28 janvier 2018 : Les trois M : Macron, Moix et les migrants, Pierre Lellouche, Ancien Ministre.
A l’âge de cinq ans, c’était en 1956 – autant dire la préhistoire ou presque pour beaucoup de nos contemporains – j’ai connu moi aussi la souffrance des migrants. Des migrants français, chassés d’Afrique du Nord, qui débarquaient perdus sans le sou, sans repères, sans travail, dans un pays inconnu qui était pourtant le leur.
Jusqu’à ce jour, à près de 67 ans, je garde intactes les images de cette souffrance : beaucoup d’indifférence, du rejet, des réactions racistes même, des chambres d’hôtel minables où nous nous entassions à six avec interdiction de cuisiner, les squats, les caves où j’ai habité, avec bain public une fois par semaine, où nous conduisait ma mère…
Pourtant, nous étions Français. Le grand-père avait servi au cours de la Première Guerre Mondiale, le père avait été blessé à Cassino… Mais c’était ainsi. La marche de l’Histoire imposait l’expulsion inévitable des « colons », devenus étrangers, sur ce qu’ils croyaient être leur terre, et les colonisés d’hier affirmaient fièrement leur indépendance. Soixante ans après, une deuxième vague migratoire bien plus considérable, cherche à rejoindre l’Europe de tous côtés : Espagne, Italie, Grèce…
Une minorité provient de conflits lointains : Syrie, Irak, Afghanistan, Darfour. Mais la très grande majorité est constituée de jeunes Africains et nord-Africains qui fuient non pas les combats, mais la misère chez eux, et veulent leur part du Graal européen. Ils savent qu’une fois arrivés en Europe, ils ne seront jamais expulsés. S’ils obtiennent le statut magique de demandeur d’asile, ils seront logés, payés chaque mois et autorisés à faire venir leur famille, comme le veulent les directives européennes ratifiées par la France. Ces jeunes, je les ai souvent vus en Afrique du Nord au point de départ, à Vintimille ou à Athènes, points de transit, ou sous le métro Barbès, à leur point d’arrivée.
Alors que faire ? Le Pape argentin, lui-même fils d’immigré italien, exhorte l’Europe à ouvrir toutes grandes ses portes, comme hier Angela Merkel – qui depuis a quelque peu changé d’avis… La gauche bien-pensante et par autodéfinition « généreuse », milite, elle aussi, pour l’ouverture. Une couverture récente de l’Obs montre un Président Macron – kapo, verrouillé derrière des fils barbelés tranchants comme des rasoirs.
Plus féroce encore, un écrivain-animateur de télévision, Yann Moix, a fait grand bruit en endossant le costume trop grand pour lui d’Emile Zola, pour publier son « J’accuse » à lui dans les colonnes de Libération.
Mais contrairement à Zola qui, à la fin de son réquisitoire contre une partie de la hiérarchie militaire, assurait le Président Félix Faure de son « profond respect », Moix, lui, déverse un torrent d’injures sur le Président Macron, accusé de « faire la guerre aux martyrs vivants » (les migrants), « d’humilier la France » en laissant commettre par la police de la République les pires actes de « barbarie » à Calais. Pour faire bonne mesure, le Président de la République est tour à tour qualifié de « tartuffe », de « Pinocchio », de « lâche ». Message subliminal. La France de Macron, celle du « gazage des migrants » serait celle de Pétain et bientôt de Beaune-la-Rolande.
Moi qui ne suis pourtant ni « marcheur », ni même Macroniste d’adoption, qui par mon propre parcours, je l’ai dit, connais la souffrance de l’exil – même intérieur ! – je ne puis laisser passer un tel torrent d’insanités.
Face au défi migratoire sans précédent dans l’Histoire auquel la France et l’Europe sont désormais confrontés, l’indignation morale ne saurait à elle-seule servir de boussole pour notre pays. Surtout quand cette indignation manipule l’Histoire et ignore les faits.
Manipule l’Histoire, car qui ne voit que derrière ce mauvais remake du « J’accuse » de 1898, où Zola dénonçait « la passion cléricale » de certains militaires aveuglés par leur antisémitisme que Clémenceau avait appelés « la jésuitière bottée », Moix, cent-vingt ans plus tard nous fait le coup de l’amalgame déjà développé avec un tout autre talent par Edwy Plenel dans son livre, toujours en référence à Zola Pour les Musulmans 2014. Les migrants de 2018, pour l’essentiel musulmans, ne seraient rien d’autre que les juifs ostracisés d’il y a un siècle. Autrement dit, tous ceux qui objecteraient à la politique des portes grandes ouvertes seraient ipso facto des racistes, voire pire. Pour Moix, les migrants sont l’occasion de couper une nouvelle fois la France en deux, entre nouveaux dreyfusards d’un côté, les bons, et les antidreyfusards de l’autre, les méchants.
Le raccourci paraitra pour le moins baroque pour tous ceux qui s’inquiètent de la montée chaque jour dans notre pays d’un antisémitisme islamique qui n’a plus rien de clérical. Un antisémitisme des quartiers provenant des populations d’origine immigrées. Le même raccourci ne manquera pas de choquer ceux qui se souviennent que parmi les cohortes de migrants, se trouvent être aussi des terroristes fanatisés prêts à frapper chez nous comme nous en avons eu hélas la preuve à plusieurs reprises dans les attentats en France et ailleurs.
Mais à cette manipulation, s’ajoute aussi une vraie stratégie de désinformation à l’approche de la discussion de la prochaine loi sur l’immigration au printemps prochain.
Moix et avec lui bon nombre d’associations dont le business est précisément de venir en aide aux migrants, dépeignent la France comme un corps retranché et ses dirigeants comme des matons. Or rien n’est plus éloigné de la vérité.
L’immigration de masse des pays anciennement colonisés d’Afrique du Nord et d’Afrique noire a commencé chez nous dès les années 1970, à peine dix ans après les indépendances. Dès 1976, c’est la droite qui, sous Giscard et Chirac, instaure le regroupement familial, transformant par un simple décret une immigration de travail, conçue au départ comme temporaire, en une immigration de peuplement. Nul autre pays que la France accueille et ce depuis quarante-deux ans plusieurs dizaines de milliers de migrants et leurs familles chaque année. A elle seule, l’immigration familiale représente aujourd’hui plus de 90 000 personnes par an sur 230 000 entrées légales, auxquelles s’ajoutent au moins 130 000 à 150 000 entrées illégales « sans papiers » qui, pour l’essentiel, finiront par être régularisés. 230 000 + 150 000, c’est l’équivalent de la population de la ville de Nice tous les ans.
Autant de personnes qui en France trouveront à se loger en priorité, à se soigner gratuitement, à instruire gratuitement leurs enfants à l’école. Il est dommage que ni M. Moix, ni l’Obs, ni le Pape ne s’intéressent au coût d’un tel accueil qui se chiffre annuellement à plusieurs milliards d’euros. Je connais à Paris des gens modestes qui, une fois à la retraite, ne peuvent plus vivre dans la capitale, les logements sociaux étant réservés en priorité aux nouveaux arrivés. Je sais en province des agriculteurs, retraités ou non, qui gagnent moins que les sommes distribuées aux migrants une fois reconnus comme demandeurs d’asile.
Pour mesurer l’ampleur historique du défi migratoire devant nous, il faut partir des fondamentaux. Ils sont au nombre de six :
- La démographie d’abord. L‘équation est connue depuis trente ans et elle est cruellement simple. D’un côté le vieillissement et le lent suicide des populations européennes (500 millions aujourd’hui, 500 millions en 2050) ; de l’autre une explosion démographique qui aboutira au doublement de la population africaine, autour de 2,5 milliards d’habitants en 2050.
- La géographie : 14 kilomètres séparent les côtes du Maroc de Gibraltar.
- L’écart de niveau de vie croissant entre ces deux mondes que sont l’Europe riche et vieillissante et une Afrique très jeune et par endroits (Sahel) de plus en plus pauvre. - L’échec patent des gouvernements du sud, le plus souvent autoritaires, kleptocrates, incapables d’employer une jeunesse de plus en plus nombreuse, auxquels s’ajoutent la réticence de ces mêmes pays à mettre en œuvre des politiques de planning familial et de contrôle de naissance pour ne pas déplaire, comme me l’a dit un jour un chef d’Etat du Sahel aux « marabouts ». Résultat : non seulement ces pays ne font rien pour retenir leurs jeunes en excédent, si j’ose dire, mais ils sont aussi totalement réticents quand il s‘agit de les reprendre sur leur territoire après leur hypothétique expulsion de France
- L’échec est tout aussi patent s’agissant des politiques européennes d’aide au développement, notamment françaises. Le plus souvent l’argent s’évapore dans les sables bureaucratiques, ou en Suisse, loin, très loin des habitants, d’où des tensions permanentes, des interventions militaires à répétition, bien plus onéreuses que les budgets consacrés à l’aide civile, et qui, à la longue donnent à la France l’image d’un pays toujours colonial, et à ses soldats, celle de forces d’occupation.
- Enfin, la technologie. Grace aux GAFA, tous les jeunes candidats à l’immigration sont équipés d’un portable qui leur permet de rester en lien avec la famille ou le village qui s’est cotisé pour le voyage (car l’horizon est bien-sûr la régularisation puis le regroupement familial), en même temps que l’on reste en contact permanent avec les trafiquants (les passeurs) et la diaspora à l’arrivée.
Au final, incurie des gouvernements africains, échec des politiques européennes de développement, poussée irrépressible vers une vie meilleure rendue accessible par les moyens d’information et de communication modernes, sans oublier les trafiquants de cette nouvelle forme de traite des êtres humains, et à l’autre bout les associations qui en vivent également, et vous avez là tous les ressorts d’un drame de proportion historique qui se déroule sous nos yeux. Un drame dont il faut bien comprendre qu’il ne fait que commencer.
Ce drame, certains, et c’est leur droit, ne veulent le considérer que sous l’angle de la souffrance et de l’indignation. Souffrance implique assistance et assistance implique ouverture. Ceux-là nient à l’Europe et à la France leur histoire, leur identité judéo-chrétienne, produit de vingt siècles d’Histoire, ils acceptent comme une évidence bienvenue que ce vieux continent appelé Europe aura en 2050 ou en 2070 un autre peuple, une autre religion probablement majoritaire, un autre mode de vie.
On peut souhaiter cela, on peut y être totalement indifférent, mais on ne peut, on ne doit pas faire comme si ce défi immense, celui d’un changement de peuple donc de civilisation, n’existait pas. On ne peut d’autant moins l’ignorer que déjà la question migratoire, c’est-à-dire la question de l’identité de l’Europe, s’impose comme le point politique cardinal dans la plupart des sociétés européennes.
C’est l’immigration qui a fait chuter Angela Merkel en octobre dernier et ramené les néo-Nazis au Bundestag pour la première fois depuis 1945 ! C’est l’immigration qui soude la majorité des Polonais, des Hongrois, des Danois, des Autrichiens, qui nourrit partout les partis populistes. C’est l’immigration qui a enterré Schengen et le beau rêve de la libre circulation des Européens. Nous faisons la police des frontières pour les Britanniques à Calais mais l’Italie laisse passer des milliers d’Africains chaque semaine, de Vintimille à Menton. La police française en interpelle 1500 par semaine, m’a-t-on dit sur place.
Or, pour un migrant renvoyé en Italie, quatre parviennent à franchir la frontière. La population italienne comme les Calaisiens n’en peuvent plus, nos forces de police non plus Et quand ce n’est pas l’Italie, c’est l’Espagne : à Vienne (Isère) la semaine dernière, un bus venu d’Espagne transportait 22 jeunes clandestins ivoiriens, maliens, sénégalais, mauritaniens. Que je sache, ces jeunes-là ne fuyaient aucune guerre. Ce sont ces mêmes jeunes que l’on retrouve ensuite non seulement à Calais mais à Paris ou dans les CADA (centres d’accueil de demandeurs d’asile) dans de nombreux villages et villes de France.
Or le droit d’asile n’est pas un hypermarché grand ouvert aux trafiquants d’êtres humains, pas plus que Schengen est synonyme avec la libre circulation des terroristes.
Un Etat a le devoir de défendre ses frontières et sa population. Et Emmanuel Macron a eu raison de le rappeler. C’est même la toute première de ses fonctions régaliennes. Un peuple a le droit de décider souverainement de qui est autorisé à entrer séjourner sur son sol ou à faire partie demain de la communauté nationale, et de fixer pour cela des conditions.
Nulle disposition de Droit international n’oblige les Français ou les Européens à devenir une annexe de l’Afrique ou du sous-continent indien. L’inverse s’appelait jadis la colonisation.
Oui nous avons en tant que nation démocratique le droit de distinguer entre les réfugiés de guerre (et le paradoxe est que nous n’en accueillons que très peu sur les 400 000 entrées annuelles) et les migrants économiques. Les uns doivent être accueillis et protégés, les autres renvoyés chez eux. Faire cela n’est pas revenir à la France de Vichy mais tout au contraire prévenir l’inévitable colère qui monte partout en Europe, de peuples qui se sentent de plus en plus dépossédés de leur identité, de leur Histoire et donc de leur avenir.
M. Moix et consorts, gare aux bons sentiments, aux leçons de morale faciles qui, invariablement dans l’Histoire, ont préparé les pires catastrophes.