Sociologue du droit, Irène Théry a été chargée par le gouvernement d'un rapport sur la révision du droit de la famille. Objectif : réformer les fondements juridiques du couple, de la filiation et de la parenté.
Elle vient de publier dans la revue Esprit, dont elle est membre du comité de rédaction, un long article qui résume sa réflexion : " Pacs, sexualité et différence des sexes. " Théologien, Gérard Leclerc tente une relecture de la modernité sentimentale. Dans son dernier essai, l'Amour en morceaux (Presses de la renaissance), il se plonge dans la littérature courtoise et romantique pour saisir l'une des influences majeures et ambivalentes du modèle de l'amour contemporain.
Deux approches paradoxales qui auraient pu se rejoindre. La sociologue ne se contente pas d'observer, elle construit une vision de l'amour résolument normative hors de laquelle il n'est manifestement point de salut social. Le théologien, lui, ne dogmatise pas : il plonge dans les mystères de la sensibilité humaine pour en dégager la portée culturelle et le sens que le droit lui a reconnu.
Ainsi se heurtent deux visions de l'homme, deux visions de la société. Inutile de préciser que l'hymne à l'amour de Gérard Leclerc a peu de chance d'être entendu par les pouvoirs publics. En revanche, la violence avec laquelle Irène Théry s'en prend à l'anthropologie chrétienne — précisément aux thèses de Tony Anatrella — a tout lieu d'inquiéter, car celle-ci est investie d'une mission officielle. Ceci motive notre réponse à Irène Théry, car derrière les concepts, il y a de plus en plus d'hommes et de femmes dont le parcours secret sur les voies de l'amour et de la fécondité est un chemin de souffrance qui meurtrit le corps social tout entier. Au final, la fuite en avant ne guérira personne.
La réalité entre guillemets
Que dit Irène Théry ? Entre le sexe et la société, la famille ne va plus de soi. La " réalité qui dicte sa loi ", voilà l'ennemie : c'est une référence indigne, pour tout dire liberticide. La civilisation, autrement dit la démocratie, exige de " pluraliser " les modèles sexuels, sous peine de régression.
Pour répondre aux défis d'une société qui cherche à " comprendre ses mutations et se saisir de son propre destin ", Mme Théry s'emploie donc à produire un ordre juridique pluriel, qu'elle appelle " mixité ", et à réduire à néant toute forme de résistance. Placée entre des extrêmes biens choisis — le père Tony Anatrella d'un côté et les plus radicaux des penseurs gays de l'autre — la sociologue veut manifester l'unique pensée possible, celle qui prétend refonder le droit avec équilibre et raison dans les limites de ses propres postulats. En cela elle tend davantage à clore le débat qu'à l'ouvrir sereinement.
Ce débat, nous l'ouvrons, sans limites si ce n'est celles de la " réalité " qu'Irène Théry place comme un aveu entre guillemets... Il en va de l'équilibre intérieur de l'homme et de la vie sociale. Soit on continue de gérer la crise anthropologique en bricolant des aménagements juridiques à la remorque des situations de fait, auquel cas on ne fait qu'accentuer le malaise généralisé ; soit on accepte de faire un diagnostic précis, de nature philosophique, afin de proposer un réelle politique au service d'une culture de la vie humaine et de son épanouissement. Pour cela, il faut le courage intellectuel d'identifier la racine des blessures intimes liées à l'identité sexuelle, l'amour et le mariage.
Tel est le mérite de Gérard Leclerc qui manifeste l'humanité de l'amour, non dans la pulsion ou le sentiment désincarné, mais dans la rencontre toujours inachevée de celui, l'autre, dont la différence ne sera jamais effacée. Les modèles pluriels de la famille consacrent l'échec d'une société en mal de savoir-aimer. La pseudo-normalisation juridique ne pansera pas ces plaies ni ne comblera le désir de chacun à être aimé inconditionnellement.
Liberté Politique
Irène Théry, " Pacs, sexualité et différence des sexes ", Esprit, octobre 1999 – Gérard Leclerc, l'Amour en morceaux, Presses de la Renaissance, 2000.