Le corbeau, ce vilain oiseau de proie qui plane au-dessus des villes et des villages, avec ses grandes ailes noires et son cri guttural, prêt à fondre sur sa proie pour lui porter le coup fatal ! Ce corbeau n’attire pas la sympathie, reconnaissons-le. Rien ne pouvait donc être plus adapté que le mot « corbeau » pour tous ceux qui, anonymement, veulent faire du mal à autrui

Nous pouvons distinguer trois grandes catégories de corbeaux. La première catégorie de corbeaux pourrait s’appeler celle du corbeau dénonciateur. C’est celui qui dénonce son voisin de façon claire, nette et précise. Par ces temps d’épidémie, il fait florès : actuellement, la délation représente jusqu'à 70% des appels dans certaines grandes villes, au point que le maire du XXe arrondissement de Paris, par exemple, a dû lancer un appel au calme et à la fin des dénonciations. Par un simple coup de téléphone anonyme, au commissariat, je vous signale que M. X, qui habite dans la rue Y dans la ville Z, reçoit tous les soirs un groupe d’amis avec lequel il festoie à grands bruits, au mépris de toutes les règles sanitaires, du confinement, et de la fameuse distanciation sociale. Quant à Mme M., elle ose faire sortir ses enfants de 5 à 7 ans dans la cour de la copropriété, au risque de contaminer tout l’immeuble. Il faut bien évidemment faire cesser ce scandale, ces atteintes insupportables à l’effort national contre le coronavirus. A bon entendeur, salut. Les choses sont claires. La dénonciation est anonyme mais nette et sans bavure. Elle vient surcharger les agents de police, qui ont alors des excuses toutes trouvées pour ne pas réguler les entorses massives et répétées aux règles publiques, beaucoup plus dangereuses, que l’on observe dans certains quartiers.

La seconde catégorie de corbeaux nous met aux prises avec des profils plus élaborés. Ce sont les corbeaux déstabilisateurs. Ils font planer la rumeur autour de quelqu’un, la rumeur si bien mise en musique par Rossini, cette rumeur qui se répand et envahit tout l’espace jusqu’à déstabiliser la cible, parfois de manière grave et irréversible. Cela peut passer, par exemple, par un tract apparemment innocent, distribué dans les boîtes aux lettres d’une ville ou d’un quartier, dans lequel il est dit que le notaire F. qui habite rue X, emploie régulièrement de jeunes et jolies stagiaires, qui sortent de chez lui à des heures extrêmement tardives. C’est tout, point n’est besoin d’en dire plus. On instille le doute chez les voisins, qui observent. Grâce à la rumeur qui va se répandre, la réputation du notaire, petit à petit, sera bientôt finie. Voilà une méthode particulièrement vicieuse : Henri-Georges Clouzot en a fait un film, où les mécanismes de destruction, implacables, peuvent conduire au tragique.

Mais la troisième méthode est infiniment plus vicieuse : il s’agit des corbeaux manipulateurs. Les corbeaux manipulateurs ont décidé d’utiliser tous les moyens modernes de communication, et particulièrement internet, pour troubler la réputation d’une personne. Le procédé est aisé : en sortant quelques faits isolés plus ou moins vérifiés, judicieusement mis sur la toile, avec des mots bien choisis, ils mettent le doute sur la personne, en prenant toujours soin d’occulter les aspects positifs de son action ou de son parcours. Réseaux sociaux, forums de discussion, encyclopédies en ligne : les moyens abondent pour créer une sorte de brouillard autour de leur cible. Ces corbeaux manipulateurs sont profondément pervers car ils agissent très indirectement, mais avec des moyens qui leur garantissent une diffusion la plus large, avec une rapidité inégalée.

Pourquoi s’adonner à ce genre de dénonciations ? Certains sont spécialistes en la matière. De l’avis d’un avocat de nos relations, le moteur de ces corbeaux dénonciateurs et manipulateurs est bien souvent la haine, la violence, et une sorte de frustration latente qui les poussent à détruire.  Et ces dénonciateurs sont des gens qui ont le courage de l’anonymat… Ces corbeaux sont à l’évidence les plus dangereux. Nous connaissons bien l’adage : « Si Hitler avait eu la télévision ». On pourrait ajouter : « Si internet avait existé à l’époque de Staline… » La délation aurait sans nul doute pris des proportions inégalées ! Nos corbeaux réagissent comme de petits staliniens dotés de l’outil internet. Ils sont persuadés d’être à l’abri et protégés dans leur anonymat, mais l’on sait bien qu’internet n’est en aucun cas un outil qui garantit le secret, et qu’il est toujours possible de retrouver les auteurs des méfaits, avec un jour, un procès au pénal et des indemnités contre la personne qu’ils auront abîmée. En ce siècle d’hyper-communication, le discernement est de mise : c’est ce qui s’appelle le bon usage de la liberté.

François Billot de Lochner

Président de Liberté politique, du Collectif France Audace et de Stop au porno