LE 2 JUIN 1980, le pape Jean Paul II était solennellement reçu au siège de l'Unesco, à Paris, pour y délivrer un long discours qui fera date dans l'anthologie de ce pontificat à tous égards exceptionnel.

Un grand colloque vient d'ailleurs d'en célébrer le vingt-cinquième anniversaire.

 

L'intérêt de Jean Paul II pour la culture ne datait pas de son accession au Souverain Pontificat ni de son invitation à l'Unesco. Fort de la formation personnelle de ses années de jeunesse et de ses activités de professeur d'université en Pologne, c'est au concile Vatican II que Mgr Karol Wojtyla avait manifesté pour la première fois, au niveau universel, l'importance qu'il attachait à la culture dans la vie des hommes, notamment en prenant une part non négligeable et désormais connue à la rédaction de la Constitution pastorale Gaudium et Spes sur "" L'EgliseÉglise dans le monde de ce temps" ". Dans ce célèbre document conciliaire, on trouve une définition de la culture au n. 53 : "

 

Au sens large, le mot "culture" désigne tout ce par quoi l'homme affine et développe les multiples capacités de son esprit et de son corps, s'efforce de soumettre l'univers par la connaissance et le travail, humanise la vie sociale, aussi bien la vie familiale que l'ensemble de la vie civile, grâce au progrès des moeurs et des institutions, traduit, communique et couronne enfin dans ses œuvres, au cours du temps, les grandes expériences spirituelles et les aspirations majeures de l'homme afin qu'elles servent au progrès d'un grand nombre et même de tout le genre humain ".

 

L'"unité du genre humain" — très belle expression de l'enseignement de l'EgliseÉglise, pleine de sens, mais trop oubliée de nos jours — tel pourrait être ce vers quoi doit tendre l'Unesco, née de ce "" désir spontané de paix, d'union et de réconciliation "" que le pape souligna d'entrée dans son discours (n. 2). Au lendemain du plus effroyable des conflits dévastateurs que l'humanité ait jamais connus, l'Unesco devenait membre de ce qu'on appelle d'un nom si évocateur qu'il constitue en soi tout un programme confinant quasiment à l'obligation de résultat : "" La famille des Nations-unies "". Cette intégration montrait bien que l'éducation, la science et la culture contribuent aussi à l'union des nations et à la paix dont ces domaines forment comme l'arrière-plan, voire le préalable indispensable, ainsi que l'expliquera le pape :

 

Nous nous trouvons en présence, pour ainsi dire, d'un vaste système de vases communicants : les problèmes de la culture, de la science et de l'éducation ne se présentent pas, dans la vie des nations et dans les relations internationales, de manière indépendante des autres problèmes de l'existence humaine " (n. 3).

 

De la sorte, tout se retrouve dans les droits fondamentaux de la personne dont Jean Paul II fera le leitmotiv de son enseignement aux nations. Le pape aura passé son pontificat à instruire l'humanité sur l'homme, c'est-à-dire sur elle-même. Dès son grand discours du 25 janvier 1979 à Puebla, lors de son premier voyage international au Mexique, il lançait :

 

"La vérité que nous devons à l'homme est, avant tout, une vérité sur l'homme lui-même. En tant que témoins de Jésus Christ, nous sommes des hérauts, des porte-voix et des serviteurs de cette vérité que nous ne pouvons réduire aux principes d'un système philosophique ou à une pure activité politique [...]. Peut-être une des faiblesses les plus manifestes de la civilisation actuelle réside-t-elle dans une vision inexacte de l'homme.

 

En s'exprimant de la sorte, le pape avait le souci de faire échapper l'homme à toute tentative de récupération manipulatrice par les idéologies ou les puissances de ce monde, et tel était d'ailleurs le risque auquel avaient alors succombé, en Amérique latine, certains secteurs de l'EgliseÉglise... Jean Paul II y revint, un an et demi plus tard, dans son discours à l'Unesco qui, de ce fait, acquerra davantage d'écho : " Il convient de considérer l'homme comme une valeur particulière et autonome, comme le sujet porteur de la transcendance de la personne. Il faut affirmer l'homme pour lui-même "" (n. 4).

Le message authentiquement chrétien que le Saint-Père entendit délivrer à la communauté des nations fut celui de "" l'homme dans son intégralité, l'homme qui vit en même temps dans la sphère des valeurs matérielles et dans celle des valeurs spirituelles "" (idem), tant il est vrai que la dichotomie étanche entre le temporel et le spirituel à laquelle un certain esprit laïque est parvenu à accoutumer la mentalité contemporaine dominante, ne résiste pas à la réalité anthropologique. Aussi le pape ne cacha-t-il pas, avec des paroles très fortes, que la prise en compte de cette "" dimension fondamentale est capable de bouleverser jusque dans leurs fondements les systèmes qui structurent l'ensemble de l'humanité et de libérer l'existence humaine individuelle et collective des menaces qui pèsent sur elle "" (idem). Ce disant et ce faisant, Jean Paul II restait fidèle à l'homélie inaugurale de son pontificat contenant ce cri devenu célèbre tant il nous semble avoir été poussé hier : " N'ayez pas peur ! Ouvrez toutes grandes les portes, les frontières et les systèmes au Christ ! " (22 octobre 1978.)

Premières paroles prémonitoires de ce grand pontife et dont on ne pouvait mesurer alors la profonde vérité qu'elles recelaient pour l'histoire du quart de siècle qui s'ouvrait...

D'ailleurs, on ne peut manquer de recenser dans le discours à l'Unesco nombre d'ingrédients qui seront autant de constantes du magistère et de l'activité internationale de Jean Paul II. Il convient de les relire non pas comme un programme qu'il s'était fixé mais comme une pré-science des événements qu'il avait manifestée.

 

La politique à sa place

 

D'emblée, le Saint-Père fit logiquement découler les droits de l'homme du "" primat du spirituel "" (n. 4), réminiscence de la pensée de Jacques Maritain dont le rappel est à considérer ici, dans un contexte de forte politisation, comme une manière de remettre le politique à sa place qui n'est pas la première car le "" politique d'abord "" n'est pas un principe de l'EgliseÉglise... Comme il le fit fréquemment par la suite à l'adresse des organismes internationaux ou pour les grandes déclarations internationales, Jean Paul II partait toujours de l'intuition d'origine (n. 5). Pour l'Unesco, il s'agit du centre de son activité : l'éducation, la science et la culture. Mais le pape n'en traita pas dans l'ordre de leur énoncé officiel ni en trois points, mais en deux car il unit logiquement l'éducation et la culture pour réserver un traitement spécial à la science.

À cette fin, le pape ouvrit sa réflexion sur une citation de saint Thomas d'Aquin : "" Genus humanum arte et ratione vivit. "" Ce choix semblait procéder autant de l'opportunité de la citation que de la représentativité de son auteur. Saint Thomas d'Aquin est, en effet, le penseur qui a relié la philosophie antique à la philosophie chrétienne, restaurant par là un pont culturel entre les civilisations, tout en démontrant combien l'Église est accueillante à tout ce qui a pu s'élaborer de vrai et de bien avant elle, voire en dehors d'elle, mais qui rejoint la préoccupation qui est en elle, à savoir le service de la vérité qui ne connaît pas de frontières dans l'espace ni dans le temps. Cette disposition ecclésiale reste actuelle et même, en notre temps, d'une actualité encore plus grande. Aussi bien Jean Paul II, à la suite du Docteur angélique, voulut prendre en considération "" l'ensemble de l'humanité "" (n. 6), pétrie de diverses traditions et cultures dont la pluralité converge toutefois vers cette unité que le Pape désigna comme "" l'unique sujet "" et "" l'unique objet "" (n. 7) de la culture, à savoir l'homme. Rappel opportun dans ces institutions internationales où, sous l'ampleur de la tâche, la multitude des initiatives... et la masse des documents, on peut parfois perdre de vue tant l'inspiration originelle que le centre principal de la mission. À une organisation qui, au bout de trente ans d'exercice, pouvait succomber sous le poids des infrastructures administratives ou de la routine bureaucratique, le pape vint rappeler l'essence même de sa fondation : le service de l'humanité tout entière.

 

L'être avant l'avoir

 

À rebours d'une mentalité moderne où, sous l'effet du règne de l'image, le paraître l'emporte sur l'être, Jean Paul II insista sur l'intérêt de la culture qui met davantage l'accent sur l'être que sur l'avoir, alors que le matérialisme privilégie le second sur le premier. À cet égard, le pape n'oublia pas de souligner le rôle d'avant-garde de l'EgliseÉglise non seulement dans la diffusion de la culture mais aussi dans sa formation même, à raison du "" lien organique et constitutif qui existe avec la religion en général et le christianisme en particulier d'une part, et la culture d'autre part "" (n. 9).

À ce stade, Jean Paul II ne manque pas de faire mention de la position tout à fait spéciale de l'Europe qu'il concevait, comme le général de Gaulle, "" de l'Atlantique à l'Oural "" (id.), c'est-à-dire dans la totalité de son identité où le spirituel concourt au culturel. Dans cette affirmation papale en tout point conforme à la réalité historique, il est significatif de trouver les prémisses de la détermination que, vingt ans plus tard, le Saint-Père mettra pour faire reconnaître publiquement — mais hélas en vain — les racines chrétiennes de notre continent dans le préambule du traité européen...

Pareillement prémonitoire peut apparaître, au regard des événements de 1989 en Europe centrale et orientale, la référence à l'autolibération spirituelle des peuples contraints :

 

"Là où ont été supprimées les institutions religieuses, là où les idées et les œuvres nées de l'inspiration chrétienne, ont été privées de leur droit de cité, les hommes retrouvent à nouveau ces mêmes données hors des chemins institutionnels, par la confrontation qui s'opère, dans la vérité et l'effort intérieur, entre ce qui constitue leur humanité et ce qui est contenu dans le message chrétien" (n. 10).

 

Il est évident que l'ignorance de la réalité religieuse de l'homme n'a jamais été une garantie de survie pour des systèmes clos sur eux-mêmes, autosuffisants dans leur prétention à réguler la totalité de l'existence humaine, c'est-à-dire totalitaires au vrai sens du terme. L'artifice d'une société sans Dieu ou d'un ordre sans spiritualité ne peut résister longtemps à la pression de la vérité. De fait, il nous est facile aujourd'hui, avec le recul du temps, de constater que ces régimes fondés sur la force et le mensonge ont fini par succomber devant le besoin inextinguible de liberté qui est aussi une exigence irrépressible de vérité. Il y a un lien constitutif, voire consubstantiel, entre l'homme et la vérité dont ne parviennent pas à rendre compte le subjectivisme et le relativisme ambiants.

 

Éducation et liberté

 

Traitant de l'éducation, Jean Paul II énonça le "" sain primat de la famille "" (n. 14), ce qui ne doit pas surprendre dans la bouche de celui qui se révèlera — et demeurera — "" le pape de la famille"". La famille est, en effet, la première éducatrice car elle est le premier foyer culturel de l'apprentissage de la vie intellectuelle et sociale. L'EtatÉtat, qui y a sa part, ne vient toutefois qu'en second — voire en troisième, après l'EgliseÉglise, "Mater et Magistra", parce que la première société naturelle est la famille formée du père, de la mère, des enfants et éventuellement des ascendants ou collatéraux. Dès lors, cette famille a des droits naturels qui précèdent ceux de la société politique et que l'EtatÉtat a le devoir d'observer.

 

Et ce respect des pouvoirs publics s'étend au "droit qui appartient à toutes les familles d'éduquer leurs enfants dans des écoles qui correspondent à leur propre vision du monde et, en particulier, le droit strict des parents croyants à ne pas voir leurs enfants soumis dans les écoles à des programmes inspirés par l'athéisme. Il s'agit là en effet d'un des droits fondamentaux de la famille " (n. 18).

 

Par ces paroles délivrées sans ambages du haut d'une des plus prestigieuses tribunes internationales, le pPape entendait bien montrer que l'athéisme est tout le contraire de la neutralité, comme il avait dû l'éprouver personnellement durant la période polonaise de sa vie.

Jean Paul II regretta aussi "" un déplacement unilatéral de l'éducation à l'instruction "" (n. 13). En effet, alors que l'éducation envisage l'accomplissement de "" l'être "" en fonction des connaissances, l'instruction, au sens strict, ne s'en tient qu'à "" l'avoir " des connaissances, de sorte que peuvent en résulter des personnes fort instruites mais peu éduquées. Le Saint-Père redoutait que celles-ci fussent d'autant plus manipulables par le dévoiement d'une culture instrumentalisée par certains monopoles politiques, idéologiques, médiatiques ou financiers aboutissant à un asservissement de l'esprit de l'homme au conformisme du moment qu'il dénonça sous l'appellation "" d'impératifs apparents "" (n. 13) ainsi décrits :

 

"[...] à la place du respect de la vie, "" l'impératif "" de se débarrasser de la vie et de la détruire ; à la place de l'amour, qui est communion responsable des personnes, "" l'impératif "" du maximum de jouissance sexuelle en dehors de tout sens de la responsabilité ; à la place du primat de la vérité dans les actions, le "" primat "" du comportement en vogue, du subjectif et du succès immédiat "(id.).

 

Cette dénonciation de la subversion des valeurs faisait écho à celle de Pie XII déplorant déjà, dans un discours du 13 octobre 1955, qu'on persistât, sous l'effet du positivisme juridique, à appeler "" liberté l'esclavage, droit le caprice, libre disposition de soi une observance forcée [...]. Tout ceci pouvant engendrer une nouvelle forme larvée de totalitarisme idéologique sur lequel prospère le totalitarisme politique ".

 

Les droits de la nation

 

Dans son discours à l'Unesco, Jean Paul II relia les droits de la famille aux droits de la nation parce qu'il s'agit de deux communautés naturelles qui sont aussi les deux principales communautés culturelles tant il est vrai que les deux sont imbriquées puisque la nation est une agrégation de familles.

On pourrait faire le parallèle entre la fameuse leçon de Renan à la Sorbonne, en1882, sur la définition d'une nation, et ce qu'on pourrait appeler la leçon de Jean Paul II à l'Unesco. En l'occurrence, le pape poussera plus loin les réflexions de l'auteur de la première exégèse laïque de la Vie de Jésus pour qui c'est le vouloir-vivre commun qui, en fin de compte, fait une nation. À ce critère affectif, Jean Paul II préféra un facteur objectif car mieux définissable : c'est la culture qui fait une nation ; c'est son identité particulière et c'est aussi le socle de ce qu'il appelle sa "" souveraineté fondamentale "" (n. 14). En partant de sa propre expérience nationale, le pape polonais releva que la culture d'une nation ne peut être éradiquée car elle échappe en grande partie à l'emprise de la politique comme aux aléas de l'histoire. Il observa que "" cette culture s'est révélée, en l'occurrence, d'une puissance plus grande que toutes les autres forces "" (id.). Les droits de la nation seront d'autant mieux garantis que sa culture sera protégée comme — dit le Saint-Père aux délégués des nations à l'Unesco —, "" la prunelle de vos yeux "" (n. 15) !

Ici encore, en évoquant des cas où la souveraineté historique fut privée de souveraineté politique, Jean Paul II avait comme une pré-science des événements de 1989 en Europe où des nations jusque là opprimées par un EtatÉtat "" grand frère "" secoueront un joug cinquantenaire.

Mais, en même temps, on peut voir aussi dans ce discours, une mise en garde contre des tentations idéologiques qui vont éclore au XXIe siècle sur le prétendu dépassement de la nation à l'heure des grands projets continentaux. Un an avant son discours à l'Unesco, et six mois à peine après son accession au trône de Pierre, le Souverain Pontife avait mis en garde M. Emilio Colombo, alors président du Parlement européen, contre une construction européenne qui ne tiendrait pas compte du "" droit à l'identité souveraine "" des nations du Vieux Continent (5 avril 1979). À la tribune de l'Unesco, il évoqua une éventuelle uniformisation technocratique des nations avec le risque de dilution dans un cosmopolitisme anémiant qui ne pourrait que faire le lit de la mondialisation tant redoutée de nos jours parce qu'elle broie souvent les communautés naturelles. C'est pourtant dans ces dernières que l'identité exprimée par la culture trouve sa liberté, et non pas dans le melting-pot véhiculé par les moyens de communication sociale dont Jean Paul II entrevoyait déjà qu'ils pourraient facilement devenir des moyens de domination sociale (n. 16). L'histoire récente de l'Europe nous en a administré la preuve, et les craintes ne font que croître aujourd'hui sur la concentration tant idéologique qu'économique des circuits de l'information par lesquels est aussi transmise — ou réduite — la culture. C'est à une véritable résistance à toute velléité de manipulation des hommes et des peuples que le pape engageait alors son auditoire.

 

Dérives de la science

 

Il fera de même avec la science dans un autre passage prémonitoire de son discours parisien, non sans avoir salué le travail des savants que l'EgliseÉglise considère sincèrement avec une bienveillante prédisposition dans la mesure où le progrès des sciences constitue un progrès dans la vérité des lois de la nature et du génie que l'homme a reçu du Créateur. Toutefois existe, ici aussi, le risque d'instrumentalisation de la science et des savants car, dans un monde où le gouvernement des hommes semble de plus en plus soumis à la rationalité scientifique — tel que l'entrevoyait le même Renan dans l'Avenir de la Science (1890) —, il est peu contestable que de l'utilisation de la science dépend rien moins que l'avenir de l'espèce humaine. C'est pourquoi Jean Paul II, se fondant sur la mémoire encore vive d'expériences dramatiques du XXe siècle, lança gravement ce cri d'alarme : "" L'avenir de l'homme et du monde est menacé, radicalement menacé "" (n. 21) ! Il y a en effet danger quand la science se détourne de ce que le pape appela "" l'impératif éthique "" (id.) pour servir des buts attentatoires à la dignité intrinsèque de l'être humain : les manipulations génétiques ou les expérimentations biologiques ont bien montré, depuis lors, que l'instrumentalisation de la science conduit inexorablement à l'instrumentalisation de l'homme même. La domination de la nature que Dieu a confiée à l'homme passe aussi par la maîtrise de la science.

Dans un autre domaine mais dans le même ordre d'idées, le pape avait cité les nouveaux armements (chimiques, bactériologiques et nucléaires) comme une menace plus large à l'échelle des nations. Bien qu'aujourd'hui les termes de l'équation géopolitique aient quelque peu changé avec la disparition de "" l'équilibre de la terreur "" entre les deux blocs militaro-industriels d'il y a un quart de siècle, le risque demeure de la prolifération de ce type d'armements dans de petits ou moyens EtatÉtats toujours soumis à la tentation de leur utilisation dans des conflits régionaux, ainsi qu'on a pu le voir au Proche-Orient.

 

Mobilisation des consciences

 

C'est la raison pour laquelle Jean Paul II terminera son discours à l'Unesco par un appel en forme d'"" impératif moral : il faut mobiliser les consciences "" (n. 22). Loin de s'en tenir à une simple formule de rhétorique, le Pape expliqua en quoi consistait cette mobilisation à laquelle il invitait la communauté des nations et qui tenaient en trois mots d'ordre : priorité à l'éthique sur la technique, primat de la personne sur les choses, supériorité de l'esprit sur la matière. L'orateur fit de ces trois impératifs la condition pour que "" la science s'allie à la conscience "" (id.).

In fine, tous les points opportunément abordés dans son long discours permirent au pape une ultime remarque : alors qu'il quittait son prestigieux auditoire, le Saint-Père résuma en quelque sorte sa pensée avec un conseil sur la méthode que ce large parterre de diplomates, d'intellectuels et de savants provenant de toutes les aires politiques et culturelles aurait pu percevoir comme la correction d'un professeur s'ils ne l'avaient plutôt reçu comme le conseil d'un père : Jean Paul II précisa que leur contribution au bien de l'humanité se situait "" dans l'approche correcte des problèmes " (id.) qu'ils avaient à résoudre.

Tel était bien, semble-t-il, le sens profond de la venue du pape à l'Unesco. La justification de son discours n'était certes pas d'apporter des solutions d'ordre politique ou de nature technique, mais de rappeler à une institution investie d'une mission à l'échelle du monde l'essentiel de sa raison d'être par la voix d'une Autorité de même envergure mais dont la parole avait quelque chose à voir avec la Sagesse éternelle.

 

J.-B. D'O.