Heureusement qu’en chassant Donald Trump de la Maison-Blanche, les Américains faisaient le choix de mettre fin à l’outrance, à l’aventurisme, à la provocation diplomatique, à l’irrespect des partenaires internationaux… Avec l’arrivée de Joe Biden à la présidence, enfin, tous les bien-pensants nous l’avaient promis, ce serait le retour de la dignité et de la raison. On allait voir ce qu’on allait voir.

On a donc vu. Joe Biden, avec le sens de la mesure inné des démocrates progressistes qui peuvent bafouer la terre entière, mettre à feu et à sang n’importe quel territoire du moment que la bonne conscience est au rendez-vous, a trouvé il y a quelques jours le moyen de traiter Vladimir Poutine de « tueur », qui aurait un jour ou l’autre à payer le prix de ses agissements. Se vantant peu après de bien connaître ses interlocuteurs, le président américain a tenu a précisé que son homologue russe n’avait tout simplement « pas d’âme ».

Avec de tels propos, nous sommes, il faut en convenir, à des kilomètres, que dis-je, des verstes des excès que l’on reprochait à Donald Trump ! Quelle ironie. Après une telle sortie, la communication de la Maison-Blanche pédale quelque peu, et essaie de justifier l’injustifiable. Si Joe Biden a eu quelques mots malheureux, c’est qu’il « n’a pas l’intention de taire ses inquiétudes au sujet de ce qu’il considère être des actes néfastes. » « Ne pas taire ses inquiétudes » ? La formule est élégante : manifestement la Maison-Blanche a le sens de la litote quand il s’agit ni plus ni moins que d’insulter le chef d’Etat d’une des premières puissances mondiales.

A la suite de ce qui n’était, nous dit-on, que la banale formulation orale des inquiétudes de Joe Biden, Moscou a réagi comme il se doit, en rappelant l’ambassadeur russe en poste à Washington. Le président de la Douma, Viatcheslav Volodine, a pour sa part été extrêmement clair : à travers Poutine, c’est la Russie qu’il insulte. L’inconséquence de la déclaration de Joe Biden, faisant bien évidemment référence en creux, sans la nommer, à l’affaire Navalny n’a rien de très étonnant, malheureusement. Biden n’est pas le premier Américain à dramatiquement méconnaître l’histoire en général, et l’histoire européenne en particulier. Il devrait savoir que l’on n’insulte pas impunément la Russie et le peuple russe, car sa fierté est infinie. C’est cette fierté nationale qui a permis à ce peuple, laissé exsangue par les coups redoublés de l’horreur stalinienne, de trouver en lui la force suffisante pour résister à l’invasion de son sol voulue par Hitler, qui le méprisait et lui crachait au visage.

La réplique de Poutine à l’insulte est aussi spirituelle que l’on pouvait l’attendre. Elle tient en quelques mots : « Je lui souhaite une bonne santé ». Un trait d’humour, prononcé sur le ton placide dont il est familier, visant sans en faire trop à souligner que le président américain déraille, tout simplement. Puis il poursuit : « Quand on évalue d’autres gens ou même d’autres pays, d’autres peuples, on se regarde toujours, en quelque sorte, dans un miroir. » C’est celui qui l’a dit qui l’est, comme aiment à le dire les enfants.

A l’heure où la Chine, qui se relève avec énergie du virus et peut à nouveau imposer sa domination, fourbit ses armes et développe sa marine de guerre avec peut-être dans un futur proche l’intention de se lancer à l’assaut de Taïwan, comme le suggère avec inquiétude le commandant en chef américain en charge de l’aire du Pacifique, Joe Biden fait preuve d’un curieux sens des priorités en se fâchant stupidement avec les Russes. Les donneurs de leçons en sont pour leurs frais : les excès et le manque de diplomatie tant reprochés à Trump sont bel et bien incarnés par Biden, à un degré peu enviable. Son prédécesseur avait eu le mérite de ne pas déclencher une seule guerre de tout son mandat. S’il continue sur la même lancée, Biden risque bien pour sa part de faire dégénérer les choses à la vitesse grand V. Mais qui, dans le concert de louanges aveugles dont il fait l’objet, osera le dénoncer ?

Constance Prazel