Nos coups de coeur
Il existe de nos jours dans le roman français toute une mouvance de commisération envers la misère : redondance ici nécessaire, car il nous faut distinguer celle-ci de la compassion. Cette manière de voir et d'écrire envisage la misère sociale essentiellement sous ses aspects politico-sociaux, et, en définitive, politiques. Une politique orientée non pas vers ce qui est plus haut qu'elle, mais vers les bas-fonds du politiquement correct dont on sait le caractère dogmatique qu'il recèle aux yeux des promoteurs d'une société civile à l'analyse très peu civilisée.
Jean-Marc Bastière, qui s'est depuis quelques temps déjà, fait un prénom à travers une certaine verve qui n'est pas sans rappeler feu Philippe Muray, s'inscrit en faux contre ce condamnable tropisme : le sentiment de l'altruisme propre à la Bonne Nouvelle transpire à travers cette épopée d'un nouveau pauvre, héros de son dernier roman.
Nonobstant l'appel transparent du titre, il n'est pas du tout certain que l'éditeur ait eu conscience de l'intention de l'auteur. À travers ses démêlés urbains, sa décrépitude et sa renaissance, sa mise en scène d'un Job des temps post-modernes, Jean-Marc Bastière se livre à une apologétique cachée sous les oripeaux d'une description tranquillement humanitaire. Le héros, pauvre héros — un homme ordinaire qui plonge dans l'enfer de la rue — , se raconte sans trop se plaindre, exprimant finalement une sagesse qu'il faut savoir décrypter.
Ici, la censure qu'opère insidieusement le monde contemporain sur les idées d'un romancier qui se sait chrétien se voit prise à contrepied puisqu'elle enrichit de fait la morphologie, la syntaxe et le vocabulaire de notre auteur. Caractère paradoxal de cette divine contrainte qui fait, artistiquement parlant, d'un mal un bien. On encouragera Bastière à élargir la gamme de ses sujets, à changer les contextes, sans, on l'a vu, changer son texte. Il a intégré les paramètres qui constitueront l'armature de toute son œuvre.
Hubert de Champris
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