" Je le dis pour le bien de ma patrie, je le dis pour le bonheur de la génération présente et pour celui des générations à venir, le scepticisme outré, l'esprit d'irréligion transformé en système politique est plus près de la barbarie qu'on ne pense.
[...] Sachons qu'on n'afflige jamais plus profondément les hommes que quand on proscrit les objets de leur respect ou les articles de leur croyance. "
Jean-Etienne-Marie PORTALIS
(Discours du 5 avril 1802 au Corps législatif
pour la prIl n'est certes pas facile, par les temps qui courent, de prétendre impliquer Dieu dans des affaires d'ordre politique. Ni même de souhaiter le voir simplement invoqué dans un document juridique... On pourrait en redouter un risque d'instrumentalisation partisane ou de caution idéologique.
Toutefois, en Europe, ce risque est parfaitement illusoire car il y a longtemps qu'il n'est plus d'actualité. En effet, à l'occasion des travaux de la Convention sur l'avenir de l'Europe instituée par le Conseil européen de décembre 2001 à Laeken (Belgique) en vue d'élaborer des propositions de réforme des traités communautaires, la question s'est posée de savoir si des textes fondateurs et fondamentaux de la vie sociale peuvent nommer ce qui a constitué – et constitue encore pour beaucoup – le fondement de la vie, de la foi et du droit des peuples de tout un continent désireux de s'engager dans une nouvelle étape de son histoire : cet avenir commun doit-il et peut-il partir de rien, en ignorant délibérément l'acquis culturel, juridique et religieux qui a façonné la civilisation européenne ? Ou, au contraire, peut-il et doit-il consacrer un patrimoine qui a été si riche que le monde entier l'a reçu en partage ?
Le droit constitutionnel comparé peut aider à formuler une réponse en nous renseignant sur la façon dont les États européens ont, pour leur part, réglé la question au niveau national. À cette fin, on prendra pour référence les Constitutions en vigueur dans " l'Europe des Vingt-Cinq ", c'est-à-dire les quinze États membres de l'Union européenne et les dix pays d'ores et déjà admis à les rejoindre prochainement, sans s'interdire de mentionner, à l'occasion, l'expérience d'autres États d'Europe qui pourraient, un jour, y être candidats.
Dans les Constitutions européennes, on observe deux types de référence à Dieu, par invocation ou par évocation, à partir desquels on peut ouvrir une discussion.
INVOCATIO DEI
Dans l'Europe des Vingt-Cinq, un tiers des États (huit exactement) invoquent expressément Dieu dans leur Constitution : six le font logiquement, dans leur préambule constitutionnel, deux autres s'y réfèrent seulement dans le serment constitutionnel requis des autorités politiques, à l'instar de trois États qui l'ont déjà cité au tout début de leur Constitution.
DIEU DANS LES PREAMBULES CONSTITUTIONNELS
L'exemple le plus célèbre et le plus manifeste est un pays membre de l'Union européenne depuis plus de trente ans maintenant : la République d'Irlande.
Le préambule de la Constitution irlandaise de 1937 est, en effet, ainsi rédigé : " Au nom de la Très Sainte Trinité dont dérive toute puissance et à qui il faut rapporter, comme à notre but suprême, toutes les actions des hommes et des États, Nous, peuple d'Irlande, reconnaissant avec humilité toutes nos obligations envers notre Divin Seigneur Jésus-Christ qui a soutenu nos pères pendant des siècles d'épreuves, [...] désireux d'assurer le bien commun, dans un esprit de prudence, de justice et de charité... " L'article 6 confère au pouvoir du peuple une origine divine : " Tous les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire du Gouvernement proviennent, sous l'autorité divine, du peuple... " L'article 40 (§ 6, 1° i) assure le respect du nom de Dieu en punissant comme infractions les publications, les œuvres ou les paroles blasphématoires. Quant à l'article 44, il prescrit que " l'État reconnaît que l'hommage de l'adoration publique est dû au Dieu Tout-Puissant. Il vénèrera Son nom ; il respectera et honorera la religion. " Et la Constitution irlandaise se conclut par cette invocation finale : " À la gloire de Dieu et pour l'honneur de l'Irlande ! "
Pour autant, on sait qu'il n'y a, en République d'Irlande, ni religion d'État, ni Église d'État, ni même subventions d'État que la Constitution interdit à toute religion (art. 44, § 2, 2°). Il s'agit donc, en l'espèce, d'un cas original d'État chrétien non confessionnel.
La Grèce orthodoxe, comme l'Irlande catholique, s'est placée sous des auspices trinitaires : la Constitution révisée de 1975 commence par ces mots : " Au nom de la Trinité sainte, consubstantielle et indivisible... ".
L'Allemagne, membre fondateur du Marché commun en 1957, ouvre sa Loi fondamentale de 1949 en affirmant que le peuple allemand est " conscient de sa responsabilité devant Dieu et devant les hommes... ". Mention évidemment maintenue après le Traité d'Union du 31 août 1990 entre la République fédérale d'Allemagne et la République démocratique allemande.
Pour le Royaume-Uni de Grande-Bretagne dont la Constitution est en partie coutumière et en partie écrite, il faut remonter à la Magna Carta de 1215 par laquelle Jean Sans Terre accorde la Grande Charte " sous l'inspiration de Dieu " et " pour l'honneur de Dieu... ". Le Bill of Rights de 1689 invoque le " Dieu Tout-Puissant ". On sait aussi que, dans ce pays, le Souverain est reconnu comme le Defensor fidei... tout en se rappelant que ce titre lui avait été confié par le pape Léon X Médicis au début du XVIe siècle pour la défense de la foi catholique romaine !
La Pologne libérée s'est donnée, en 1997, une nouvelle Constitution qui proclame, dans un préambule souvent cité en exemple de convivialité respectueuse de toutes les convictions : " Nous, la Nation polonaise, tous les citoyens de la Pologne, à la fois ceux qui croient en Dieu comme source de vérité, de justice, de bonté et de beauté, aussi bien que ceux qui ne partagent pas cette foi mais se réfèrent à ces valeurs universelles comme provenant d'autres sources [...] Reconnaissant notre responsabilité devant Dieu et notre propre conscience... "
La France elle-même n'est pas aussi " laïque " que ses dirigeants veulent bien le dire. En effet, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qui a été conservée dans le droit positif de la Ve République puisque incorporée à la Constitution de 1958, a proclamé ces droits " ...en présence et sous les auspices de l'Être suprême... ".
Contrairement à ce qu'on a pu croire par la suite, " l'Être suprême " n'est pas seulement cette espèce de pseudo-divinité maçonnique inventée par Robespierre au printemps 1794, mais bien le Dieu des chrétiens, car c'est sous cette dénomination qu'en ont traité les théologiens des XVIIe et XVIIIe siècles.
En 1789, la mention de l'Être suprême s'est retrouvée dans la Déclaration, car elle avait été demandée par un grand nombre de constituants parmi lesquels, certes, les représentants du clergé et le très progressiste abbé Grégoire, mais aussi Pison du Galland, député du Tiers État de Grenoble, Mirabeau-Tonneau (le frère cadet du tribun d'Aix) qui avait proposé de mettre en tête du texte " l'ouvrage du plus grand des législateurs, le Décalogue ", ou Desmeunier, l'auteur de la formule définitive qui sera retenue pour refléter les convictions des Français majoritairement catholiques tout en respectant ceux qui professaient une autre religion.
Parmi les opposants, tous n'étaient pas pour autant athées ou anti-religieux car certains pensaient que " la présence de l'Être suprême étant partout, il est inutile de l'énoncer ". Il ne s'est donc nullement agi d'établir une proclamation d'athéisme ou d'agnosticisme officiel. L'adoption de cette mention a été d'ailleurs ressentie alors comme une défaite par les ennemis de l'Église et de la religion, et comme une victoire par le clergé. Mais, à cet égard, l'avenir montrera que la France catholique venait de vivre une nouvelle journée des dupes...
Il n'est pas inintéressant de noter aussi, hors l'Union européenne, le cas de l'Albanie dont l'emphase communiste avait fait " le premier État athée du monde " mais qui, redevenue libre, s'est dotée, en 1998, d'une Constitution qui s'ouvre en ces termes : " Nous, peuple albanais, fier et conscient de notre histoire tournée vers le futur dans la foi en Dieu ou en d'autres valeurs universelles ... "
Pareillement, la nouvelle Constitution fédérale de la Suisse, entrée en vigueur en 2002, fait explicitement référence à Dieu dès la première phrase : " Au nom de Dieu Tout-Puissant ! Le peuple et les Cantons suisses, conscients de leur responsabilité envers la Création... ". Pourtant, comme pour l'Irlande, la Suisse ne connaît ni religion ni Église d'État au niveau fédéral.
DIEU DANS LES SERMENTS CONSTITUTIONNELS
Sept Etats font de Dieu le garant de leur serment envers la Constitution et les lois du pays.
En Grèce, le Président de la République, tout comme les députés, s'engagent " au nom de la Trinité sainte, consubstantielle et indivisible ". La formule peut être adaptée pour les députés qui seraient d'une autre religion, mais pas pour le chef de l'État qui, en conséquence, ne peut être qu'orthodoxe (ou, à la limite, catholique puisque le dogme trinitaire est commun aux deux Églises).
L'Allemagne, les Pays-Bas, l'Irlande invoquent " Dieu Tout-Puissant " dans le serment requis du chef de l'État (président ou roi) : aux Pays-Bas, il s'applique aussi au régent, au président des États généraux, ainsi qu'aux ministres, députés et sénateurs ; en Irlande, il concerne, en outre, les membres du Conseil d'État et tous les juges (avec, pour ces derniers, la démission d'office en cas de refus, art. 34, § 5, 4°) ; en Allemagne, la référence religieuse du serment constitutionnel est facultative pour les dirigeants incroyants, ce qui a été le cas pour les membres du Gouvernement social-démocrate-vert du chancelier G. Schröeder.
À l'inverse, en Autriche, il n'y a pas de mention de Dieu prévue dans le serment d'entrée en fonction, sauf si le président ou les ministres le souhaitent.
En République de Malte, le Président de la République et les ministres concluent leur prestation de serment par : " Que Dieu me soit en aide ! ", mais ce complément est facultatif pour ceux qui ne le souhaitent pas, bien que le catholicisme soit religion d'État dans l'île.
En Grande-Bretagne, l'invocation et l'aide de Dieu ont naturellement leur place lors de la cérémonie du couronnement.
Alors que le Grand-Duché du Luxembourg a supprimé toute connotation religieuse de son serment en 1983, celle-ci demeure, hors Union européenne, au Royaume de Norvège pour le roi et le prince héritier, et en principauté du Liechtenstein pour tous les responsables politiques, administratifs et communaux. On notera que rien de tel n'a été prévu en Pologne.
EVOCATIO DEI
L'évocation de Dieu, c'est-à-dire une référence implicite à lui, peut se faire de différentes manières dans les Constitutions européennes.
Tout d'abord, toutes sans exception reconnaissent la liberté de religion, de croyance, de culte, et proclament le principe d'égalité de tous leurs citoyens devant la loi, indépendamment de leurs croyances ou incroyances. De même, elles rejettent toute discrimination religieuse, même là où une religion bénéficie d'un statut privilégié, sauf peut-être en Grèce pour les non-orthodoxes, qualifiés d' " hétérodoxes " ou " schismatiques " dans la Constitution hellénique de 1975 (art. 105 sur le Mont-Athos...), et où l'interdiction du " prosélytisme " (art. 13, § 2) peut donner lieu à une application contestable...
L'évocation de Dieu est ensuite perceptible dans trois États prochainement membres de l'Union européenne dont le préambule constitutionnel fait référence à un héritage religieux, soit explicitement pour la Pologne (" ...notre culture ancrée dans l'héritage chrétien de la Nation et dans les valeurs humaines universelles... ") et la Slovaquie (" ...héritage spirituel des saints Cyrille et Méthode... "), soit implicitement pour la République tchèque (" Décidés à partager et à faire fructifier ensemble les richesses naturelles et culturelles, matérielles et spirituelles qui nous ont été léguées... ").
On pourrait y ajouter, hors Union européenne, la République de Macédoine dont la Constitution de 1991 évoque " l'héritage historique, culturel, spirituel et étatique du peuple macédonien... ".
Mais Dieu est surtout évoqué par les Constitutions à travers les statuts qu'elles prévoient pour les religions ou les relations qu'elles organisent avec elles.
LES STATUTS CONSTITUTIONNELS DES RELIGIONS
Dans dix États, Dieu est indirectement visé dans le statut de droit public constitutionnellement accordé à une religion en particulier ou à plusieurs.
Certains pays se sont, en effet, dotés d'une Église d'État, à savoir :
l'Église évangélique luthérienne au Danemark (tout comme en Norvège et en Islande), mais plus en Suède depuis l'abrogation des dispositions constitutionnelles transitoires sur l'Église d'État en 2000. Seule demeure, dans la Constitution suédoise, l'obligation de la profession de foi luthérienne pour le monarque (art. 2 de la Constitution de 1809 maintenue) ;
l'Église anglicane, " Église établie " en Angleterre, et l'Église presbytérienne, " Église nationale " en Écosse, pour le Royaume-Uni ;
l'Église orthodoxe en Grèce (de même qu'en Bulgarie dont la Constitution postcommuniste déclare : " La religion traditionnelle en République de Bulgarie est le culte orthodoxe ", art. 13) ;
l'Église catholique à Malte (c'est aussi le cas dans les Principautés de Monaco et du Liechtenstein, et en République de Saint-Marin).
D'autres États européens ont opté pour une reconnaissance officielle ouverte à plusieurs confessions religieuses :
la Lituanie le prévoit expressément pour " les Églises et organisations religieuses traditionnelles et celles qui ont une base sociale " (art. 43-1), sans en faire pour autant des religions officielles puisque le même article 43-7 dispose qu'il n'y a pas de religion d'État en Lituanie ;
l'Espagne (art. 16, § 3), l'Italie (art. 8) et la Pologne (art. 25, § 4 et 5) citent nommément l'Église catholique du fait de son importance historique et sociologique mais envisagent leurs relations avec les autres confessions représentatives, ce qui a permis notamment des accords concordataires pour l'Église catholique et des ententes de droit interne avec les protestants, les juifs et les musulmans italiens et espagnols ;
en Suède, c'est l'Église luthérienne qui est citée dans la Constitution révisée avec les autres communautés religieuses, juridiquement toutes égales entre elles, malgré un certain avantage pour l'ancienne Église d'État puisque c'est une loi du Parlement (Riksdag) qui doit en fixer les fondements (chap. VIII, art. 6) ;
en Allemagne, enfin, l'absence de religion d'État rappelée par l'article 137, § 1 de la Constitution de Weimar repris par la Loi fondamentale de 1949, n'empêche pas l'octroi d'un statut de droit public aux religions réunissant certaines conditions juridiques et numériques leur permettant de percevoir des contributions privées et de recevoir des prestations publiques (art. 137, § 5 et 6, et 138, § 1 de Weimar). Les dispositions fédérales renvoient aux Länder pour leur application qui peut donc connaître des variations dans les différents droits locaux.
LES RELATIONS CONSTITUTIONNELLES AVEC LES RELIGIONS
En Europe, le principe de la séparation entre l'État et l'Église (ou les Églises) n'est pas aussi répandu qu'on le dit : il est affirmé tel quel dans les Constitutions de seulement six États : Hongrie (art. 60), Lettonie (art. 99 nouveau), Portugal (art. 41), République tchèque (art. 1 de la Charte des Droits fondamentaux), Slovaquie (art. 1) et Slovénie (art. 7), auxquels on peut ajouter la France en vertu du caractère laïque de sa République (art. 1). On pourrait rattacher à cette position le rejet explicitedu principede la religion d'État énoncé par quatre autres Constitutions : Allemagne (art. 137, § 1 de Weimar), Espagne (art. 16), Lituanie (art. 43), Estonie (art. 40) ; mais ce refus de privilégier une religion n'empêche pas les trois premières de prévoir des relations avec les différentes religions. Une catégorie à part doit être réservée aux deux États qui proclament l'autonomie et l'indépendance réciproques de l'Église et de l'État car tant l'Italie( art. 7) que la Pologne (art. 3) le font selon des termes qui n'ont rien d'antireligieux puisque ce sont ceux de l'encyclique Immortale Dei de Léon XIII sur la Constitution chrétienne des États (1885) repris par le concile Vatican II (Constitution pastorale Gaudium et Spes n° 76, § 3, de 1965).
Mais le principe de la coopération entre l'État et les religions est proclamé par neuf Constitutions sous différentes formes : en Allemagne (art. 137 et 138 de Weimar), en Autriche (art. 15 de la Loi fondamentale de 1867), en Espagne (art. 16, § 3), en Italie (art. 8) et en Pologne (art. 25, § 4 et 5) comme on l'a vu avec les reconnaissances de droit public, au Luxembourg (art. 22) où " l'Église " (sous-entendu : catholique) est nommément citée, en Suède où les communautés religieuses et l'Église de Suède sont régies par la loi et bénéficient du concours de l'État (art. 6 du chapitre VIII de la Constitution révisée en 2000), en Finlande où un statut quasi officiel est prévu par la Constitution de 1919 pour l'Église luthérienne (dont se revendiquent 90% de la population) de même qu'un statut particulier pour l'Église orthodoxe (première minorité religieuse du pays) et les autres communautés religieuses (art. 83 et 90), en Belgique dont la Constitution ne cite aucune religion mais fixe à la charge des fonds publics les " traitements et pensions des ministres des cultes " (art. 181), disposition similaire en vigueur au Luxembourg (art. 106), ce qui conduit les deux États à la reconnaissance juridique des diverses religions pratiquées sur leur sol.
Indépendamment du statut constitutionnel ou légal accordé ou refusé aux religions, deux tiers des États (16/25) de la prochaine Union européenne sont liés au Saint-Siège par un accord concordataire (dont treize depuis l'avènement du pape Jean-Paul II) : Allemagne (douze de ses Länder), Autriche, Espagne, France, Italie, Portugal, Luxembourg, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Slovaquie, Slovénie et République tchèque. Grâce à ces conventions conclues selon les règles du droit des traités, l'Église catholique voit ses droits et libertés garantis par le droit international public qui les met hors d'atteinte tant de législations nationales intempestives que de dispositions européennes restrictives.
On rappellera, enfin, pour mémoire que dix États sur vingt-cinq ont inscrit dans leur Constitution le droit à l'instruction religieuse ou à l'enseignement religieux : Allemagne (art. 7, § 2 et 3), Autriche (art. 17), Espagne (art. 27, § 3), Irlande (art. 42), Pays-Bas (art. 23, § 3), Portugal (art. 41), Lituanie (art. 40), Pologne (art. 53, § 3 et 4), Slovénie (art. 41) et République tchèque (art. 16, § 3). En outre, l'objection de conscience religieuse dans le domaine militaire est prévue dans la Constitution de l'Estonie (art. 124), de la Slovaquie (art. 25), de la Slovénie (art. 123) et de la République tchèque (art. 15, § 3).
De ce survol panoramique offert par le droit comparé, il ressort clairement que Dieu et/ou la religion sont présents dans la plupart des constitutions européennes qui, évidemment, – tout comme les accords concordataires – ne vont pas disparaître du paysage constitutionnel du continent après la réforme de ses institutions et la reformulation de ses traités.
Car ces références religieuses relèvent de ce que Tocqueville a appelé la " constitution sociale " (notion développée, au XXe siècle, par le juriste Maurice Hauriou) pour désigner le projet de société et les principes sociaux fondamentaux qui sous-tendent toute constitution politique lors de sa rédaction. La présence de Dieu n'y a donc rien d'étrange, de dangereux ou d'absurde .
La future Europe élargie ne pourra pas ne pas tenir compte du droit et des traditions des États et des peuples qui la composent. Car tout travail de codification quel qu'il soit est incompatible avec le préjugé de la tabula rasa. L'Europe politique et juridique ne peut naître du néant. Sinon ce ne serait rien d'autre qu'une construction factice et bureaucratique, plaquée – contre-plaquée, pourrait-on dire –sur des réalités désormais politiquement uniformisées, voire formatées, et idéologiquement corsetées...
Les réalités religieuses traitées par les droits nationaux européens ont donc pour effet de faire apparaître comme artificielle et inutile, la dispute juridico-théologique qui agite actuellement les esprits au sein de la " Convention européenne ".
DISPUTATIO DEI
On sait que le débat en cours parmi les " conventionnels " européens porte essentiellement sur :
la mention du nom de Dieu dans le préambule de la future charte de l'Europe élargie
les garanties juridiques tant pour la liberté religieuse – aussi bien individuelle que collective – des Européens que pour les institutions ecclésiastiques et religieuses auxquelles ils se rattachent
la reconnaissance du rôle social de ces institutions et de leur qualité d'interlocuteurs des pouvoirs publics européens.
Or, à maints égards et dans nombre d'États, ces requêtes – surtout la deuxième et la troisième –ont déjà été satisfaites dans les droits positifs nationaux. Car la liberté religieuse des citoyens et l'autonomie des institutions religieuses, ainsi que le dialogue social qu'elles souhaitent poursuivre avec les responsables politiques sont des exigences minimales de la vie démocratique.
Fondées sur le respect mutuel entre l'ordre temporel et l'ordre spirituel, ces dispositions sont à l'avantage des deux parties. D'ailleurs, s'agissant du statut juridique des Églises et autres communautés religieuses, le traité d'Amsterdam de 1997 a déjà réglé la question en énonçant, dans sa Déclaration n° 11, que l'Union européenne garantit le respect des solutions adoptées par chaque État membre (y compris donc les conventions concordataires conclues avec le Saint-Siège). Il ne devrait donc y avoir aucune difficulté à intégrer cet engagement dans le nouveau traité européen, ne serait-ce qu'en vertu du principe de subsidiarité qui devrait y être consacré. À l'instar de la Loi fondamentale allemande qui a étendu le régime juridique des religions aux " associations qui ont pour but de servir en commun une conception de l'univers " (art. 137, § 7 de Weimar), la même Déclaration n° 11 d'Amsterdam ajoute que l'Union européenne " respecte également le statut des organisations philosophiques et non-confessionnelles ", assurant de la sorte un équilibre entre les grandes institutions religieuses et celles dont il est toujours de bon ton de ne jamais appeler par leur vrai nom.
En réalité, le point d'achoppement demeure principalement la référence à Dieu sur laquelle apparaît la nécessité d'un compromis rédactionnel pour autant qu'on veuille être conscient de l'impropriété de certains termes conceptuels.
LA NECESSITE D'UN COMPROMIS REDACTIONNEL
Pour une collectivité humaine (nation ou groupe de nations), l'intérêt de la mention de Dieu dans les préambules de textes de droit positif n'est pas seulement d'ordre rétrospectif ou généalogique. Il est aussi d'ordre prospectif et philosophique.
En effet, invoquer Dieu, c'est, au-delà de l'acte de foi – qui n'est certes pas la finalité première d'un acte juridique –, donner une garantie supplémentaire à la liberté et aux droits des citoyens, en ce sens qu'une présence divine signifie que le droit humain n'est pas la norme suprême et finale de la société humaine, car chacun sait que le droit positif n'épuise pas tout le droit. Pareillement, cette invocation souligne que la politique n'est pas l'horizon indépassable de la vie sociale.
En outre, mentionner Dieu en liminaire d'un texte de droit positif de valeur fondatrice permet de rappeler, d'une part, aux gouvernants qu'ils sont eux-mêmes soumis à des règles morales supérieures sur l'observation desquelles ils seront eux-mêmes jugés et, d'autre part, aux gouvernés qu'ils ne tiennent pas leurs droits fondamentaux d'une concession de l'État ou de la société, mais de leur nature propre dont l'Auteur est nommément identifié.
Les droits de l'homme, qui font désormais l'objet d'une référence normative universelle, ne peuvent se concevoir que comme antérieurs et supérieurs à l'État et aux organisations politiques des peuples, parce que la personne humaine précède et prime les institutions. Nous le savons depuis la plus haute Antiquité d'où nous parvient toujours le cri inoubliable d'Antigone. De la sorte, la simple mention de Dieu rappelle à César qu'il n'est que César et le dissuade de vouloir se prendre pour Dieu. Et si elle ne constitue pas toujours un rempart efficace à l'absolutisme sournois de certains dirigeants, à tout le moins peut-elle se révéler un recours efficient à la disposition des citoyens dans leur ontologique et inaliénable liberté.
L'ouverture à la transcendance permet aussi de remettre les choses de la vie dans leurs justes proportions, notamment dans l'ordre politique qui a toujours tendance – surtout de nos jours – à tout envahir, tout englober, tout régenter. Le relatif a besoin d'absolu. Et c'est précisément parce que Dieu est extérieur à la politique qu'il convient de s'y référer pour montrer les limites intrinsèques et extrinsèques de l'action politique, ainsi que pour constituer une convergence supérieure au-delà des légitimes divergences de partis ou différences de croyances.
Mais, dira-t-on, un problème se pose aussitôt pour ceux qui ne croient pas en Dieu et à qui le droit positif des États européens garantit à juste titre la liberté de conscience tout autant qu'à ceux qui croient en lui. Par là même, indépendamment du régime constitutionnel applicable aux religions, croyants et incroyants sont placés sur un pied d'égalité, ce qui a pour conséquence logique que, dans les États de droit de démocratie libérale, personne ne peut légitimement prétendre imposer aux autres ses propres croyances ou incroyances.
Or, soutenir que, dans ces conditions, il conviendrait mieux de faire silence sur Dieu sous prétexte qu'il ne ferait pas l'objet d'un consensus quasiment unanime serait une fausse solution car elle consacrerait la victoire d'un camp sur un autre. Ce ne serait même pas conforme aux règles démocratiques puisque une très large majorité des Européens (quelque 80%) se déclarent croyants et se rattachent à une Église ou une communauté religieuse. On ne peut donc ignorer délibérément une requête correspondant aux sentiments intimes d'un si grand nombre de citoyens.
Dès lors, la véritable solution ne peut être trouvée que dans un compromis représentatif des convictions des uns et des autres. À cet égard et à tous les égards, la proposition de la formulation polonaise transposable au niveau européen semble incontestablement la meilleure puisqu'elle concerne " ceux qui croient en Dieu comme source de vérité, de justice, de bonté et de beauté, aussi bien que ceux qui ne partagent pas cette foi, mais se réfèrent à ces valeurs universelles comme provenant d'autres sources ". Cette rédaction présente l'avantage de traiter croyants et incroyants à égalité (" ceux qui... aussi bien que ceux qui... ") ; et si elle cite d'abord les premiers, c'est en conformité avec les principes de l'arithmétique démocratique parce qu'ils sont bien plus nombreux que les seconds.
On sait toutefois que ce compromis rédactionnel susceptible de satisfaire toutes les écoles de pensée a fait l'objet de l'opposition du Gouvernement français qui avait déjà exigé le retrait de la mention de " l'héritage religieux " du préambule de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne adoptée lors du Sommet de Nice, en décembre 2000. Pour l'occasion, les tensions habituelles aux périodes de " cohabitation " dans l'Exécutif français avaient laissé place à un étonnant accord entre le Président de la République et le Premier ministre d'alors. On pourrait parler, en l'occurrence, d'un blocage purement idéologique dans la mesure où, dans le projet de cette Charte, il n'était question que d'évoquer un héritage " religieux ", adjectif général, voire simplement générique, qui évitait toute référence à une confession en particulier. Mais, sans doute était-ce déjà trop pour certaines organisations d'influence non-confessionnelle qui se sont vantées, par la suite, d'en avoir obtenu la suppression , du moins dans sa version française qui s'en tient désormais au seul " patrimoine spirituel et moral "... que la version allemande du même texte a néanmoins traduit par " spirituel-religieux et moral " (geistlich-religiös und sittlich) !
C'est donc dans le même esprit que le Président de la République française s'est déclaré opposé à toute référence religieuse dans le futur traité constitutif de l'Union européenne au motif que " dans les traités, il n'y a jamais eu de référence de cette nature ". Or, il convient ici de savoir exactement de quoi on parle.
L'IMPROPRIETE DE CERTAINS TERMES CONCEPTUELS
S'agissant des traités, il est exact que les invocations liminaires à la Divinité, jadis en usage dans le droit des gens, ont disparu au cours du XIXe siècle, à l'exception de quelques rares concordats parmi la centaine conclus durant la première moitié du XXe siècle par le Saint-Siège . En revanche, plusieurs conventions internationales contemporaines traitent explicitement de questions religieuses sous l'angle des droits et libertés fondamentales. Mais, s'il s'agit des Constitutions, on a vu que tant les invocations divines que les données religieuses s'y trouvent fréquemment incluses.
Si donc c'est pour conforter sa position que le Chef de l'État français a – pour une fois – préféré parler, dans sa déclaration journalistique, de " traité " plutôt que de " Constitution ", on peut regretter qu'il ait été si mal conseillé.
Et les conseils n'ont pas été meilleurs pour la suite de ses propos dont on ne sait s'ils contenaient aussi la menace d'un éventuel veto... : " En tant que représentant d'un État laïc, je ne suis pas favorable à une référence religieuse . " Or, il convient de rappeler ici que la laïcité française, après avoir commencé sa carrière politique sous les auspices de l'hostilité et l'avoir poursuivie sous ceux de la neutralité, a connu, avec l'avènement de la Ve République, une mutation de signification notable dans la mesure où, pour la première fois, elle a reçu une définition officielle par la Constitution elle-même qui, après avoir déclaré que " La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion ", explique aussitôt : " Elle respecte toutes les croyances " (art. 1). En conséquence, la laïcité a désormais acquis une valeur positive en ne consacrant plus le triomphe de l'incroyance mais en assurant le respect des croyances. C'est ce qu'a parfaitement exprimé le nouveau Premier ministre, quand il a déclaré : " La laïcité signifie qu'il n'y a pas de religion d'État ; elle ne signifie pas qu'il y a un athéisme d'État . "
La France ne saurait donc prétendre vouloir appliquer au niveau européen une conception de la laïcité qui n'est déjà plus applicable au niveau national. Quand ce même mot est employé dans d'autres pays, il a souvent des sens très différents selon les traditions historiques et politiques locales où il se borne, la plupart du temps, à vouloir signifier simplement la distinction du temporel et du spirituel. D'ailleurs, aucun autre État européen que la France ne se proclame laïc dans sa Constitution . La laïcité française est unique en son genre ; non exportable, elle ne saurait être exportée, ni même transposée et, encore moins, imposée au reste de l'Europe. Bien au contraire, l'esprit même de l'intégration européenne l'appelle à se réformer et à évoluer au contact des expériences et des mentalités des autres pays d'Europe où les relations Églises-États sont nettement moins crispées.
Aussi, se prévaloir de prétendus " fondements laïques de la construction européenne ", pourtant inscrits dans aucun texte, c'est ignorer – mais cela se peut-il ? – que telle n'était certainement pas la philosophie du triumvirat des fondateurs de l'Europe unie que furent Robert Schuman, Konrad Adenauer et Alcide de Gasperi. De même, feindre de s'étonner que " lorsque les démocraties chrétiennes ont permis la création de ce qui deviendra l'Union, personne n'a estimé indispensable de retenir cette option " de référence religieuse , c'est oublier qu'il ne s'agissait alors – et jusqu'à ces derniers temps – que d'établir, pour la prospérité de l'Europe occidentale, des règles techniques dans les domaines économique, énergétique, commercial, industriel ou agricole. Mais puisqu'il est maintenant question de la doter d'une " Constitution ", le débat prend naturellement une tout autre ampleur.
Remarquons aussitôt que, bien qu'introduit par le Conseil européen de Laeken dans ses conclusions évoquant " la voie vers une constitution pour les citoyens européens ", l'emploi du mot " constitution " est, en l'occurrence, impropre car, tant dans le vocabulaire juridique que dans le langage politique, ce terme désigne la norme positive suprême d'un État. À ce titre, il relève des techniques du droit interne et est inconnu en droit international public où l'on parle de traité, convention, pacte (Pactes de Varsovie et de Bagdad de 1955, Pacte andin de 1969...), ou charte (Charte de San Francisco pour l'ONU en 1945, Charte de Paris pour l'OSCE en 1990...).
Pour l'Europe élargie, où l'on souhaite élaborer un document original instaurant entre ses membres une association plus étroite que celle unissant les composantes d'une organisation internationale classique, on pourrait concevoir de le désigner tout aussi bien sous le nom de Loi fondamentale, d'Acte constitutif, voire de Traité constitutif, mais sûrement pas de " traité constitutionnel " expression – inventée par M. Valéry Giscard d'Estaing – qui, en droit, s'applique à un traité conforme à une constitution. En effet, la force du droit réside aussi dans la rigueur de son vocabulaire ; cette discipline ne supporte pas les approximations ou les confusions car les mots n'y sont pas impunément interchangeables. Le droit n'a pas à être tordu ni torturé pour des effets d'annonce ou des slogans médiatiques. Il n'y a donc pas lieu de parler de constitution là où il n'y a pas d'État. D'autant que tout le monde politique s'accorde pour dire que l'Union européenne ne prétend nullement être ni devenir un " super-État ". À moins qu'il ne faille comprendre qu'elle n'aspire qu'à être tout simplement un État...
Mais, dès lors qu'on prononce le mot de " constitution ", il n'est pas surprenant que se lèvent des requêtes qui, telle celle de la référence à Dieu, peuvent être inhabituelles dans des traités modernes, mais ne le sont point dans des constitutions contemporaines. En l'espèce, les partisans d'une " Constitution européenne " ont à craindre d'être tombés dans leur propre piège terminologique...
Il n'en demeure pas moins que la différence entre les défenseurs de l'invocatio Dei et leurs adversaires est que les premiers, grâce à l'excellente formule polonaise, se prononcent pour un juste équilibre entre ceux qui croient au ciel et ceux qui n'y croient pas, tandis que les seconds, par un silence absolu imposé aux textes, prêchent la tolérance en pratiquant l'intolérance. Or, au nom même des exigences démocratiques, l'Europe nouvelle ne pourra avoir d'avenir que dans la convivialité par le respect des convictions et des réalités religieuses et institutionnelles de tous ses peuples, ce qui suppose le rejet de tout ostracisme idéologique. À cet égard, il serait regrettable qu'à force de penser l'universel, certains Français aient un peu trop tendance à universaliser leur pensée...
S'il ne s'agit nullement de faire de notre continent un " club chrétien " – argument d'islamiste –, il ne faut pas oublier non plus que l'Europe est aussi l'Europe des chrétiens. Ceux qui redoutent encore que le " retour de Dieu " ne ressuscite de " vieux démons " devraient plutôt méditer sur la destinée tragique des sociétés nouvelles que, avec le marxisme-léninisme et le national-socialisme, le XXe siècle européen avait prétendu vouloir édifier sans Dieu, c'est-à-dire contre lui.
Certes, l'existence de Dieu ne serait pas menacée par un décret contraire des hommes. Cependant, l'appel à l'Autorité divine donnerait à la loi humaine une lumière d'authentification et un sceau de légitimation auxquels on devrait être sensible plus particulièrement en France où c'est sous ces auspices qu'a été rédigée et promulguée la célèbre Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Le plus éloquent interprète de cette pensée fut précisément l'abbé Henri Grégoire (1750-1831) : homme de la Révolution et des droits de l'homme, conventionnel à l'initiative de la déchéance de la royauté, promoteur de l'émancipation des juifs et de l'abolition de l'esclavage, prêtre républicain et évêque anti-romain, il a réuni toutes les qualités modernes pour plaire aux esprits d'aujourd'hui et spécialement aux zélateurs de la laïcité française. D'ailleurs, si l'Église ne l'a pas élevé à la gloire de ses autels, la République l'a exalté jusqu'à celle de son Panthéon, ce qui, pour le bicentenaire de 1789, a eu valeur de canonisation laïque...
Or, devant l'Assemblée nationale, l'abbé Grégoire se fit, en ces termes, le plus ardent avocat de la mention de l'Être suprême dans le préambule de cette Déclaration qui allait survivre aux siècles : " L'homme n'a pas été jeté au hasard sur le coin de terre qu'il occupe. S'il a des droits, il faut parler de celui dont il les tient ; s'il a des devoirs, il faut lui rappeler celui qui les lui prescrit. Quel nom plus auguste, plus grand, peut-on placer à la tête de la déclaration que celui de la divinité, que ce nom qui retentit dans toute la nature, dans tous les cœurs, que l'on trouve écrit sur la terre et que nos yeux fixent encore dans les cieux ? "
J.-B. O.
ésentation du Concordat)