reproche de manque de clarté qu'avaient encouru leurs prédécesseurs lors de la révision relative au traité de Maastricht, reproche dont on trouve comme un écho dans le commentaire de la décision : " La fonction de la justice constitutionnelle est d'obliger les gouvernants à emprunter les voies normatives exigées par l'importance de la réforme et ce, en pleine clarté et sans ambiguïté . "

En effet à l'ambiguïté voulue par les rédacteurs du traité et relative à l'emploi du terme de " Constitution " dont le Conseil constitutionnel démontre le coté fictif — ou prématuré —, ce dernier répond, en contrepoint, par l'affirmation, tout aussi ambiguë, du maintien d'une hiérarchie des normes " gallicane " qui, si elle n'est pas fictive pour l'heure, risque d'être rapidement périmée. En affirmant que la France porte toujours ses vieux atours de souverain, espère-t-il que tout un chacun évitera, à l'inverse de ce qui se passe dans le conte, de remarquer tout haut qu'elle est nue ? Sans doute aurait-il mieux valu nous décrire les nouveaux habits qu'elle vêtira si le traité est ratifié : ceux d'une nation ayant confié une partie grandissante de ses compétences, y compris régaliennes, à une entité supérieure appelée Union où ses présidents et ministres participent activement — à l'inverse de ce qui se passe dans une fédération classique — à l'élaboration de la politique commune et dont les lois et seront désormais contrôlées et éventuellement censurées par ses élus.

Si notre gardien de la Constitution, pour l'heure, semble ne pas vouloir porter sa vision plus haut que la ligne bleue des Vosges, le texte de révision, lui, ouvre la porte d'un avenir institutionnel interactif France-Union . Une fois ce texte voté, en l'état ou amendé, par les deux chambres réunies en Congrès, le plus difficile restera cependant à faire : expliquer cette nouvelle logique institutionnelle aux électeurs, qui auront le pouvoir de dernier mot.

 

C. R.