À chaud, les résultats du premier tour de l’élection présidentielle appellent trois commentaires de portée générale. Ces commentaires vont être confrontés avec une analyse du vote des catholiques pratiquants. Se dessine ainsi l’enjeu du second tour.
Les leçons de portée générale
La première vient de la participation. À 79,5%, elle n’atteint évidemment pas le record de 2007, mais elle n’est pas non plus aussi désastreuse qu’on le prédisait : elle se situe dans la moyenne (basse) de celle des premiers tours des précédents scrutins : elle dépasse même celle de 1995. On nous annonçait une désaffection massive de l’électorat ; il n’en a rien été. Les Français ne se sont pas détournés du moment-clé de la vie politique nationale, en dépit de l’absence de thématique directrice de la campagne autre que l’anti-sarkozysme, et malgré sa longueur puisqu’elle a commencée depuis plus d’un an avec la primaire socialiste. Faisant abstraction du « tintamarre médiatique », ils demeurent attachés à exprimer leur volonté dans le débat politique.
La seconde concerne évidemment ce « tintamarre médiatique ». Une fois de plus, les instituts de sondage et leurs relais ont été pris à contre-pied. Moins en ce qui concerne les scores de François Hollande (28,6%) et Nicolas Sarkozy (27,2%) et leur ordre d’arrivée, qu’en ce qui concerne ceux de Marine Le Pen (17,9%) et de Jean-Luc Mélenchon (11,1%) : en sous-estimant la première de trois à cinq points selon les enquêtes, et en surestimant le second de façon symétriquement inverse. Comme si le milieu politique, les journalistes et l’ensemble des commentateurs avaient confondu la dynamique des meetings avec le sentiment profond des Français. D’où la « surprise » du premier tour, et la démonstration, faite une fois de plus, de leur méconnaissance des sentiments populaires, qui témoignent de leur inaptitude à appréhender un équilibre politique assez différent de celui qu’on nous annonçait.
La troisième leçon concerne précisément cet équilibre politique sous deux aspects. Si l’on s’en tient au clivage droite-gauche, il demeure favorable à la droite. Par rapport à 2007, il s’est beaucoup resserré grâce à une remontée de la gauche de huit points au détriment des centristes, mais sans s’inverser : 46,9% pour la droite et 43,8% pour la gauche, François Bayrou faisant la différence. Contrairement à ce qui a souvent été dit, la désaffection dont souffre Nicolas Sarkozy a sans doute impacté le rapport de force au sein de la droite ; mais elle n’a pas eu d’effet décisif sur l’équilibre global entre les deux camps. Ce résultat devrait entraîner normalement un second tour classique où l’élection dépendrait des électeurs centristes dont le choix serait décisif.
Mais il est une autre façon de percevoir l’équilibre politique en observant que la somme des voix des candidats « antisystème » dépasse 30% : près d’un tiers de l’électorat se place hors de la problématique classique, soit pour faire appel aux manifestations et à la rue (J-L Mélenchon), soit pour refuser de choisir (M Le Pen), les uns et les autres escomptant bâtir leur résurgence ou leur prééminence sur la défaite du Président sortant. Un thème fédère présentement les « antisystèmes » : « faire battre Sarkozy », et à n’importe quel prix. L’équation qui s’offre à celui-ci pour le second tour devient très difficile à résoudre. Mais plus difficile encore, la perspective qui sera celle de l’élu au soir du 6 mai, s’il est issu d’une majorité négative.
Le vote des catholiques pratiquants
Pour le connaître, l’Association pour la Fondation de Service politique s’est associée à l’hebdomadaire « Famille chrétienne » afin d’analyser un sondage réalisé par l’IFOP à la sortie des urnes, sondage qui porte sur le vote des catholiques, et principalement des catholiques pratiquants[1]. Les conclusions sont très révélatrices et confirment celles que nous avions déjà formulées quant à leur comportement politique[2].
On s’attendait certes à ce que les catholiques pratiquants votent majoritairement en faveur de Nicolas Sarkozy, mais à ce qu’ils le fassent de façon moins nette qu’en 2007 : les enquêtes d’opinion avaient perçu un décrochage de leur part d’avec le Président à partir de la mi-2009. Le résultat montre le mouvement inverse : ils ont été 45% à voter pour lui, soit 3 points de plus qu’il y a cinq ans. Bien entendu, chez les pratiquants de 65 ans et plus, son score est massif puisqu’ils ont été 53% à lui apporter leur voix : se combinent ici deux facteurs (la pratique et l’âge) qui jouent fortement en sa faveur. Conformément à la tradition, c’est aussi dans cette catégorie de la population que François Bayrou obtient ses meilleurs scores avec 13%, et un pic à 16% dans la tranche d’âge la plus élevée. Inversement, François Hollande n’obtient les voix que de 17% des catholiques pratiquants.
Ces pourcentages confirment clairement la différenciation du vote qui continue de s’accentuer chez les catholiques : elle est d’autant plus prononcée qu’ils sont plus pratiquants. Moins que le conservatisme dont les accusent leurs adversaires, mais comme nos analyses l’ont montré, ils deviennent de plus en plus sensibles aux thèmes de société et aux enjeux éthiques de la vie politique. On peut y voir le résultat d’une prise de conscience à laquelle ont contribué les documents de réflexion qui se sont multipliés, depuis la Note doctrinale rédigée par le Cardinal Ratzinger en 2002 jusqu’aux éléments de discernement publiés par la Conférence des Évêques de France à l’automne dernier, ainsi que les débats auxquels nous nous sommes efforcés de participer. De fait, la résurgence de certaines questions-clés pour l’avenir de la société (notamment sur la famille et son statut politique, le mariage, l’euthanasie et l’éducation) au cours de la campagne s’est sans doute traduite par un rejet des candidats prônant une approche libertaire au profit de ceux qui se sont engagés à respecter les valeurs traditionnelles.
Mais cette différenciation ne s’opère pas au profit des extrêmes, et notamment pas au profit du Front National. Au contraire, conformément à une tendance déjà observée, Marine Le Pen n’obtient que 15% des voix des catholiques pratiquants, en retrait de trois points sur sa moyenne nationale ; ce sont les non-pratiquants qui font progresser son résultat, avec 21% de leurs votes en sa faveur. Le seul segment sur lequel cette tendance est contredite est celui des jeunes de moins de 35 ans. Alors que, globalement les électeurs de cette tranche d’âge votent majoritairement à gauche (à 47%), de façon surprenante, chez les jeunes catholiques pratiquants, Nicolas Sarkozy arrive en tête avec 37% ; mais il est suivi par Marine Le Pen qui recueille 27% de leurs votes, loin devant François Hollande (15%). Cette différenciation par rapport aux pratiquants plus âgés indique sans doute une radicalité plus accentuée teintée d’une recherche identitaire plus grande que chez leurs aînés.
Dernier enseignement à tirer de ce sondage : on relève une forte différenciation géographique du vote des catholiques pratiquants. L’IFOP a isolé trois régions où la pratique religieuse demeure notable : l’Ile de France, le Grand Ouest et le Grand Est. Les écarts d’une région à l’autre sont très frappants. Le score de Nicolas Sarkozy auprès des catholiques pratiquants d’Ile de France est le double de sa moyenne nationale avec 52% ! Or on sait que la sociologie religieuse de cette région est celle d’une pratique plus jeune, plus familiale, de la part de catholiques davantage issus des couches aisées et diplômées. Sans préjudice d’analyses plus fines, ces caractéristiques confortent les conclusions précédentes sur l’importance des critères éthiques de détermination politique d’un catholicisme pratiquant qui, au fil des années, devient de plus en plus urbain. Par contre, le Grand Ouest frappe par la persistance d’un catholicisme de gauche et du centre : là, François Hollande et François Bayrou font presque jeu égal, à un niveau sensiblement plus élevé qu’ailleurs, avec respectivement 26% et 27% des voix des catholiques pratiquants. Est-ce la marque d’un clivage durable entre catholiques ? Ou bien, est-ce la rémanence de tendances anciennes qui sont décalées par rapport aux jeunes générations ? La seconde explication est probablement la bonne compte tenu de ce qu’a été le catholicisme d’après-guerre dans cette région et de son caractère rural plus accentué.
Évidemment, les deux semaines qui nous séparent du second tour vont revêtir une importance cruciale dans la structuration du vote, selon que l’« anti-sarkozysme » suffira à faire la décision comme semblent l’indiquer les premiers sondages (à prendre avec la prudence que l’on sait), ou qu’un débat de fond s’engagera sur la société que veulent les Français, sur la sortie de crise et sur le redressement du pays.
Retrouvez tous nos articles sur la Présidentielle dans notre dossier :
[1] Une précision s’impose que l’on a souvent eu l’occasion de souligner : il s’agit des catholiques qui se déclarent « pratiquants » ; catégorie trois fois plus vaste que celle des catholiques qui vont à la messe tous le dimanche puisqu’elle englobe environ 15% de la population.
[2] Cf. le sondage réalisé avec l’IFOP en janvier 2012 et mon commentaire « les catholiques pratiquants feront-ils basculer l’élection ? », et celui que nous avons publié au mois de septembre 2011 sur les attentes des catholiques.
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