IL EST DIFFICILE DE PARLER DU VIEILLISSEMENT sans parler d'abord de la fécondité. En termes très simples, l'indice de fécondité dont nous allons parler énonce le nombre moyen d'enfants par femme en âge de reproduction.
Plus précisément, la fécondité se mesure par l'indice synthétique de fécondité (ISF). Celui-ci exprime le nombre moyen d'enfants qu'une femme devrait avoir au cours de sa vie féconde (c'est-à-dire de 15 à 49 ans) si les taux partiels de fécondité actuellement observés devaient rester constants pendant toute cette période.
De la chute de la fécondité au vieillissement
Dans les pays jouissant des meilleures conditions sanitaires et autres, pour qu'une population se renouvelle, chaque femme devrait avoir 2,1 enfant. Or à l'échelle mondiale, on observe une chute généralisée de la fécondité. Des 220 pays répertoriés en 2004 par le Population Reference Bureau de Washington, 79 ont un ISF égal ou inférieur à 2,1. Cette chute est particulièrement marquée en Europe, où la fécondité est à hauteur de 1,4. En France il est de 1,9, grâce surtout à l'immigration ; en Belgique de 1,6 ; en Allemagne, Italie et Espagne, de 1,3. Par contraste, il est de 2,5 en Turquie.
Cette chute de la fécondité se répercute sur l'effectif de la population. En 2004, l'Europe comportait 728 millions d'habitants ; en 2050 elle en comportera 668. Dans la même période, l'Allemagne passera de 83 millions à 75 ; la Russie, de 144 à 119 ; l'Italie, de 58 millions à 52. Par contraste, la Turquie passera de 71 millions à 97 millions.
Les causes de cette chute
Nous nous bornerons à une énumération sommaire, car ces causes sont généralement faciles à saisir.
1. Le mariage est retardé. L'âge moyen de la première maternité augmente. Les gens se marient moins qu'avant ; ils divorcent plus facilement.
2. Beaucoup de femmes optent pour un travail rémunéré. L'éducation des filles s'améliore et elles sont entraînées dans le système de production économique ou les services.
3. La perception des enfants a changé : ils sont souvent perçus comme un droit , voire une propriété, l'objet d'un choix entre d'autres biens .
4. Le passage du style de vie de la campagne à la ville accentue l'individualisme.
5. Les pressions eugéniques se manifestent à l'occasion de l'amniocentèse et/ou de la sélection du sexe.
6. Les législations sont généralement défavorables à la famille. L'aide familiale est souvent confondue avec l'aide sociale.
7. La télévision contribue fortement à détruire les valeurs familiales.
8. Les politiques de crédit favorisent l'endettement en vue de la consommation, et l'enfant est perçu comme un obstacle à celle-ci.
9. Les techniques antinatalistes : contraception, avortement, stérilisation, etc. En Europe, 75% des femmes en âge de vie reproductive utiliseraient une méthode de contraception. En Belgique : 79% ; en Angleterre : 84%.
Conséquences de la chute de la fécondité
1. Le vieillissement, c'est-à-dire l'augmentation du nombre et de la proportion des personnes âgées. Le vieillissement présente deux facettes : d'une part, le vieillissement par le haut de la pyramide des âges, qui résulte de l'augmentation de l'espérance de vie , elle-même due à l'amélioration générale des conditions de vie et aux progrès de la médecine ; d'autre part, le vieillissement par le bas, qui résulte du déficit des naissances, lui-même dû à la chute de la fécondité.
2. Le vieillissement se reflète également dans l'âge médian d'une population. L'âge médian est celui qui divise une population en deux parties égales : ceux qui ont plus que tant d'années et ceux qui ont moins que tant d'années. L'âge médian de l'Europe est actuellement de 39 ans. On prévoit qu'en 2050 il sera de 54 ans. Quel y sera alors le nombre de femmes en âge de fécondité et quel sera leur niveau de fécondité ? Notons que l'âge médian du Brésil est actuellement de 26 ans ; celui du Yémen, de 18 ans.
3. Le vieillissement entraîne l'augmentation du taux de dépendance, c'est-à-dire du rapport entre les actifs (ceux de 15 à 64 ans) et les dépendants. Ceux-ci sont de deux sortes, jeunes ou vieux : ils ont soit de 0 à 14 ans, soit plus de 65 ans.
L'exemple de l'Allemagne en 1999 est significatif : sur 100 habitants, 15,8 ont 65 ans et plus ; pour 100 habitants actifs (de 15 à 64 ans), il y a 23,2 habitants dépendants de 65 ans et plus ; pour 100 habitants actifs (de 15 à 64 ans), il y a 46,6 habitants dépendants jeunes (0-15 ans) plus les dépendants vieux (65 ans et plus).
Pour la France, les données sont respectivement : 15,8% ; 24,1% ; 53,2%.
Pour l'Italie: 17,4% ; 25,6% ; 47,0%
4. Le vieillissement entraîne la dépopulation : 19 pays d'Europe, dont la Russie et l'Allemagne, se dépeuplent. La Russie perd chaque année plusieurs centaines de milliers d'habitants ; le président Vladimir Poutine s'en est alarmé en mai 2006. D'où l'aggravation de problèmes géopolitiques ; pression de l'Inde et de la Chine.
5. Pour alléger le poids exercé par les vieillards dépendants, on organisera le renchérissement des médicaments ainsi que la pénurie des soins médicaux. Cette dernière se fera en particulier par l'instauration du numerus clausus dans les facultés de médecine.
6. L'augmentation du nombre et de la proportion des personnes âgées dépendantes fera, et fait déjà envisager l'euthanasie comme solution pour remédier aux déficits chroniques des mutuelles. La pression sera d'autant plus grave que les vieillards dépendants non seulement vivent plus vieux, mais qu'ils demandent des soins de plus en plus coûteux dans les ultimes années de leur vie.
7. On peut prévoir l'implosion du système de sécurité sociale : caisses de chômage, pensions de vieillesse, prépensions, etc. Les décisions indispensables à ce sujet sont sans cesse reportées pour des motifs électoraux. On continue à ne pas mettre en question des droits acquis qui ont cessé de se justifier.
8. Le vieillissement entraîne le collapsus du système éducatif. Le jeune public scolaire est généralement perçu comme électoralement peu intéressant. Les enfants sont perçus comme des dépendants qui obèrent le budget des couples et de la société. Or ils représentent un investissement à long terme. Le capital humain, la matière grise doivent être formés, à défaut de quoi les jeunes deviendront effectivement un poids et sombreront dans la marginalité et la délinquance. D'où la nécessité de valoriser, outre les parents, les enseignants et les éducateurs.
9. Désintérêt dramatique pour la recherche scientifique et pour la généralisation d'un enseignement de qualité. Le Rapport Schleicher (2006) a mis en évidence le délabrement du système éducatif en France, en Allemagne et en Italie.
10. Perte de la mémoire : culture, arts, techniques, toutes les disciplines scientifiques, religion, valeurs, etc. Des savoirs et des savoir-faire, des traditions artistiques ne se communiqueront ni ne se développeront plus faute de relais intergénérationnels.
11. Chômage : usines surdimensionnées suite à la contraction du marché. Cette situation est encore aggravée par l'augmentation de la productivité.
12. Perte du dynamisme ; refus de l'innovation et du risque. Des études récentes ont révélé récemment cette attitude en Allemagne.
13. Pressions migratoires : accentuées par le poids démographique des pays à fécondité relativement élevée et la perméabilité des frontières.
14. À l'horizon de 2030, on prévoit que 30% de la population de l'Allemagne sera d'origine étrangère. A l'horizon de 2050, quelque 50% de la population de Francfort et de Munich sera d'origine étrangère.
15. Déséquilibres entre les structures par âge des différents pays. Comparer les cas de la Turquie et de la majorité des pays européens.
16. Affirmation et visibilité affaiblies de la souveraineté, où la composante démographique intervient. La Chine et le Chili sont certes des nations souveraines, mais leur souveraineté doit être analysée compte tenu de leur population.
17. Défense nationale débilitée. L'ennemi potentiel qui menace la souveraineté est extérieur à la nation. Il est ce qu'il est, indépendamment de l'effectif démographique de la nation et de l'âge médian de sa population.
18. Place de l'Europe dans le monde : en 1950, 22% de la population mondiale ; en 2000, 12% ; en 2050, 7%. Cette évolution ne sera pas sans conséquences pour les pays en développement.
Que pouvons-nous faire ?
1. Nous informer, informer et prendre conscience de la gravité de la situation. Expliquer, par exemple, que la grande cause de la croissance démographique, ce n'est pas l'augmentation de la fécondité, laquelle est en baisse partout, mais l'augmentation de l'espérance de vie. Analyser ce que font les gouvernements, les organisations internationales publiques, les ONG, etc.
2. Éviter les pièges du vocabulaire : santé reproductive, maternité sans risque, famille, mariage, etc.
3. Démasquer l'installation progressive, à l'échelle mondiale, d'un système de droit purement positif s'inspirant de Kelsen . Ce système désactive peu à peu les institutions juridiques des nations souveraines et rend vaine toute référence aux droits inaliénables de tout homme.
4. Répondre aux aspirations de la plupart des jeunes. Des études récentes réalisées en Europe montrent que les jeunes couples souhaitent avoir 2,3 enfants ou plus. Or la fécondité effectivement observée est de l'ordre de 1,4 enfant. Beaucoup peut être fait pour combler cet écart.
5. Puisque la contraception, l'avortement, les stérilisations provoquent la chute de la fécondité et donc le vieillissement, lutter contre ces pratiques.
6. Reconnaître et honorer le rôle de la femme dans la société, et en particulier sa contribution à la formation intégrale du capital humain.
7. Lutter contre tout ce qui humilie et dégrade la femme : publicité, cinéma, érotisme, pornographie, etc.
8. Assurer une meilleure diffusion des méthodes naturelles de contrôle de la fécondité, spécialement les plus modernes et qui offrent une sécurité objective aux utilisatrices.
9. Favoriser et honorer la famille : expliquer le rôle de la famille dans la société et dans la formation du capital humain (Gary Becker). Proposer une imposition fiscale nettement dégressive selon le nombre d'enfants (Allan Carlson). Droit de vote dès le jour de naissance (Otto de Habsbourg). Affecter à la famille l'argent actuellement utilisé pour financer des avortements.
10. Honorer les familles nombreuses, ni les moquer, ni les culpabiliser. Veiller à ce que des logements convenables et des prêts avantageux soient accessibles.
11. Agir au niveau des réseaux éducatifs ; complémentarité parents-éducateurs (Amartya Sen). Acculturation des immigrés.
12. Intégrer les personnes âgées ; reconnaître leurs services. Envisager de retarder volontairement l'âge de la retraite.
13. Mobiliser les associations chrétiennes locales, nationales, internationales. Tirer grand parti de la doctrine de l'encyclique Deus caritas est.
14. Organiser le lobbying en coopérant à l'élaboration de programmes politiques.
15. Insister auprès des Pasteurs pour qu'ils prêchent sur la solidarité entre générations, sur la visibilité de l'action des chrétiens dans la société, à travers les multiples institutions chrétiennes.
16. Veiller à ce qu'aucune institution chrétienne n'enseigne des idéologies inacceptables (cf. la théorie du gender) ou ne pratique des actes moralement illicites (cf. cliniques chrétiennes où se font des avortements et des stérilisations). Là où il y a lieu, envisager l'objection de conscience pour les personnes, mais aussi pour les institutions.
M. SCH.
*Professeur émérite à l'Université de Louvain. Il est consulteur du Conseil pontifical pour la famille, membre de l'Académie pontificale pour la vie, membre de l'Académie pontificale pour les sciences sociales et membre de l'Académie mexicaine de bioéthique. À la Rencontre de Valence, il faisait partie de la délégation accompagnant Sa Sainteté le pape Benoît XVI.
Vient de faire paraître : Le Terrorisme à visage humain, F.-X. de Guibert, 2006.
E-mail : schooyans@mora.ucl.ac.be