Nos coups de coeur
« Qu’est-ce qui a changé, entre l’entrée dans le xxe siècle et l’entrée dans le xxie siècle ? L’enthousiasme fidéiste dans le progrès s’est évaporé. » Robert Redeker décrit comment l’on est passé du triomphe de la religion du progrès à son échec complet. L’idée du progrès est morte. Mais son cadavre pue encore.
Depuis les Lumières, le progrès a peu à peu remplacé la religion. Il est devenu la religion. Même si « plus personne ne croit au progrès » et que, le plus souvent, il est « subi comme une fatalité », il reste encore et encombre la pensée moderne. C’est une religion qui a rejeté toute transcendance pour ne garder qu’un carcan social. Cette religion a des rites, des croyants, des grands-prêtres. Seulement, sa finalité est terrestre : « Dans la religion politique du progrès, le bonheur collectif se substitue à la destinée post-mortem de l’âme individuelle. » Et elle n’a pas été séparée de l’État. À défaut de croire au paradis dans le ciel, il faut faire advenir le paradis terrestre.
Le progrès est dogmatique, et ses dogmes sont les suivants : « Le progrès est un processus nécessaire, continu, linéaire, cumulatif, irréversible et indéfini, illimité. » Le mouvement du progrès devient une fin en soi : il fait « bouger ».
Cette frénésie, cette fuite en avant se sont fracassées contre la réalité. D’abord, l’idéologie progressiste a engendré des enfants monstrueux. Si « l’Ancien Régime demeurait par nature à l’abri du totalitarisme », les errements sanglants des sociétés modernes trouvent leurs sources dans l’idéologie nouvelle, sa volonté de ne pas s’appuyer sur le passé, d’obtenir un homme nouveau, etc. « La société sans classes marxiste et le Reich millénaire nazi, ces mythes totalitaires aux effets criminels, peuplés par les hommes nouveaux, sont des produits de ce que la civilisation moderne a de plus profond. […] C’est dans l’avenir — un avenir fantasmé, une certaine vision de l’avenir — que le totalitarisme plonge ses racines. »
La pensée progressiste a voulu imposer un homme nouveau, au mépris de l’ancien. N’y réussissant pas, malgré tous ses efforts, elle laisse derrière elle non pas un paradis terrestre, mais un champ de bataille, dévasté. « Le monde moderne peine autant à endiguer le vide que le Moyen Âge peinait à endiguer la faim. Ou mieux : la peste. »
François de Lens
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