La France in Vitro ou les États généraux de la bioéthique

Source [Franck Juillé] La FIV (fécondation in vitro) s’est répandue rapidement dans les années qui ont suivi la naissance des premiers « bébés-éprouvettes », Louise Brown en Grande-Bretagne en 1978 et Amandine en France en 1982 sous le pilotage de René Frydman et Jacques Testart. En 1992, la FIV a bénéficié d’une nouvelle avancée médicale : l’injection intracytoplasmique de spermatozoïde (ICSI), qui consiste à injecter un spermatozoïde dans l’ovule à l’aide d’une micropipette. 

En 2013, Amandine donnait naissance à son tour à une petite fille – Ava, un prénom soigneusement choisi, tout un programme - en présence du même René Frydman, marquant une nouvelle étape de la PMA. En 2018 le CCNE (Comité consultatif national d’éthique) organise les États Généraux de la bioéthique, phase préalable à la révision de la loi de bioéthique de 2011 prévue pour cette fin d’année. Cette consultation sous forme de débat public cherche à sonder l’opinion de la société française sur 9 thématiques : cellules souches et recherche sur l'embryon, examens génétiques et médecine génomique, dons et transplantations d'organes, neurosciences, données de santé, intelligence artificielle et robotisation, santé et environnement, procréation et société, prise en charge de la fin de vie. Nous nous demanderons dans quelle mesure les États Généraux de la bioéthique de 2018 ne sont pas une nouvelle étape de la révolution procréatique.

Dans cet article, nous nous intéresserons plus spécifiquement à la thématique de la procréation, entendre la Procréation Médicalement Assistée (PMA), indifféremment appelée Assistance Médicale à la Procréation (AMP).

1. Quelques chiffres : le tsunami procréatique

Les publications de l’Insee nous permettent de savoir qu’il naît environ 800 000 enfants par an en France (821 047 en 2012 ; 790 114 en 2015 ; 767 000 en 2017). Ces chiffres sont à mettre en regard du nombre de naissances par PMA. L’Agence de la biomédecine publie les chiffres suivants :

• En 2011 : 141 277 tentatives de PMA pour 23 127 naissances, ce qui représente 2,8% des enfants nés durant l’année. La PMA reste en France très majoritairement intraconjugale (95%).

• En 2012 : 142 708 tentatives conduisant à 23 887 naissances, dont 22 553 ont été conçus avec les gamètes de leurs deux parents. Les trois quarts sont nés à la suite d’une FIV. Cela représente 2,9 % des naissances enregistrées cette année-là.

• En 2015 : 24 839 enfants sont nés d’une PMA, soit 3,1 % des naissances. 54 167 tentatives d’insémination artificielle ont conduit à la naissance de 6 188 enfants ; 62 230 tentatives de fécondation in vitro (y compris avec don de gamètes) ont conduit à la naissance de 18 651 enfants.

En 2008, la chercheuse à l’INED Élise de La Rochebrochard publiait dans la revue Population & Sociétés (n°451, décembre 2008) un article 200 000 enfants conçus par fécondation in vitro en France depuis 30 ans. Dix ans après en 2018, nous pouvons évaluer que 400 000 enfants sont nés de PMA dont une majorité par FIV.

Cette tendance se renforce et ces chiffres nous plongent dans une nouvelle réalité sociale. Au rythme de 3% de naissances annuelles par PMA dont environ 2% par FIV, nous pouvons raisonnablement penser qu’un million de personnes seront nées par PMA à horizon 2040, dont environ 60% par FIV, et que ces personnes auront-elles-mêmes des enfants. Des personnes qui fréquentent des écoles, des églises, des entreprises, des associations, qui veulent se marier, créer des familles et avoir des enfants. Parents et grand-parents d’aujourd’hui ne peuvent ignorer que leurs enfants et petits-enfants vont côtoyer et peut-être fonder une famille avec des personnes conçues par PMA. Qui peut prétendre ne pas être concerné par ce tsunami procréatique ? 

2. Familiariser les esprits à la norme procréatique

Le docteur Benoît Bayle écrivait en 2004 : « La révolution conceptionnelle repose sur une incontestable réification de l'embryon humain. Celui-ci devient objet de surproduction, et par conséquent de destruction de masse, objet de contrôle qualitatif et bientôt peut-être, prothèse thérapeutique. Cette surproduction et cette surconsommation embryonnaire sont l'objet d'un refoulement massif. Leur étude mérite pourtant d’être entreprise, par-delà les enjeux idéologiques qu’elle soulève... La révolution procréatique repose sur une véritable logique de surproduction, de sélection et de destruction des embryons humains ». 

Considérons quelques chiffres. En 2014 il s’est réalisé 91 088 FIV donnant naissance à 18 651 naissances, soit une naissance pour une 5 FIV (chiffres 2014, Agence de la biomédecine). Mais chaque FIV repose elle-même sur le prélèvement de plusieurs ovocytes, d’abord fécondés, puis sélectionnés pour certains et détruits ou congelés pour d’autres. Sont ensuite transférés les embryons sélectionnés – les embryons survivants - en général 2 (dans 54% des cas, 1 dans 40% des cas, 3 ou plus dans les cas restants). Enfin, les embryons implantés peuvent subir une « réduction » embryonnaire – entendre un avortement – s’ils survivent en trop grand nombre (3 ou plus). Après cet impitoyable parcours, on estime à environ 5% le nombre d’embryons conçus parvenant à la naissance dans ce processus. Et comment ne pas être choqué par les expressions de l’Agence de la biomédecine qui veut nous apprendre le langage bio-politiquement correct : « transfert d'embryons frais », « embryons décongelés »  … On se croirait dans un véritable supermarché !

Une telle révolution des mentalités et des corps passe par l’établissement d’une norme procréatique en familiarisant et en normalisant auprès des enfants ces techniques. Ce processus est déjà bien établi comme en témoignent les programmes de SVT (Sciences de la Vie et de la Terre) des classes de 1ère (S, ES et L) qui consacrent une part importante des cours à l’étude des différentes techniques de la FIV. Il faut tatouer les esprits les plus jeunes et les plus naïfs, des jeunes de plus en plus livrés à une véritable guerre chimique avec la pilule, la pilule du lendemain, la pilule du surlendemain, et de jeunes adultes de plus en plus souvent confrontés à la souffrance de l’hypofertilité ou de l’infertilité.

Dans ce cadre, il nous importe de bien comprendre certaines situations spécifiques liées à la naissance par PMA, en particulier par les techniques de la FIV.

3. Une société génétiquement modifiée

La technique de l’ICSI (injection intracytoplasmique de spermatozoïde) s’est développée à partir des années 90.

En 2014, le recours à l’ICSI représentait 66% de l’ensemble des tentatives de fécondation in vitro quelle que soit l’origine des gamètes utilisés. 

Elle est utilisée en particulier dans les situations d’hypofertilité ou d’infertilité masculine. Elle consiste à injecter un spermatozoïde entier dans le cytoplasme d'un ovocyte mature. Le rapport du Sénat n°421 de juin 2008 intitulé Contribution à la réflexion sur la maternité pour autrui précise : « Une technique plus poussée de fécondation in vitro, mise au point dans les années 1990 et appelée ICSI, ou micro-injection ovocytaire de spermatozoïdes, consiste à introduire un spermatozoïde directement dans l’ovocyte et non plus à les laisser se rencontrer dans l’éprouvette. Lors de son audition, Axel Kahn, généticien, président de l’université Paris 5 René Descartes, a observé que les enfants nés au moyen de cette dernière technique semblaient rencontrer davantage de problèmes de santé que les autres, contrairement à ceux nés au moyen d’une FIV classique ».

Comprenons que lors d’une fécondation naturelle, seul l’ADN nucléaire du père pénètre dans le cytoplasme de l’ovocyte. Son ADN mitochondrial est exclu, restant à l’extérieur avec le flagelle. La membrane de l’ovocyte exerce un barrage et interagit avec les spermatozoïdes, fonctionnant comme une clef chimique protectrice et sélectionnant un spermatozoïde compatible. Dans le cas de l’ICSI, la membrane de l’ovocyte est forcée – fragilisant ainsi son potentiel de vie - et l’ADN tant nucléaire que mitochondrial du père sont introduits, créant une perturbation de l’hérédité mitochondriale. Dans la fécondation naturelle, le génome mitochondrial avec ses 37 gènes se reçoit uniquement de la mère.

En 2003, les travaux du neurogénéticien Pierre Roubertoux et son équipe du CNRS ont mis en évidence chez les souris la sensibilité du noyau à l’ADN mitochondrial et les modifications possibles du système nerveux et du fonctionnement cognitif, démontrant l'implication des changements de l’ADN mitochondrial dans des troubles du système nerveux.

4. Une identité psychique déconstruite

Ainsi que le rappelle clairement le docteur Benoît Bayle : « Ainsi, l’embryon humain est infiniment plus que le fruit biologique de la rencontre d'un ovule et d'un spermatozoïde, il est le témoignage charnel d’une histoire humaine et de la relation de deux êtres humains sexuellement différenciés. S'il possède, sur le plan biologique, une identité génétique, il est également riche d'une identité conceptionnelle psychosocioculturelle, parce qu’il est être humain conçu à tel moment de l'histoire, en tel lieu du monde, issu de tel homme et de telle femme, qui ont chacun telle histoire, telle psychologie, telle appartenance sociale, telle culture, qui appartiennent chacun à telle famille élargie avec sa structure généalogique particulière, qui ont reçu chacun tel nom par leur filiation instituée, et qui ont telle histoire passée et présente, et qui se trouvent unis l'un à l'autre par telle relation psychoaffective… De ces différentes déterminations, dépend l'identité même de l'être humain conçu. L'être humain conçu rassemble en son corps biologique ces déterminations psychosocioculturelles en une unité originale, qui fonde ce qu'il est, sans le confondre avec ceux qui lui donnent vie. L'être humain conçu est d'emblée un être bio-psychique. […] La science contemporaine a négligé l'approche psychosocioculturelle de l'embryon humain. Pourtant cette objectivation est possible. Par exemple, pour choisir un exemple extrême, l'embryon issu d’un viol ou d’un inceste acquiert une identité qui dépasse largement le registre biologique et qui inscrit d’emblée l’être humain conçu dans l’ordre psychosocioculturel. […] Nous pressentons que la même femme ne forme pas les mêmes représentations de son enfant, selon que l'être en gestation qu'elle porte est issu de la tendresse de l'homme qu'elle aime, ou de la liaison adultérine qu’elle entretient avec son amant, ou encore selon qu’il est issu du viol qu'elle a subi ». 

L’histoire prénatale est un temps spécifique de l’histoire de l’être humain. Elle marque le déploiement d’une intersubjectivité qui se manifeste initialement, parce que l’être humain conçu est constitué dès sa première forme embryonnaire comme corps subjectif de par son histoire conceptionnelle et son identité psychosocioculturelle. 

Dans son livre L’embryon sur le divan. Psychopathologie de la conception humaine, le Docteur Bayle va approfondir l’importance de l’histoire prénatale à la recherche de repères identificatoires originels de l’enfant car, comme il l’écrit, « l’histoire prénatale prend sens pour l’être humain conçu, à partir des éléments de réalité et des reconstructions imaginaires, à travers les récits et les non-dits ou les secrets ». Quel est alors le fondement de cet appareil psychique embryonnaire ? Se référant notamment à Suzanne Maiello qui défend l’idée qu’un « traumatisme prénatal marque vraisemblablement la vie psychique du fœtus par l’atteinte des perceptions sensorielles, perceptions qui pourraient être enregistrées sous formes de traces mnésiques et participer à des expériences proto-mentales », l’auteur en déduit que « l’être conçu est donc frappé du sceau de son identité psychique sans en avoir conscience, de même que le zygote possède un génome sans pour autant posséder instantanément un corps biologique organisé ».

Ainsi, les situations de traumatisme prénatal pourraient perturber le développement psychologique par l’intégration de proto-expériences perceptivo-sensorielles consécutives à la menace vitale. Il faut également envisager le poids de cette identité conceptionnelle particulière dans la construction du sentiment d’identité psychique.

Doit-on s’étonner de voir se développer chez les enfants nés de PMA les syndromes de « survivants » du « champ de bataille embryonnaire » décrits par le pédopsychiatre Stéphane Clerget (Quel âge aurait-il aujourd’hui ?) ?

5. L’idéologie procréatique

La FIV suppose la redéfinition de l’espace conceptionnel d’une manière extra-corporelle, la création d’embryons surnuméraires, la sélection génétique, la perturbation des processus épigénétiques, un choix technique des spermatozoïdes fécondants par les bio-techniciens de la reproduction. Indépendamment de ses performances techniques (le taux d’échec est important), elle dissocie l’acte de mariage de la procréation. Considérant que l’ordre moral est respecté dans le résultat final, elle entretient l’illusion que la technique peut reproduire la complexité de l’ordre créationnel sans en respecter les lois profondes de la biologie, de la psychologie, de la morale, de l’histoire du couple … toutes lois ordonnées à la Loi de Dieu. Ces techniques participent d’une amputation de la généalogie intégrale de la personne humaine, reposent sur une anthropologie réductrice à la dimension de matériau de la vie naissante.

La psychanalyste Monette Vacquin nous décrit l’univers procréatique et ses inévitables lacérations en ces termes : « Dans le même temps, le corps maternel est fouillé, exploré, hyper stimulé, ponctionné, la maternité devient éclatée en fonctions génétique, utérine, adoptive, sociale, porteuse, de substitution, bref, objet d'un intérêt essentiellement scopique et morcelant qui n'est pas sans rappeler les pulsions sadiques les plus archaïques ».

En intervenant sur les conditions de la conception de l’embryon humain et de son implantation dans l’endomètre, la mentalité procréative s’inscrit dans la continuité de la mentalité contraceptive. La pilule contraceptive ne cherche pas autre chose que de bloquer l’ovulation pour empêcher la conception d’un embryon et dégrader l’endomètre pour en interdire toute nidation. La FIV s’inscrit comme en creux de la norme contraceptive et de sa guerre chimique embryocide. Ces techniques, anti ou pro implantatoires, participent de la même vision de l’embryon.

6. La société procréatique en marche

Une nouvelle étape de la révolution sociétale est En marche ! Les États généraux de la bioéthique nous y invitent. La même compassion fallacieuse et son sentimentalisme révolutionnaire nous conduisent maintenant vers la société des hommes médicalement assistés pour procréer. 

Sans remise en cause radicale du présupposé « il est permis de tuer un embryon », les États généraux de la bioéthique ne sont qu’une manœuvre pour mieux asseoir légalement la mentalité procréative avec un vernis de volonté générale. Ils participent même du processus d’établissement de la future dictature biopolitique annoncée par Emmanuel Macron dans sa lettre ouverte aux LBGTI du 16 avril 2017. Le candidat Macron annonçait : « Je suis favorable à une loi qui ouvrira la procréation médicalement assistée aux couples de lesbiennes et aux femmes célibataires alors que seuls les couples hétérosexuels y ont accès aujourd’hui. Afin de ne pas réitérer les erreurs du passé (l’ancien Secrétaire général adjoint de l'Élysée n’a pas oublié le coup fatal porté par La Manif Pour Tous au quinquennat Hollande), le calendrier de cette réforme sera soigneusement préparé. Ainsi j’attendrai que le Comité consultatif national d’éthique ait rendu son avis, prévu pour la fin du printemps 2017 pour pouvoir construire un consensus le plus large possible. Cette question importante mérite un débat serein, préservé des insultes et des attaques qui blessent les couples de même sexe et leurs familles ».

Les États généraux de la bioéthique s’inscrivent dans un lent processus de strangulation politique.

Vaincre la mentalité procréatique

Pour vaincre la mentalité procréative, véritable forteresse spirituelle, et le processus d’oppression politique qui l’accompagne, les églises chrétiennes doivent inviter la société française à discerner dans les techniques de la FIV les manœuvres de « celui qui a été meurtrier dès le commencement, et qui n'a point persisté dans la vérité, parce que la vérité n'est point en lui. Toutes les fois qu'il dit le mensonge, il parle de son propre fond ; car il est menteur, et le père du mensonge » (Jean 8. 44). Elles doivent fermement déclarer la vérité de Celui qui, Maître de César, est aussi Maître de la vie.

Franck Jullié, le 16/04/2018