LIBERTE POLITIQUE n° 39, hiver 2007.
Par le Dr Xavier Mirabel* (extrait). La loi fin de vie dite loi Leonetti du 22 avril 2005 a été saluée pour avoir évité la légalisation de l'euthanasie. Cette loi souffre pourtant de graves ambiguïtés : la possibilité d'arrêter l'alimentation et les directives anticipées.
LA LOI FIN DE VIE dite loi Leonetti du 22 avril 2005 a été saluée pour avoir évité la légalisation de l'euthanasie. Cette loi souffre pourtant de graves ambiguïtés : la possibilité d'arrêter l'alimentation ¬et les directives anticipées. On ne peut cesser de donner des soins à un mourant, mais celui-ci peut (avoir) demander la fin de ses traitements auxquels on associe l'alimentation et l'hydratation (Xavier Mirabel).
La loi se soumet à la survalorisation du principe d'autonomie du malade aux dépens de la relation patient/médecin, qui a toujours régi l'éthique du modèle hippocratique (Pierre-Olivier Arduin). Mais au-delà de la subjectivité du malade, et de sa relation avec le personnel soignant, c'est la subjectivité du médecin qui est également mise en cause : est-ce à lui de déterminer les critères de la mort (Alejandro Serani Merlo) ?
IL Y A QUELQUES MOIS, une infirmière demandait de l'aide sur le site www.sosfindevie.org . Elle était confrontée à une personne âgée en situation de dénutrition, incapable de s'alimenter, qui refusait la sonde d'alimentation proposée et posée par les soignants et qui avait arraché cette sonde. L'équipe soignante envisageait de poser une nouvelle sonde en utilisant, si nécessaire, une contention pour empêcher la personne malade de l'arracher à nouveau. En désarroi, l'infirmière s'interrogeait : Que dit la loi ? Poser la sonde sous la contrainte, est-ce de l'acharnement thérapeutique ? Ne pas la poser est-ce une euthanasie ? Que pouvons-nous faire pour bien faire ?
Nourrir pour prendre soin
Les questions posées sur le site SOS-Fin de vie montrent que de nombreux soignants en gériatrie, en soins palliatifs, en neurologie ou en réanimation s'interrogent sur l'alimentation et son éventuel arrêt. Donner à manger ou à boire est pourtant une des obligations que nous avons les uns envers les autres. Et notre besoin de nourriture persiste quel que soit notre état de santé. Dans toutes les cultures, manger est associé au bien-être et à la convivialité. L'alimentation porte une forte charge symbolique, particulièrement en France. Dans une vision chrétienne, l'alimentation et l'hydratation prennent une importance encore plus évidente . Que l'on pense à certaines pages de l'évangile : les noces de Cana, la multiplication des pains, la guérison de la fille du chef de la synagogue ou la dernière Cène. Le sacrement de l'eucharistie est au cœur de la foi catholique. Quant à la privation d'alimentation, sa valeur symbolique et sa portée émotionnelle sont évidentes. Le risque vital qu'elle fait courir aux personnes en fait trop souvent une arme. Citons les famines provoquées par les régimes communistes ou plus récemment par le régime islamique soudanais ou encore, plus proche de nous, l'emploi de la grève de la faim comme arme politique.
I- LA LOI FIN DE VIE , PORTE OUVERTE A L'EUTHANASIE PAR ARRET D'ALIMENTATION ?
Cette loi, votée le 22 avril 2005, est née de l'émotion suscitée par l'euthanasie de Vincent Humbert. À l'époque, l'état de l'opinion et de la représentation nationale pouvaient nous faire craindre une rapide dépénalisation explicite de l'euthanasie. Alors que la logique euthanasique pouvait apparaître comme inéluctable, le travail de la mission parlementaire présidée par Jean Leonetti aboutit finalement à une proposition de loi acceptée — fait remarquable — à l'unanimité des participants à la mission. Sans doute le pire a-t-il été évité : l'euthanasie légale semble récusée. Le ministre de la Santé vante une troisième voie à la française : ni acharnement thérapeutique ni euthanasie. Cette loi souffre pourtant de graves ambiguïtés. Deux points nous intéressent ici : la possibilité d'arrêter l'alimentation et les directives anticipées. L'exposé des motifs affirme que l'alimentation est un traitement. Or le malade peut refuser tout traitement (article 3) et peut formuler ce refus par des directives anticipées qui s'appliqueront s'il est dans l'incapacité de s'exprimer. Ainsi est-il probable que ce texte sera utilisé pour justifier des arrêts d'alimentation ayant pour objectif de faire mourir : ces arrêts d'alimentation pourront alors être qualifiés d'euthanasiques.
Médecins et politiques assument une dérive euthanasique
Au cours de la discussion parlementaire, l'interprétation euthanasique du texte a été revendiquée par certains. Pierre-Louis Fagniez (UMP) s'est référé aux protocoles d'arrêts simultanés d'hydratation et d'alimentation jugés efficaces dans l'État américain de l'Oregon : ils entraînent la mort progressive, sans douleur — affirme-t-on — surtout si on accompagne ce processus d'une sédation. Lorsqu'on arrête l'alimentation, stopper l'hydratation progressivement est plutôt un élément de confort pour le malade. Les spécialistes de l'État de l'Oregon, qui pratiquent le suicide assisté par arrêt de la nutrition ou injection de substances mortifères, sont parvenus à la conclusion que la meilleure formule est la diminution progressive de la nutrition et de l'hydratation. Après le vote de la loi, de nombreux commentaires confirment ces craintes. Les députés Jean Leonetti (UMP), Nadine Morano (UMP) et Gaëtan Gorce (PS) [...] considèrent que si cette législation avait été en vigueur en 2003, il n'y aurait pas eu d'affaire Humbert. Vincent aurait demandé et obtenu l'arrêt de l'alimentation artificielle dont dépendait sa vie, et il aurait bénéficié d'un accompagnement de soins palliatifs, font-ils valoir .
Dans une tribune du Monde, des personnalités revendiquent l'interprétation euthanasique du texte : Ces patients nécessitant souvent des soins importants pour être maintenus en vie, leur simple arrêt conduit le plus souvent au décès sans qu'il soit nécessaire d'arrêter l'alimentation, une solution qui reste néanmoins possible en ultime recours. Le Professeur Sadek Beloucif, membre du Comité consultatif national d'éthique valide cette interprétation : Dans le cas extrême où la survie ne tiendrait qu'au maintien d'une alimentation artificielle ou de tout autre traitement de suppléance, la personne malade pourra exiger leur arrêt et la dispensation de soins palliatifs afin de lui assurer sans souffrance une mort digne et accompagnée. Les soins palliatifs en seront-ils réduits à proposer une sédation, c'est-à-dire un coma artificiel à ces patients qui doivent mourir de faim et de soif, afin que leur agonie ne soit pas trop pénible ? Jean Leonetti semble en effet vouloir nous rassurer sur la douceur du processus : lorsque les malades ont le choix, comme dans l'État américain de l'Oregon, entre une injection létale et l'arrêt de l'alimentation artificielle, en soins palliatifs, ils préfèrent de loin cette dernière solution qui est beaucoup moins brutale . Pour le Professeur Louis Puybasset, la loi apporte des solutions concrètes aux cas les plus difficiles : le patient conscient, qui souhaite l'interruption des traitements et dont la survie dépend de techniques artificielles incluant l'alimentation et l'hydratation administrées par sonde et le patient en état végétatif chronique dont le diagnostic est établi et le pronostic définitif.
Il semble donc bien y avoir une forme de consensus : la loi fin de vie , tout en prétendant récuser toute forme d'euthanasie, ouvre la porte à l'arrêt d'alimentation et d'hydratation dans un but euthanasique, une façon très efficace, progressive et, nous dit-on, très douce de provoquer la mort. Il faudra voir comment la jurisprudence tranchera les éventuels conflits qui ne manqueront pas de survenir.
La loi fin de vie , cheval de Troie de l'euthanasie
Si la loi fin de vie est une porte ouverte à l'euthanasie, ce n'est pas par hasard. L'arrêt d'alimentation et d'hydratation est en effet revendiqué depuis longtemps par les militants de l'euthanasie. Le Dr Helga Kube, bioéthicien australien, au cours de la Ve conférence mondiale des Associations pour le droit de mourir dans la dignité, qui se tenait à Nice en septembre 1984, nous révélait cette stratégie : Si nous pouvons obtenir des gens qu'ils acceptent le retrait de tout traitement et soin, spécialement l'arrêt de toute nutrition et hydratation, ils verront quel chemin douloureux c'est de mourir, et alors, pour le meilleur intérêt du patient, ils accepteront l'injection létale . C'est une forme d'assistance au suicide dans la mesure où il faudra bien que le médecin aide l'intéressé, le cas échéant, à débrancher l'appareillage d'hydratation et d'alimentation artificielle. La solution légale est d'autant plus inquiétante qu'elle pourrait même être étendue aux malades inconscients . Et la dérive euthanasique n'aura pas tardé : On rapporte des premiers cas d'arrêt d'alimentation et d'hydratation suivis de mort. Il s'agit bel et bien à chaque fois de meurtres délibérés à l'appui de la loi Leonetti .
Ces théories en faveur de l'arrêt d'alimentation et d'hydratation sont sous-tendues par une idéologie mortifère basée sur un dualisme philosophique radical. Il n'est pas besoin d'appeler à la rescousse les penseurs des périodes les plus noires de notre histoire européenne pour trouver des théoriciens justifiant l'euthanasie. Pour certains comme le Dr Rabenek, du département d'éthique de Houston, qui a beaucoup publié sur l'alimentation en fin de vie et qui a donc fortement influencé les idées sur cet enjeu, la vie des ces malades en état végétatif n'a rien de ce qui fait une vie humaine de valeur, ils ne peuvent connaître aucune qualité de vie . Avec de telles prémisses, on ne s'étonnera pas de voir des équipes médicales récuser toute alimentation pour ces malades.
Les principes de la bioéthique américaine sont enseignés dans toutes les universités françaises. Quand on découvre les écrits de certains de ses théoriciens, cela fait froid dans le dos ! Pour Tristram Engelhardt, les fœtus, les nourrissons, ceux qui sont gravement handicapés au point de vue mental et ceux qui sont dans un coma irréversible sont des exemples d'êtres humains qui ne sont pas des personnes . Notre époque ne manque donc malheureusement pas de penseurs pour justifier l'euthanasie et de médecins pour l'appliquer. Et la dialectique des partisans de l'arrêt d'alimentation se fait parfois très explicite, certains dénommant la nutrition artificielle traitement de prolongation du mourir . Les conséquences sont violentes. Par exemple, on en est arrivé à refuser les soins ordinaires les plus élémentaires, et même l'alimentation, à des enfants nés avec des handicaps ou des maladies graves .
II- L'ALIMENTATION ASSISTEE PAR LA MEDECINE
L'arrêt ou l'abstention d'alimentation ou d'hydratation peuvent donc être utilisés dans un but euthanasique. Pour s'en garder, faudra-t-il toujours et à tout prix maintenir voire imposer une alimentation, éventuellement avec des techniques médicales complexes ? Il s'avère que la question n'est pas simple.
Les enjeux complexes de l'alimentation artificielle
Le recours à l'alimentation par sonde, en particulier depuis la mise au point dans les années quatre-vingt de la technique de la gastrostomie percutanée par voie radiologique ou endoscopique, s'est rapidement et considérablement développé. On distingue l'alimentation parentérale qui court-circuite le tube digestif en utilisant une perfusion par voie veineuse et l'alimentation entérale qui utilise le tube digestif, l'alimentation étant administrée au moyen de sondes : sonde naso-gastrique passant par le nez et descendant dans l'estomac, sonde de gastrostomie traversant la paroi abdominale pour aboutir directement dans l'estomac ou jéjunostomie dans l'intestin.
[Fin de l'extrait] ...
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*Cancérologue, président de l'Alliance pour les Droits de la Vie, coordonnateur du collectif Vigilance fin de vie