DE 1974 À 1998, la politique étrangère de la France a obéi à une préoccupation dominante des présidents et gouvernements successifs : l'Europe. Plus précisément, la marche vers l'Union européenne (UE) et les relations avec les pays membres ou candidats à l'admission.
Plus précisément encore, le noyau franco-allemand et les dispositions et capacités des autres pays européens de s'y agréger. Le résultat n'en est du reste guère probant si l'on considère avec quelque lucidité l'état réel de nos relations avec l'Allemagne...
Les autres composantes de la politique étrangère française, qui était redevenue plus mondiale sous les présidences du général de Gaulle et de Georges Pompidou, n'ont certes pas disparu brutalement après 1974. Mais elles ont subsisté bien plus dans le discours officiel que dans la réalité de l'action gouvernementale et des budgets votés. Ainsi des relations avec l'Amérique latine, l'Extrême-Orient, l'Océanie. La " politique arabe " a perdu beaucoup de son ressort et de son éclat. Les déclarations répétées sur la " politique méditerranéenne " n'ont guère été suivies d'actions significatives, alors que plusieurs des pays concernés appartiennent à l'UE. En Europe centrale et orientale, l'ouverture ne s'est pas accompagnée de mesures à la hauteur des intentions affichées. La " politique africaine ", concernant essentiellement les pays francisants de l'ancien champ de compétence du ministère de la Coopération, au sud du Sahara, a été maintenue, mais ses moyens financiers ont diminué en valeur relative, à l'intérieur de l'enveloppe totale française d'aide au développement, au cours des vingt-cinq dernières années.
Un constat alarmant
Quant à la francophonie, entendue ici comme la construction d'une communauté par 52 chefs d'État et de gouvernement des pays ayant le français en partage, et à laquelle plusieurs autres pays ont manifesté l'intention d'adhérer, elle est encore loin d'occuper, dans les faits, la place qu'elle mérite dans notre politique étrangère. Certes, la France a réuni en février 1986 à Paris le premier sommet francophone. Un neuvième sommet s'est tenu en septembre 1999 à Moncton. Entre ces deux conférences, les chefs d'État et de gouvernement, devenus plus nombreux, ont élu en 1997 à Hanoï, un secrétaire général de la francophonie, et donné une consistance politique et un contenu concret de coopération solidaire à la communauté. Mais la France, qui a en 1992 révisé sa Constitution pour tenir compte de l'Union européenne, n'a pas encore aussi solennellement marqué dans sa loi fondamentale son engagement dans la construction de la communauté francophone, et n'y consacre encore en tout et pour tout, en 1998, que moins de 650 millions de francs à sa coopération multilatérale, dont le budget annuel total n'est guère supérieur à 1 milliard de francs. Rappelons ici que l'ensemble des contributions françaises aux institutions et organisations internationales de coopération multilatérale atteint plus de treize milliards de francs (ONU, OCDE, UE, UNESCO, etc.)
En fait, pendant ces vingt-cinq ans, tout s'est passé comme si la classe politique française s'était appliquée à concevoir et à mener une politique étrangère axée sur l'ajustement à une mondialisation jugée inévitable, et fondée sur une analyse incomplète des causes, des aspects, et surtout des effets divers — en France, en Europe, dans les autres régions du monde — de cette mondialisation. Il est regrettable que l'élite d'un pays comme la France, dont la puissance et l'influence dans le monde reposent plus que celles d'aucun autre pays sur sa langue et sa culture, n'ait pas perçu plus tôt l'intérêt et la nécessité d'opposer à une certaine forme de mondialisation à l'américaine la différence culturelle française et francophone, alors que Jean Monnet lui-même reconnut sur le tard que si la construction de l'Europe eût été à refaire, il eût fallut " commencer par la culture ".
Les conséquences de cette politique étrangère française ont été notamment de : 1/ construire une Europe de l'économie et des marchands, d'inspiration très libérale ; 2/ privilégier paradoxalement, à l'intérieur même du continent, les partenaires les plus tournés vers le " grand large " qui comprennent les Pays-Bas, la Grande-Bretagne et même l'Allemagne, au détriment des pays méditerranéens d'une part et des pays partiellement francophones d'autre part ; 3/ trop céder à l'américanisation du continent et à l'expansion massive de l'anglo-américain, tant dans la pratique quotidienne des échanges de toute nature entre les pays européens que dans les institutions et programmes communautaires, et de donner ainsi l'impression que la France n'écartait plus que verbalement la perspective d'une unification européenne fondée sur la langue anglaise et non plus sur l'essence même de l'Europe : sa diversité linguistique et culturelle ; 4/ avoir mal exploité les chances historiques de la réconciliation et de la coopération franco-allemandes dans le sens d'un rapprochement beaucoup plus étroit des deux peuples, notamment par un développement nettement plus volontariste des connaissances réciproques de leurs langues et de leurs cultures, la même chose valant au demeurant pour notre attitude à l'égard de nos voisins méditerranéens ; 5/ négliger le grand chantier de la communauté francophone, en ne lui consacrant que des " gestes " et des mises en scène sans moyens adéquats, alors que nos gouvernements eussent trouvé normal que tel de nos voisins, ayant eu à notre place le bonheur de voir plusieurs dizaines de pays se réclamer de leurs liens linguistiques et historiques avec lui, en fît un axe privilégié de sa politique étrangère, voire intérieure.
Quel est donc l'intérêt d'une politique française de la francophonie ? Quel contenu lui donner ?
I- L'ENJEU DE LA FRANCOPHONIE POUR LA FRANCE
Les chiffres sont connus : 220 millions de locuteurs dans le monde, dont un peu plus de 70 millions de francophones " maternels ", 50 millions de francophones d'éducation et de culture, et quelque 100 millions de " francisants " (qui apprennent et pratiquent le français à des degrés divers, sans le maîtriser). Moins de 4 % de la population mondiale. Le total des anglophones et anglicisants, lui, est moins de cinq fois supérieur, mais le français a le privilège d'être présent sur les cinq continents et dans la quasi totalité des institutions et organisations internationales. La langue française est en outre porteuse de l'universalisme de la France, de ses messages chrétien, révolutionnaire, laïque...
La France, dans laquelle Jaurès voyait la " nation-guide " de l'humanité, et dont Péguy écrivait qu'elle " a toujours ressenti un mystérieux besoin de fécondité historique, d'inscrire une grande histoire dans l'histoire éternelle ", a diffusé ses messages, ses soins et son enseignement, en français, par ses nombreux missionnaires, puis coopérants. Dans son action culturelle, elle a construit le plus vaste réseau au monde d'ambassades avec leurs services culturels et missions d'aide et de coopération, d'écoles et lycées à programmes français, d'instituts et centres culturels, d'alliances françaises, d'institutions de soins, d'enseignement supérieur et de recherche, aidé puissamment nombre de pays étrangers à diffuser sa langue et sa culture. Comme l'écrivait Georges Pompidou : " Si nous reculons sur notre langue, nous serons emportés purement et simplement. C'est à travers notre langue que nous existons dans le monde autrement que comme un pays parmi d'autres. "
L'importance de la francophonie pour la France apparaît avec plus d'évidence encore dans son autre sens : celui d'un ensemble d'environ 50 pays et entités territoriales où le français jouit de fortes positions de fait ou d'un statut juridique particulier. Le dynamisme démographique des pays concernés, dont la population totale pourrait avoisiner les 800 millions en 2020, permet d'espérer que dans 25 ans le nombre de francophones et de francisants dans le monde entier pourrait se situer entre 400 et 700 millions et hisser le français à un rang très supérieur à l'actuel. La francophonie mondiale dispose de réserves et peut connaître un brillant avenir. Mais à condition d'aider puissamment au développement de ces pays et de leurs systèmes éducatifs.
La séduction francophone
La francophonie, depuis la création d'une Agence de coopération culturelle et technique (A.C.C.T.) en 1970 à Niamey, et la première conférence, en février 1986 à Paris, des chefs d'État et de gouvernement des pays ayant le français en partage, a pris une nouvelle dimension : celle d'une communauté de pays. De 40 en 1986 , les participants aux conférences biennales sont passés à 52 en 1998 : 6 totalement ou partiellement francophones d'Europe de l'Ouest et 3 d'Amérique du Nord, 19 francisants, 3 lusitanisants et 1 hispanisant d'Afrique, 5 de l'Océan Indien (Comores, Djibouti, Madagascar, Maurice, Seychelles), 4 d'Asie-Océanie (ex-Indochine, Vanuatu), 2 du Moyen-Orient (Égypte, Liban), 3 des Antilles (Haïti, Dominique, Sainte Lucie), et 6 d'Europe centrale (dont 3 à part entière : Bulgarie, Moldavie, Roumanie, et 3 observateurs : Albanie, Macédoine, Pologne). Il se trouve que la France est voisine physiquement, par son territoire métropolitain comme par ses DOM-TOM, de bon nombre de ces pays.
Fondée pragmatiquement non sur un traité mais sur de simples décisions des chefs d'État de se réunir périodiquement et de structurer et développer entre eux une coopération privilégiée et exemplaire, la communauté francophone ne saurait être comparée à l'Union européenne. Elle n'en existe pas moins. Elle renforce ses institutions de sommet en sommet, mobilise des crédits multilatéraux (encore bien insuffisants : à peine plus de 1 milliard de francs en 1998) que les chefs décident de concentrer sur de " grands programmes mobilisateurs " mis en œuvre, sous le contrôle des instances des sommets, par de grands opérateurs : ACCT, AUPELF-UREF, TV5. Elle a à son actif de nombreuses réalisations, dont plusieurs très importantes, par exemple :
– par l'Agence de la francophonie (ex-ACCT) : le développement de centres de lecture et d'animation culturelle en Afrique rurale, l'appui à d'importants festivals et marchés des arts, ainsi que le soutien en matériel et formation au fonctionnement de la justice et des parlements africains ;
– par l'Agence universitaire de la francophonie (ex-AUPELF-UREF : association des universités partiellement ou entièrement de langue française) : la relance de la recherche au Sud et de la science en français, les contenus du Sud en français sur l'internet, l'Université virtuelle francophone... ;
– par TV5 : l'extension progressive à cinq continents de ce réseau de télévision francophone réellement international par sa diffusion, son statut, la participation de 5 gouvernements et 10 chaînes à sa gestion, son financement et ses programmes.
La francophonie, œuvre collective pour la liberté et le développement solidaire de peuples très divers, prolonge directement la meilleure des traditions françaises. Elle devrait donc, au moins à ce titre, occuper une première place dans notre diplomatie. La francophonie prend aussi une dimension politique de plus en plus marquée. Il s'agit de consolider, par pression collective dans les relations et les institutions internationales, la place de la langue française. Puis de promouvoir les droits de l'homme, l'État de droit, l'idéal démocratique, de placer l'homme au centre de la société et du développement, de tirer de l'humanisme — et de faire prévaloir — certaines visions communes des affaires du monde. Les membres affichent pour leur communauté " l'unité dans la diversité ", thème du sommet de 1993 à Maurice. C'est à ce sommet que fut prise à l'unanimité l'importante décision politique de soutenir la France qui menait alors la lutte pour l'" exception culturelle ".
En fait, le vrai message de la francophonie est celui de la viabilité, de la force et de l'exemplarité d'une communauté qui transcende les affinités géographiques, ethniques, religieuses, idéologiques, et les intérêts économiques, et se fonde sur le partage — non exclusif — d'une langue et de certains traits culturels et valeurs humanistes. À bien l'examiner, cette communauté apparaît en effet être la seule qui puisse, malgré ses insuffisances flagrantes, porter un tel message dans le monde. Elle n'est pas géographique, régionale, comme l'Union européenne ou l'ALENA, ni réservée aux pays arabes comme la Ligue arabe, aux musulmans comme la Conférence islamique. Elle ne regroupe pas exclusivement une métropole avec ses anciennes colonies, comme l'Hispanidad, la lusophonie, voire le Commonwealth (dont les États-Unis ne sont pas membres). Elle transcende les clivages géographiques, raciaux, religieux, idéologiques, politiques. Elle juge naturelle l'appartenance de ses membres à d'autres ensembles.
La communauté francophone reste très fragile. Composée d'une grande majorité de pays pauvres, son ciment principal est, contrairement à l'espagnol dans l'Hispanidad, presque partout minoritaire. Mais elle est forte de ces adhésions volontaires, de son étonnante diversité, et surtout de l'espoir de solidarité et d'exemplarité — certains ont dit " de conscience du monde " — qu'elle porte. Expression d'un besoin d'éviter le laminage des cultures et des langues, l'uniformisation en un vaste marché unique aux goûts standardisés pour le profit des grands marchands, et d'échapper à une " société de marché ", à un " nouvel ordre international " dominé par un seul type de civilisation et une seule langue. Refus aussi de chercher dans les fanatismes et les intégrismes le seul contrepoids au matérialisme. " Francopolyphonie ", troisième voie possible et espérée entre le " tout coca-cola " et le " tout ayatollah ", selon la formule de Stélio Farandjis.
Cette troisième voie qui élève au lieu d'abaisser et niveler, s'inscrit dans la meilleure tradition humaniste de la France. Elle conforte son idéal chrétien comme la sécularisation de celui-ci : l'idéal républicain. Elle peut aider l'Europe à rester européenne, le monde à rester divers. Elle offre à la politique étrangère de la France une puissante justification pour continuer à " marcher sur les deux jambes ". Dans la ligne de la France " embêteuse du monde " (Giraudoux) et de la " France contre les empires ", de " la France contre les robots " (Bernanos), la francophonie dérange, parce qu'elle n'est ni nationale ni nationaliste, ni impératrice, mais au contraire médiatrice. Récente et fragile, elle fait d'ailleurs déjà l'objet de menaces et d'attaques de plus en plus précises et vigoureuses qui montrent à quel point elle est un enjeu important. Aux francophones, et d'abord à la France, de défendre cet objet de convoitises et d'hostilités.
II- DES MENACES AUX EXPRESSIONS ANTIFRANCOPHONES
Les menaces contre la francophonie viennent de la force, du dynamisme propre des modèles concurrents, avant d'émaner des actes de gouvernements. La France a connu de telles menaces au cours de son histoire : généralement deux à la fois à chaque période. Durant le Moyen Âge, à l'Empire et à la Papauté comme à l'Angleterre, elle avait su répondre : royaume, patriotisme et gallicanisme. Aux empires habsbourgeois et ottoman, elle a répondu par le royaume et les capitulations. À l'Angleterre et à l'Allemagne de 1870 à 1914 : par la République universaliste, doublée de l'expansion coloniale. Au camp occidental et au bloc soviétique de la guerre froide : par le gaullisme, la capacité nucléaire, l'appui aux indépendances nationales, et une forte politique culturelle et de coopération. Depuis l'effondrement du système communiste, la République universaliste se trouve menacée et attaquée, physiquement, intellectuellement, spirituellement, à la fois par des fondamentalismes que nous ne mentionnons ici que pour mémoire, et par le libéralisme et le matérialisme portés par la surpuissance des États-Unis et de pays anglo-saxons dans leur mouvance.
Menacée, avant d'être sciemment attaquée
La puissance des États-Unis et du " rêve américain " s'affirme partout, y compris en France, et ne paraît actuellement pouvoir être endiguée que par ses échecs criants et les désarrois qu'elle engendre au cœur même de l'empire américain. Effet " boule de neige " appelé à durer encore quelque temps, même sans intention ni actes hostiles à l'égard des autres langues et cultures. Il faut cependant relever que l'effet spontané de la puissance est loin d'être le seul à s'exercer. On passe alors de la menace aux attaques.
Sans parler encore des gouvernements, on constate que le " rayonnement spontané " est relayé et renforcé consciemment, avec des moyens financiers considérables, par les acteurs les plus divers. Ainsi l'influence de la civilisation américaine et la propagation de l'anglo-américain sont puissamment accrues par l'action " ciblée ", de riches mécènes, associations, fondations, universités, entreprises, des États-Unis et d'autres pays anglo-saxons. Elles pèsent sur de nombreux media et officines publicitaires. Deux exemples illustrent la volonté de ces acteurs de fausser la libre concurrence dont les États-Unis se réclamaient et d'écarter leurs rivaux :
1/ Dans le domaine du cinéma et de la production audio-visuelle, les " majors " règnent sur la production et la distribution du continent américain. Elles sont massivement présentes sur les continents asiatique et européen. Elles dressent de très efficaces barrages à la distribution d'œuvres étrangères dans les circuits qu'elles possèdent ou dominent. Elles ont réussi à réduire à peu de choses les productions nationales autrefois florissantes et prestigieuses de l'Allemagne, de l'Italie, du Japon, et en viennent à assurer en France, pays qui résiste encore, plus de la moitié des recettes. Elles pèsent sur les négociations de l'OMC (ex-GATT) comme de l'Union européenne pour faire échec aux quotas protecteurs des productions nationales encore indépendantes et de leur diffusion, au nom du libre échange propice aux plus forts. Elles viennent d'inventer l'I.S.A.N., système de référencement des produits audio-visuels qu'elles domineraient à l'instar de Garfield pour les revues scientifiques.
2/ Dans le domaine scientifique, où la performance et l'innovation des États-Unis sont prépondérantes, les publications de langue anglaise, surtout nord-américaines, déjà largement dominantes par leur tirage, leur marché, et l'excellence de nombre d'entre elles, voient leur première place transformée en quasi monopole par les pratiques de référencement du " Science Quotation Index " de M. Garfield à Philadelphie. Dans une attitude abusive, il recense maintenant presque exclusivement les publications primaires parues en anglais et dans les grandes revues anglo-américaines. Les comités de lecture, censés être " internationaux ", en fait composés en majorité d'Anglo-américains et de gens liés aux universités et institutions de recherche américaines, privilégient les auteurs dont ils sont proches. Maintes fois, des Européens ont vu la publication de leurs découvertes et innovations, au mépris de la déontologie, retardée, voire communiquée secrètement à des Américains qui travaillaient sur les mêmes sujets, pour donner à ces collègues la primeur de l'annonce.
Dans ces deux exemples, il s'agit bien de détournement, par des institutions privées, du rayonnement spontané en un exercice conscient d'une hégémonie.
Les attaques américaines
Il faut bien voir en effet que le gouvernement des États-Unis se comporte depuis longtemps comme si la langue, la civilisation, l'influence culturelle américaines devaient supplanter partout, aussi totalement que possible, le concurrent français. La France reste en effet l'un des rares prétendants debout, et elle aide l'Europe à s'affirmer dans beaucoup de domaines. Sans parler d'une relative indépendance politique et des beaux restes d'une influence mondiale, cela va de l'agriculture et de l'industrie agro-alimentaire exportatrices aux ventes d'armes et au tourisme, en passant par l'industrie aéronautique (Airbus) et spatiale (satellites, Ariane...), le nucléaire civil et militaire, l'exploration des fonds marins, la génétique, la recherche médicale et pharmaceutique... La regrettable affaire du virus du sida, dans laquelle les États-Unis ont bien dû reconnaître, après de longues années, la fraude commise par leur compatriote Gallo au détriment du Français Montagnier, illustre l'âpreté de la concurrence. Tous les domaines cités touchent, du reste, à la compétition culturelle.
En 1902, dans le procès international du Pious Fund of the California, à la suite de la guerre de 1898 avec l'Espagne, le gouvernement de Washington a cherché à imposer l'usage de l'américain, au lieu du français, au tribunal de La Haye. Après une rude bataille diplomatique, il a dû y renoncer. Mais en 1919, au moment des négociations des traités de paix, les Américains entrés en guerre en 1917, ont imposé l'anglais comme langue faisant foi, à côté du français alors seule langue diplomatique, datant ainsi le début du lent déclin de celle-ci.
Lors de la création de l'Organisation des Nations unies, le français, qui avait été la première langue de la Société des Nations, n'a pu obtenir un statut de deuxième langue qu'à une voix de majorité (celle de Haïti), sans le soutien du gouvernement américain. La Banque mondiale et le F.M.I. n'ont qu'une langue officielle et tendent à travailler et correspondre presque exclusivement en anglo-américain, même avec les pays francophones et avec les nombreux pays francisants dont ils s'occupent.
Depuis 1945, et surtout depuis 1974, au sein des organisations internationales de toute nature, y compris en Europe et lorsque leurs sièges sont dans des pays et grandes villes francophones, dans lesquelles le français a le statut de langue officielle et de travail, les représentants des pays francophones et francisants ont le plus grand mal à faire respecter ce statut. Dans les interventions armées et humanitaires des Nations unies menées par les États-Unis, la langue française, officielle et de travail, a été assez systématiquement écartée au profit de l'anglais, y compris dans les pays où elle conservait des positions non négligeables. Pourtant, la participation des troupes et des ONG françaises et d'autres pays francophones (Canada) y était très importante. Ainsi au Cambodge. Relevant de Bangkok, où les organes onusiens avaient reçu instruction de n'employer que l'anglais dans la zone asiatique, nos ONG étaient priées de ne travailler que dans la langue des autres grands présents : Américains et Australiens, dont les publications gouvernementales prônaient le passage complet du Cambodge à l'anglais, alors même qu'il faisait sa rentrée officielle dans la communauté francophone et confiait pour l'essentiel à la France la renaissance de son enseignement supérieur. Les véhicules de l'A.P.R.ONUC. ne portaient que le sigle " U.N. ", et les gendarmes français en mission de formation de leurs homologues khmers, étaient priés de les former en anglais et de traduire dans cette langue leurs documents d'instruction.
Ainsi encore dans l'ex-Yougoslavie, au cœur de l'Europe, dans une région où l'influence politique et culturelle de la France avait été forte jusqu'en 1940, et où la France fournit le quart des casques bleus, et prit l'essentiel des initiatives diplomatiques. Nos postes au Maghreb, en Afrique francisante, à Madagascar, font état de pressions pour le passage à l'anglais subies par les gouvernements et les universités, de la part d'ambassades des États-Unis et de centres culturels relevant de l'U.S.I.S., qui n'hésitent pas, çà et là, à s'allier aux intégristes.
Dans les négociations du G.A.T.T. puis de l'OMC, le gouvernement américain a défendu avec une particulière vigueur les positions conformes aux intérêts des " majors " et des États-Unis, contre les " exceptions culturelles " et les quotas, au nom du libre échange. Or il faut ici rappeler qu'en 1946, dans le cadre du plan Marshall, le gouvernement américain a imposé au gouvernement français une clause des accords dits " Blum-Byrnes " selon laquelle la France s'engageait à projeter sur ses écrans au moins 30 % de films américains : Washington a bien alors imposé des quotas là où le libre échange ne suffisait pas encore pour conquérir les marchés... Ces quotas ont contribué depuis lors à mieux ancrer le rêve américain, ses modes de comportement et ses produits, dans l'esprit des jeunes Européens, à en créer et alimenter le besoin. Une extrême vigilance s'impose donc à l'égard de cette puissance, ainsi relayée et sciemment renforcée par l'action de Washington.
Faiblesses et forces des Français
Il ne faut pas pour autant coller à notre allié l'image du Rattenfänger, du preneur de rats de la légende allemande. D'abord, les Européens, notamment les Français, ont payé leur dette envers les États-Unis. Ensuite, le détournement ou vol de notre jeunesse, prise par le cinéma, les fictions et jeux télévisés, les jeux vidéo, les musiques et rythmes, les modes, les sports, les sous-cultures d'outre-Atlantique, les inscriptions américaines sur leurs jeans, leurs blousons et leur matériel scolaire, sont loin d'être imputables aux seuls Américains. Ce sont des entreprises très majoritairement européennes et françaises qui commandent et diffusent ces produits. Quant aux media et agences de publicité français, ils sont loin de tous dépendre d'investissements et stipendes " US ".
Quand des universités et centres de recherche français, vivant quasi exclusivement de l'argent des contribuables, organisent chez eux, nonobstant la loi Toubon de 1994, des colloques et congrès auxquels ils convient, en anglais, une majorité de francophones ou parlant français, et leur imposent l'usage exclusif de l'anglo-américain dans leurs communications orales et écrites, ainsi que dans les débats, on ne peut toujours invoquer les exigences de " parrains-sponsors " anglo-saxons. Quand le CNRS et des universités font dépendre la promotion de chercheurs français de publications dans les revues américaines et des citations de Garfield ; quand de grandes entreprises françaises, telle Alcatel, imposent en France à leurs employés français, l'anglais en communication interne, hors de toute vraie justification ; quand des représentants du gouvernement français baissent trop facilement les bras devant les attaques contre leur langue dans les organisations internationales ; quand une direction de Bercy écrit en anglais à ses correspondants de l'Union européenne dont le français est langue de travail ; quand de nos meilleurs cinéastes, invoquant la conquête des marchés anglophones, démontrent la nécessité de tourner directement une version originale " française " en américain avec, bien sûr, des acteurs américains plus à l'aise dans cette langue ; quand ils obtiennent des aides publiques parce qu'ils ont promis au C.N.C. de tourner aussi une version originale en français rarement faite ; quand ils persévèrent malgré l'efficace protectionnisme d'outre-Atlantique, et y " font " moins d'entrées que le Cyrano produit et diffusé en français, en vers... et contre tous ; quand une partie de l'intelligentsia, la majorité des media, les publicitaires et divers milieux d'affaires, tournent en dérision la modeste loi Toubon et faussent sciemment le débat qui l'a précédée et suivie, alors que 93 % des Français l'approuvaient ; quand de brillants devanceurs de la modernité, tel Alain Minc, conseillent aux jeunes mères françaises d'apprendre l'anglais à leurs enfants dès leur naissance, afin qu'au nom de la compétitivité notre peuple abandonne sa langue désuète beaucoup plus vite que les peuples de Gaule romaine ne l'avaient fait du celtique pour passer au latin ; quand, enfin, les media nous décrivent avec délectation les modes, lubies ou plaies nouvelles de la société américaine comme la préfiguration inéluctable de notre avenir ; c'est bien d'abord contre des tendances proprement françaises qu'il faut lutter, contre le comportement d'élites dévoyées, à remplacer.
Il n'y a pas que des aspects négatifs de défaitisme ou de vichysme dans cette attitude. Si elle apparaît plus marquée que dans d'autres grands pays, c'est aussi pour des raisons plus nobles : la traditionnelle ouverture aux influences extérieures, l'habitude gallique de chanter au lever des nouveaux soleils comme si le chant en était la cause, et la soif d'universalisme. Le sentiment plus ou moins confus de devoir agir pour l'élévation de l'humanité amène sans doute à considérer que, si la France n'est plus le levier de l'universel et le guide de l'humanité, et que d'autres reprennent le flambeau, il vaut mieux se joindre à eux, si possible dans le peloton de tête, plutôt que rester à l'écart du grand mouvement.
Pour ceux qui pensent que la France et la francophonie, telle qu'elle se développe à l'heure actuelle, restent ou redeviennent un grand espoir, un modèle attrayant et cohérent qui répond à la fois au besoin de constituer de grands ensembles solidaires et de maintenir et épanouir l'immense richesse des diversités, il est temps de réagir.
III- INCLURE LA FRANCOPHONIE DANS LA POLITIQUE ETRANGERE
Comment inclure la francophonie dans la politique étrangère ? D'abord, cela ne saurait conduire à une ligne Maginot, au repli frileux, qui seraient contraires à ce qu'il faut défendre. Le message est universaliste, la francophonie est dialogue des cultures. La culture française, humaniste, ne peut que rester ouverte aux autres, puisqu'elle a toujours tiré de l'ouverture et de l'échange son universalité même. Il convient de mener, dans la guerre culturelle qui nous est faite, un combat de même nature, d'abord là où les attaques défient directement notre volonté et nos capacités de réaction : en France et dans la communauté francophone. Cela suppose que la volonté politique qui paraît renaître depuis quelques années en France au sujet du destin national, des valeurs républicaines, de la langue française et de la francophonie, s'affirme beaucoup plus nettement.
De même qu'en 1940, dans la défaite, l'esprit de résistance a pu être conforté par l'analyse lucide des rapports de forces mondiaux selon laquelle la puissance allemande, apparemment irrésistible, pouvait et devait être vaincue par des puissances supérieures, de même aujourd'hui l'analyse des évolutions démographiques, politiques, économiques et sociale de la planète laisse prévoir, à terme peut-être plus rapproché qu'on ne le pense, l'échec des fondamentalismes, et le déclin ou l'effondrement de l'empire américain, le dernier en date des grands empires de notre temps. Il vaut mieux ne pas figurer, après lui avoir tout sacrifié, parmi les derniers bons sujets du Bureau ovale, et se prémunir, à cette occasion, contre l'hégémonie suivante.
Francophonie et défense
Une défense nationale culturelle de la francophonie peut constituer un élément important d'adaptation de notre politique étrangère. En effet, la solidarité privilégiée avec les pays francophones et francisants peut avoir des aspects militaires. Il faut être en mesure de leur apporter l'aide militaire qu'ils solliciteraient. Même sans accords de défense, qui existent pourtant dans plusieurs cas. Toujours au titre de la solidarité privilégiée, la prévention, la limitation et le règlement des conflits à l'intérieur de l'espace francophone entraînent la définition d'une priorité géographique dans nos interventions, qu'elles soient ou non menées sous l'égide de l'ONU. Au nom d'une " préférence francophone " de la France, il lui incombe davantage de mener une opération Turquoise au Rwanda, ou d'agir avec l'ONU au Cambodge, que de se perdre, auxiliaire en anglais d'intérêts américains, dans une Tempête du désert, ou de participer au fiasco de Somalie. Lorsque la France fournit à l'ONU, où que ce soit, d'importants contingents de casques bleus, elle doit en toutes circonstances exiger l'emploi du français à parité avec l'anglais, conformément à la charte, et donner la consigne à ses officiers et soldats d'illustrer leur langue. Que tel général français ait tenu à Sarajevo des conférences de presse uniquement en anglais, fut moins une élégance qu'une humiliation de plus.
Les devoirs de l'État français
Il incombe aussi à l'État de prouver à la communauté francophone qu'il prend la francophonie au sérieux. D'abord en assumant pleinement la responsabilité — non unique mais première — de la France à l'égard du français et de sa place dans le monde :
– en complétant et en appliquant la loi sur l'emploi de la langue française du 4 août 1994 et la " circulaire Balladur " aux agents publics datée du 12 avril 1994 ;
– en augmentant les moyens budgétaires de la diffusion du français à l'étranger ;
– en ancrant dans la Constitution, lors d'une prochaine révision, l'engagement de la France dans la construction de la communauté francophone ;
– en assurant l'utilisation aisée et complète, avec tous ses signes diacritiques, de la langue française et des données en français dans les " inforoutes ", internet et autres grands réseaux de communication, là encore en conjuguant nos efforts avec ceux de nos partenaires francophones, notamment québécois ;
– en faisant bénéficier des langues de pays francisants, tels l'arabe, le portugais, le vietnamien, des recherches de la communauté francophone sur l'ingénierie linguistique et les grands réseaux d'information ;
– en menant en France, dans l'enseignement et les media, une action d'envergure et de longue haleine pour sensibiliser le grand public à la dimension mondiale de la langue française, aux réalités et enjeux de la francophonie, à l'espoir communautaire qu'elle représente, à la coopération et à la solidarité privilégiées entre ses membres ;
– en posant clairement que la France ne consentira pas à devenir l'Oklahoma, voire la Californie, d'une Europe à l'américaine, unifiée et " coquetélisée " en anglais.
À cette clarification interne, il conviendra d'ajouter une action déterminée au sein des instances européennes, afin que celles-ci :
– réaffirment le principe d'une Europe plurielle, fondée sur la diversité de ses langues et cultures, assorti d'une promotion vigoureuse du plurilinguisme dans tous les systèmes scolaires de l'Europe, et de l'exigence de la possession par les fonctionnaires de l'Union, de deux langues européennes en sus de leurs langues maternelles, conformément à la recommandation adoptée à l'unanimité par le Conseil de l'Europe en septembre 1998 ;
– assurent une représentation forte des A.C.P. francisants dans les interventions du F.E.D. (Fonds européen de développement) ;
– réduisent sensiblement la prépondérance de l'anglais dans les grands programmes et travaux communautaires (EUREKA, ERASMUS, transports, industries de la langue...).
Dans les institutions internationales, notamment les organes de l'ONU, l'OCDE, comme dans les instances de l'Union européenne, la France devra, en liaison avec l'ensemble de la communauté francophone, veiller sans faiblesse et en toutes circonstances au strict respect des dispositions statutaires concernant le français langue officielle et de travail. À l'intérieur même de la communauté francophone, la France aurait intérêt à étudier avec ses partenaires les conditions de mise en œuvre d'une certaine " préférence communautaire francophone ", et d'adaptation corrélative de ses propres lois et réglements, dans les domaines des flux de personnes, des échanges de biens et de services, et des aides au développement qu'elle accorde :
1/ La circulation des personnes ne peut faire l'objet, en francophonie qui n'est pas une communauté pleine et entière reposant sur des traités, d'une liberté comparable à celle que l'Union européenne va permettre. Mais il sera de plus en plus délicat d'opposer à un Québécois, Ivoirien ou Marocain francophone, des obstacles à l'accès à notre territoire et au droit d'établissement exactement identiques à ceux qui s'appliquent aux ressortissants de pays réellement étrangers qui ne maîtrisent pas notre langue. Il serait dans la logique d'une politique francophone cohérente de reconnaître un privilège d'accès, en quelque sorte un " plus de citoyenneté ", qui ne remette pas en cause l'essentiel des politiques d'immigration, légitimement restrictives, de la France et de l'Union européenne. Il devrait être possible de négocier l'attribution d'avantages spécifiques de " citoyenneté supérieure " de visas permanents et d'autorisations de travail, aux personnes qui ont été scolarisées en français dans des établissements à programmes proches de ceux de France, ou dont les parents ont été français ou frères d'armes des Français. Cela pourrait valoir quelle que soit leur origine, avec un " bonus " supplémentaire pour les ressortissants de pays membres de la francophonie. En outre, l'attribution du statut de réfugié politique pourrait être simplifiée, accélérée, voire favorisée, aux personnes francisées venant de cette communauté.
2/ En ce qui concerne les flux de biens et services, les modalités d'une préférence communautaire devraient être mises à l'étude par la francophonie et négociées au sein des Communautés dont ses membres font partie, telles l'ALENA et l'UE, ainsi que dans l'OMC (Organisation mondiale du commerce). Cette préférence, qui pose de redoutables problèmes, pourrait être limitée aux biens et services culturels : livres, revues et journaux, disques, films, cassettes, données...
3/ Les investissements et partenariats d'entreprises en francophonie pourraient être encouragés par des modalités particulières de garantie, ou d'incitations fiscales, et l'accentuation des actions entreprises pour harmoniser les législations et réglementations en matière de droit des affaires, assurances, douanes...
4/ Enfin, la préférence francophone pourrait, au moins en ce qui concerne la France, trouver une application significative et exemplaire dans la politique d'aide au développement et de coopération technique. Les pays du " Sud ", voire ceux de l'Est européen, qui sont membres de la francophonie, bénéficieraient d'une priorité très forte parmi les receveurs d'aide. Certains d'entre eux, en Afrique au Sud du Sahara, dans l'Océan Indien et les Antilles, se trouvent déjà privilégiés par leur situation dans l'ancien champ du ministère de la Coopération, et bénéficient de son F.A.C.(Fonds d'aide et de coopération), de sa coopération militaire ainsi que de l'A.F.D.(Agence — ex Caisse — française de développement). Il suffirait d'étendre la " zone de solidarité prioritaire " à tous les autres pays en développement membres de la francophonie et à eux seuls, en augmentant corrélativement les moyens du FAC et du ministre de la Coopération et de la francophonie.
Il resterait, à l'intérieur de la communauté francophone, en s'appuyant sur ses institutions renforcées dans leur rôle politique et dans celui de contrôle des opérateurs, à augmenter l'ensemble des moyens de la coopération multilatérale et à veiller à sa complémentarité avec les coopérations bilatérales, dans le cadre des grands programmes mobilisateurs décidés par les sommets. Il resterait aussi, en cohérence avec tout ce qui précède, à obtenir de tous les membres qui souhaitent jouer pleinement leur rôle dans cette communauté, qu'ils renforcent chez eux la place du français langue officielle ou seconde, et qu'ils contribuent davantage, dans la mesure de leurs possibilités réelles, au financement des programmes dont ils bénéficient après avoir contribué aux décisions de mise en oeuvre.
Les propositions ainsi formulées correspondent à des demandes maintes fois exprimées au cours des dernières années par nombre de nos partenaires. Leur traduction dans les faits rencontre divers obstacles et objections. Elle nécessite donc une volonté politique claire et des décisions courageuses, d'abord de la France. La réussite d'une politique francophone raisonnablement ambitieuse est à ce prix.
Au cœur de la France
La francophonie, encore trop ignorée, se situe en fait au cœur de la France. Parce qu'elle est lieu et lien préservés, transposés, partagés avec de nombreux partenaires, de l'humanisme universaliste qu'a sécrété la culture française dans ses formes successives puis convergentes : chrétienne, révolutionnaire, et laïque. La francophonie doit être un axe privilégié de notre politique étrangère. L'espoir que représente pour le monde cette communauté au-dessus des clivages géographiques, raciaux, religieux, idéologiques, sociaux et économiques, n'a pas à se laisser occulter ou couper la parole, ni par les fondamentalismes, ni par le " rêve américain ". L'humanisme universaliste, le dialogue des cultures, les droits de l'homme, l'État de droit et la démocratie, la solidarité privilégiée pour le développement, sont d'inspiration largement française. Ils sont aussi les éléments principaux de la coopération multilatérale francophone. Qu'ils soient ceux de l'axe francophone de notre diplomatie.
Si la France est une puissance culturelle et d'influence au moins autant que politique et économique, si elle est une des plus grandes puissances culturelles, elle doit s'élever au-dessus du jeu commun des relations internationales. Elle doit se doter d'une politique étrangère appropriée, originale. Elle doit " marcher sur les deux jambes " dans un double sens : 1/ traiter la culture au moins aussi bien que les affaires ; 2/ traiter la communauté francophone avec autant de soin que l'Europe.
Joseph Staline demandait, méprisant : " Le pape ? Combien de divisions ? " Il pensait qu'aucune force spirituelle ne pourrait menacer l'empire soviétique matérialiste. Celui-ci s'est effondré après sept décennies d'existence. Peu de chose, au regard de l'Histoire. D'autres empires s'effondreront, plus tôt qu'on ne le pense. En attendant, la France surmontera-t-elle une fatigue que l'on espère passagère ? Saura-t-elle, dans cette guerre qui, somme toute, tue peu d'êtres humains mais touche les esprits et les cœurs, rassembler ses forces et " tenir " à la fois sur le front intérieur et dans une politique étrangère correspondant enfin à tous ses intérêts vitaux et à ceux de ses amis les plus proches ?
A. S.