Nos coups de coeur
Alors même qu’il s’agit des penseurs politiques français les plus lumineux et les plus pertinents pour notre temps, Alexis de Tocqueville reste encore largement méconnu et sous-estimé.
Pourtant, rares sont ceux qui sont parvenus à penser avec autant de lucidité et profondeur les caractéristiques de la France post-révolutionnaire, les antagonismes à prévoir entre puissances à l’échelle mondiale, et les crises qui menacent la démocratie moderne.
Nicolas Baverez, éditorialiste au Point et au Figaro, délaisse son penchant « décliniste » qui lui a été beaucoup reproché notamment à gauche pour renouer avec ses premières amours : normalien historien, il décortique dans son dernier ouvrage les multiples facettes de la pensée extraordinairement féconde de Tocqueville, avec un fil directeur, son amour pour la liberté. Non pas une liberté au rabais, une liberté-libertaire qui détruit tout sur son passage, mais une liberté morale qui repose sur le sens de la responsabilité et du devoir collectif. Tocqueville est aussi l’homme de l’équilibre, dans un siècle de tourments : c’est un aristocrate conscient de ce que le monde d’avant ne reviendra plus, et la vision de la liberté qu’il défend l’amène à penser les limites d’une démocratie qui serait dévorée par la passion de l’égalité.
L’amateur de Tocqueville pourra regretter que l’analyse n’aille pas plus loin, et que les parallèles saisissants entre la pensée du maître et nos souffrances contemporaines ne soient pas mieux mis en valeur, en particulier en ce qui concerne son intuition sur la transformation de la démocratie en totalitarisme doux. Le lecteur moins averti appréciera un discours synthétique qui donne envie de se replonger dans l’ensemble de l’œuvre du philosophe, qui témoigne de la possibilité d’un libéralisme intelligent.
Constance Prazel