Le célèbre vaticaniste Sandro Magister publie une traduction française de la préface à paraître du prochain livre de Benoît XVI sur Jésus, "vrai Dieu et vrai homme". Comme il l'avait fait pour l'encyclique "Deus caritas est", le pape distille chaque semaine des éléments de sa prochaine publication d'importance.

À l'audience générale du 3 janvier, le pape a attiré l'attention sur "la présentation d'un Jésus soi-disant modernisé ou postmodernisé", privé de sa divinité ou "personnage d'un conte de fée", auquel il oppose le "vrai Jésus de l'histoire", le Jésus qui est "vrai Dieu et vrai homme " et devant lequel "on ne peut rester indifférent". Et le pape invitait les fidèles à "prendre parti tout le temps" pour le vrai Jésus.

En publiant son livre, dit Magister, Benoît XVI ne peut pas ne pas penser à un autre livre qui s'est vendu en quelques mois à un demi-million d'exemplaires en Italie, intitulé Inchiesta su Gesù. Chi era l'uomo che ha cambiato il mondo [Enquête sur Jésus. Qui était l'homme qui a changé le monde], une version plus musclée du Jésus de Jacques Duquesne... Les auteurs du livre sont un journaliste agnostique du grand quotidien de gauche la Repubblica, Corrado Augias, et un professeur d'histoire de l'Église à l'université de Bologne, Mauro Pesce.

Selon la thèse du livre, "tout ce que professe la foi chrétienne au sujet de Jésus est faux", a relevé la Civiltà Cattolica, la revue jésuite romaine publiée avec l'aval de la Secrétairerie d'État du Vatican.

La publication du livre de Joseph Ratzinger/Benoît XVI – signé ainsi parce qu'il a été écrit avant et après son élection à la papauté – est imminente. Le titre du premier tome devrait être : Jésus de Nazareth, Du baptême dans le Jourdain à la Transfiguration. Magister prévoit un grand succès de librairie, en Italie et dans le reste du monde, mais plus qu'une guerre éditoriale, "une nouvelle phase dans l'éternel affrontement entre accueil et refus" du Jésus de l'histoire et de la foi.

Voici le texte de la préface, traduite par www.chiesa

"Mon interprétation de la figure de Jésus dans le Nouveau Testament..."

par Joseph Ratzinger / Benoît XVI

JE SUIS ARRIVE [à ce] livre sur Jésus, dont je présente maintenant la première partie au public, après un long cheminement intérieur.

Au temps de ma jeunesse, dans les années trente et quarante, une série de livres enthousiasmants furent publiés sur Jésus. Je me rappelle le nom de quelques-uns de ces auteurs: Karl Adam, Romano Guardini, Franz Michel Willam, Giovanni Papini, Jean Daniel-Rops. Dans tous ces livres, on avait tracé l'image de Jésus Christ à partir des Évangiles: comment Il vécut sur terre et comment, tout en étant complètement homme, Il amena en même temps Dieu aux hommes, avec lequel, en tant que Fils, il n'est qu'une seule et même chose. Ainsi, à travers l'homme Jésus, Dieu devint visible et à partir de Dieu on a pu voir l'image de l'homme juste.

La situation commença à changer dans les années cinquante. La rupture entre le "Jésus historique" et le "Christ de la foi" s'aggrava et l'un s'éloigna visiblement de l'autre. Mais que signification peut avoir la foi en Jésus Christ, en Jésus Fils du Dieu vivant, si en définitive l'homme Jésus était si différent de celui présenté par les évangélistes et de celui annoncé par l'Église à partir des Évangiles?

Le progrès dans la recherche historico-critique apporta des distinctions de plus en plus subtiles entre différentes couches de la tradition. En arrière-plan, la figure de Jésus, sur laquelle s'appuie la foi, devint de plus en plus incertaine et prit des contours de moins en moins définis.

En même temps, les reconstructions de ce Jésus, que l'on devait chercher derrière les traditions des évangélistes et leurs sources, devinrent de plus en plus contradictoires, en allant du révolutionnaire ennemi des Romains qui s'oppose au pouvoir en place et qui naturellement échoue au doux moraliste que tout permet et qui inexplicablement finit par causer sa propre perte.

Qui lit de certain nombre de ces reconstructions l'une après l'autre constate tout de suite qu'elles représentent davantage des projections des auteurs et de leurs idéaux que la mise à nu d'une icône qui est devenue confuse. Entre-temps, bien que la méfiance envers ces images de Jésus se soit accrue, la figure de Jésus s'est pourtant éloignée davantage de nous.

Toutes ces tentatives ont cependant laissé derrière comme dénominateur commun l'impression que nous connaissons très peu qui est certain de Jésus et que seulement plus tard la foi dans sa divinité a modelé son image. Entre-temps, cette impression est pénétrée profondément dans la conscience commune de la chrétienté.

Une telle situation est dramatique pour la foi parce qu'elle rend incertain son authentique point de repère; l'intime amitié de Jésus, d'où tout dépend, risque de se débattre dans le vide.

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J'ai ressenti le besoin de donner aux lecteurs ces indications méthodologiques parce qu'elles déterminent le parcours de mon interprétation de la figure de Jésus dans le Nouveau Testament.

Pour ma présentation de Jésus, cela signifie avant tout que j'ai confiance dans les Évangiles. Naturellement, j'accepte comme vrai ce que le Concile et l'exégèse moderne disent au sujet des genres littéraires, sur l'intentionnalité des affirmations, sur le contexte communautaire des Évangiles, et sur le fait qu'ils parlent dans ce contexte vivant. En acceptant, dans la mesure que cela m'était possible, tout cela, j'ai voulu faire une tentative de présenter le Jésus des Évangiles comme le vrai Jésus, comme le "Jésus historique" dans le vrai sens de l'expression.

Je suis convaincu et j'espère que le lecteur puisse s'en rendre compte, que cette figure est beaucoup plus logique et, du point de vue historique, aussi plus compréhensible que les reconstructions que nous avons dû affronter dans les dernières décennies.

J'estime que ce Jésus – celui des Évangiles – est vraiment une figure historiquement raisonnable et convaincante. Seulement si quelque chose d'extraordinaire s'était produit, si la figure et les paroles de Jésus dépassaient radicalement toutes les espoirs et les attentes de l'époque, pourrait-on expliquer sa crucifixion et son efficacité.

Déjà environ vingt ans après la mort de Jésus, nous trouvons clairement déployée dans le grand hymne à Christ qu'est la Lettre aux Philippiens (2 6, 8) une Christologie dans laquelle Jésus se dit l'égal de Dieu, mais dans laquelle il se dépouilla lui-même, se fit d'homme, s'humilia jusqu'à la mort de la croix et dans laquelle c'est à lui qui revient l'hommage de la création, l'adoration que dans le livre du prophète Isaïe (45, 23) Dieu proclama comme étant due à lui seul.

La recherche critique se pose justement la question de ce qui s'est passé dans ces vingt ans après la crucifixion de Jésus? Comment sommes-nous arrivés à cette Christologie?

L'action de formations communautaires anonymes, dont on cherche les chefs, n'explique rien en réalité. Comment des groupes inconnus purent être si créatifs, convaincre et s'imposer? N'est-il plus logique aussi du point de vue historique de situer la grandeur au début et que la figure de Jésus en pratique fit éclater toutes les catégories disponibles, pouvant ainsi être comprise seulement à partir du mystère de Dieu?

Bien sur croire que justement en tant qu'homme il fut Dieu et le fit savoir par des paraboles, pourtant de façon de plus en plus clair, dépasse les possibilités de la méthode historique. Au contraire, si à partir de cette conviction de foi nous lisons les textes avec la méthode historique et avec l'ouverture de celle-ci pour ce qui est plus grand, ces derniers s'ouvrent et montrent une voie et une figure dignes de foi.

La lutte à plusieurs niveaux présente dans les écrits du Nouveau Testament et, en dépit de toutes les différences, le profond accord entre ces écrits deviennent dans ce cas clairs.

Il est clair qu'avec cette vision de la figure de Jésus, je dépasse ce que dit, par exemple, Schnackenburg que je prends comme représentatif d'une bonne partie de l'exégèse contemporaine.

J'espère cependant que le lecteur comprenne que ce livre n'a pas été écrit contre l'exégèse moderne, mais dans un esprit de reconnaissance pour le travail qu'elle a fait et continue à faire. Elle nous a fait découvrir une grande quantité de sources et conceptions à travers lesquelles la figure de Jésus devient présente dans une vivacité et une profondeur que seulement il y a quelques décennies nous n'aurions même pas pu imaginer.

J'ai seulement cherché d'aller au-delà de la simple interprétation historico-critique en appliquant les nouveaux critères méthodologiques qui nous permettent une interprétation proprement théologique de la Bible et qui exigent naturellement la foi sans pour autant vouloir et pouvoir renoncer à la rigueur historique.

Certainement, ce n'est pas nécessaire de dire explicitement que ce livre n'est en aucun cas un acte magistériel et qu'il est seulement l'expression de ma recherche personnelle de la "face du Seigneur" (Psaume 27, 8). Tout un chacun est donc libre de me contredire. Je demande cependant aux lectrices et aux lecteurs un peu de sympathie sans quoi il n'y a pas compréhension.

Comme j'ai dit au début de la préface, le cheminement intérieur vers ce livre a été long.

J'ai pu commencer le travail pendant les vacances d'été 2003. En août 2004, j'ai donné la forme définitive aux chapitres 1 à 4. Après mon élection au siège épiscopal de Rome, j'ai utilisé tous mes moments libres pour le faire avancer.

Étant donné que je ne sais pas combien de temps et de force me seront concédés, j'ai décidé de publier les premiers chapitres comme première partie du livre, en allant du baptême dans le Jourdain jusqu'à la confession de Pierre et à la Transfiguration.

Rome, fête de saint Jérôme

Le 30 septembre 2006

© Traduction www.Chiesa

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