Nos coups de coeur
Du cardinal de Richelieu demeure trop souvent l’image d’un politique froid et déterminé, animé depuis son plus jeune âge par une ambition sans limites et conduit par les seuls impératifs de la raison d’État. L’auteur s’attache à éclairer la personnalité profonde de figures historiques (Lyautey, Péguy, Louis-Philippe) par trop figées dans leur image.
S’il est admis qu’il fut à ses débuts un évêque appliqué, « l’homme rouge» est décrit surtout comme un politicien sinueux et un maître de l’intrigue perçu à l’aune de nos critères actuels. En réexaminant ses années de jeunesse, en relisant avec une attention nouvelle ses abondants écrits politiques et religieux, en réinterprétant l’imposante production de ses documents officiels, l’auteur propose un Richelieu étonnant qui tranche sur la tradition, un grand politique certes, mais habité par une vision constamment religieuse du monde.
Devant la faiblesse des hommes
Une aventure d’homme d’État, qui reste sans équivalent dans l’histoire de France et de l’Europe est exposée. Le portrait d’un ministre qui en des temps tragiques raisonne constamment en prêtre et lutte pied à pied contre la faiblesse des hommes, celle du roi, celle des grands, celle des corps constitués, la sienne propre. Richelieu avait pour la nature humaine une étonnante compréhension et une faculté de s’adresser avec la même aisance, aux aigles et aux colombes.
Fondateur de la politique moderne
Richelieu a théorisé une conception de l’État et de l’action politique par son expérience comme théologien, puis comme évêque, avant de résoudre les problèmes de son époque, comme ministre.
Le crime suprême pour un homme d'État, c'est, selon Richelieu, de ne pas agir, de laisser le destin s'accomplir sans chercher à le dominer. C'est de croire, en somme, que le simple agencement naturel des choses suffira à produire le bien public. Cette idée si concrète, cette conception dynamique du pouvoir et de l'action gouvernementale, cette conviction qu'il ne saurait y avoir de pouvoir sans unité, que l'unité française s'est construite autour de l'État et que, hors l'État, il n'y a qu'évaporation, évanescence générale : tel est le point de départ de la politique française moderne qui s'est épanouie un instant avec la république gaullienne et qui est à nouveau refoulée dans notre inconscient collectif. Richelieu en est à la fois le théoricien, l'incarnation et le révélateur.
En jetant les bases de la suprématie de l’État et l’intérêt public, Richelieu s’inscrit avec force dans ce long processus historique. L’action du cardinal-ministre se retrouve en filigrane dans un passage du Nœud Gordien de Georges Pompidou (1974) : « Gouverner c’est faire prévaloir sans cesse l’intérêt général contre les intérêts particuliers. »
L’auteur rappelle que le cardinal se définissait comme un « catholique d’État ». Arnaud Teyssier montre que Richelieu a rempli le rôle d’écran protecteur du roi chef de l’État, tel que le Premier ministre l’est appelé sous la Ve République.
Jean Voisin
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