Par Philippe de Saint-Germain,
Liberté politique n° 50, automne 2012
L'UNIVERS MENTAL de la société dans laquelle vivent les chrétiens n'est pas sans influence sur leur manière de penser leur mission ad gentes. De tous temps, les courants artistiques, les puissances politiques, les idéologies dominantes ont façonné les esprits. Dans un monde pluraliste, l'Église n'échappe pas au phénomène. Elle est toujours de son temps, comme les encycliques le montrent, mais ses fidèles, clercs et laïcs, ne sont pas à l'abri de conditionnements, parfois prophétiques, parfois regrettables.

Qu'en est-il donc aujourd'hui dans nos sociétés laïcisées à l'extrême ? Alors que le pape crée un dicastère pour promouvoir une nouvelle évangélisation dans les pays de vieille chrétienté vivant une sécularisation continue de la société [1] , il est peut-être temps de d'interroger sur la manière dont cette présence chrétienne a été voulue dans un monde où la pratique religieuse n'a cessé de chuter depuis un demi-siècle. A-t-on pensé la mission de l'Église au service de la vérité qui rend libre , avec suffisamment de... liberté ?
En France, après la guerre, la subversion marxiste battit son plein. L'essentiel a été dit ou presque par Madeleine Delbrêl ou le père Fessard sur l'expérience des prêtres ouvriers. Mais il y eut aussi la pastorale du témoignage silencieux pour tous : l'annonce explicite de la foi en cohérence avec un projet personnel de vie évangélique n'était plus de mise. C'était en quelque sorte à l'Église de se laisser évangéliser par la société. À des degrés divers, et souvent dépassés par leurs disciples, des théologiens de renom comme les pères de Montcheuil, Voillaume ou Chenu, ont théorisé cette forme d'identité apostolique (Jean Chaunu). Parallèlement, l'évolution éloquente de la revue Esprit a montré comment la pensée chrétienne de l'engagement a pu se dissoudre en renonçant à toute distance critique sur la réalité du monde (Gérard Leclerc).
Aujourd'hui, la pastorale de l'enfouissement n'est plus de mise, mais il faut le dire, une compréhension de la société laïque a joué le rôle de l'empirisme organisateur maurrassien ou du messianisme marxiste à d'autres époques de l'histoire chez certains catholiques. La relation à la laïcité fonctionne comme un prisme à travers lequel les questions essentielles — celle du salut, de l'annonce de l'Évangile, mais aussi de la dignité de l'homme et du bien commun — sont abordées, non sans conséquences.
On constate dans certaines approches pastorales comme un point aveugle sur le sens et la nature de la neutralité laïque, cette nouvelle fin de l'histoire. La sécularisation elle-même est jugée en recul (il n'y aurait plus de fronts d'opposition, comme disait Jean-Yves Calvez). Or la mesure de cette neutralité pacifique implique des choix de nature anthropologique et même métaphysique dont l'ignorance condamne à rester à un diagnostic de surface concernant les enjeux que nos sociétés contemporaines ont à affronter (Thibaud Collin).
Les catholiques de France doivent être conscients du défi de la mission à laquelle ils sont appelés — un défi historique, social et spirituel, dit Benoît XVI — non seulement pour ouvrir leur cœur, mais pour comprendre la situation. De l'Église, et de la société. La contribution des chrétiens ne vaut que si l'intelligence de la foi devient intelligence du réel .
Pour son cinquantième numéro, Liberté politique est heureuse d'apporter sa pierre à la réflexion des catholiques sur leur présence dans la société. C'est au nom de la loi morale inscrite dans la conscience de l'homme que les chrétiens s'engagent au service du bien commun ― leur engagement politique n'est pas confessionnel ― mais c'est le don de la foi qui purifie la raison en recherche de la vérité.
P.S.G.
[1] Benoît XV, Vêpres de la solennité de saint Pierre et saint Paul, Rome, 28 juin 2010.
© Liberté politique n° 50, automne 2012. Pour lire la version intégrale, avec l'appareil de notes et les graphiques, se reporter à la version papier.
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