Un entretien avec Robert Ménard

source[Boulevard Voltaire]Ce qui m’importe, c’est de savoir ce que je peux faire dans une ville comme la mienne où les musulmans sont nombreux, très nombreux.

Vous expliquez à longueur d’interview que le renouveau de la droite ne peut pas passer par les partis politiques et, « en même temps », vous participez à la plate-forme Les Amoureux de la France qui ressemble fort à un cartel de partis… Un peu contradictoire, non ?

Il fallait bien commencer ! Mais, c’est vrai, s’il ne s’agit que de regrouper les petits partis coincés entre le FN et Les Républicains, notre démarche sera vouée à l’échec. On ne peut pas dire, à longueur de temps, que les partis sont morts, qu’ils font partie du passé et imaginer, ne serait-ce qu’une seconde, que nous pourrions échapper à ce diagnostic. C’est pourquoi nous devons aller chercher d’autres acteurs que les vieilles machines militantes : du côté des élus locaux comme des acteurs des médias alternatifs, par exemple. Il ne se passe pas un jour sans que je reçoive un message d’homme ou de femme que je ne connais pas et qui appelle à un vaste rassemblement des droites. Nous avons quelques années devant nous pour réussir ce pari.

Mais vous avez déjà essayé avec votre rassemblement de Béziers en juin 2016 !
Et nous avons en partie manqué le coche !

Nous avons cru, j’ai cru, naïvement, que chacun serait prêt à oublier ses petits intérêts pour se mettre au service d’une dynamique. C’était faire l’impasse sur les questions d’ambition et d’argent – les partis doivent bien compter leurs supporters lors des élections pour profiter des subsides de l’État… Chaque parti, fût-il un groupuscule, est conduit par une personnalité qui s’imagine, même si elle refuse de l’avouer, un destin plus ou moins national…

Alors, concrètement, comment peut se faire ce rassemblement que vous appelez de vos vœux ?

Commençons par le commencement. Que disent les Français ? À quels problèmes sont-ils confrontés ? Quels sont les obstacles qui nous empêchent de répondre à leurs demandes ? Pourquoi bien de nos propositions, pourtant marquées du sceau du bon sens, continuent-elles à faire peur ? Comment passer outre les oukases des uns et des autres ? Le reste – ces éternelles discussions sur les « trahisons » de son voisin d’Hémicycle -, nous pourrions le mettre de côté. Essayons de nous coltiner le réel. Que répondre à mes concitoyens qui ne supportent plus des voisins au mode de vie radicalement différent du leur ? Que faire face à des mineurs, à des gamins de douze ou treize ans qui se sentent si forts du sentiment d’impunité qu’ils ne craignent rien ni personne ? Où loger des familles dont vous savez pertinemment que leur attribuer un logement social revient à rendre invivable toute une cage d’escalier ? C’est à cela que le maire que je suis doit faire face. Et je ne crois pas un instant que la rhétorique de mes amis politiques m’aide de quelque manière que ce soit… Pour tout dire, je ne pense pas un instant que tout soit affaire d’immigration, d’islam ou d’Europe. C’est un peu plus compliqué que cela…

Sur l’Europe, justement, vous êtes en profond désaccord avec les souverainistes, ceux-là mêmes avec qui vous flirtez actuellement…

Je me sens européen. L’Europe est notre berceau et notre humus. Mais je refuse de la voir confisquer par une bureaucratie tatillonne, par des commissaires non élus, par des technocrates au sang-froid. Je suis européen et j’aime mon pays. Les deux à la fois. Je ne veux pas avoir à choisir. Je suis fier de cette civilisation européenne, de cette civilisation judéo-chrétienne qui a toujours su attirer les talents, accueillir les réprouvés, répondre aux appels des déshérités. Mais je vous l’avoue, si Bruxelles et ses institutions européennes me hérissent le poil, ce n’est rien en comparaison de l’OTAN. Il nous faut, d’urgence, construire une Europe forte, qui sache respecter les singularités de chacune de ses nations, pour ne pas finir comme les vassaux des États-Unis.

Et sur l’islam ?

Mettons les pieds dans le plat. Je ne vais pas passer ma vie à m’interroger pour savoir si l’islam est compatible ou pas avec la République. Je ne vais pas passer mon temps à envoyer des sourates à la figure de mes contradicteurs pour prouver que le Coran est truffé de propos sexistes, homophobes, d’appels à la violence, de propos haineux à l’égard de tous ceux qui ne font pas partie de l’Oumma, la communauté des croyants. Ce qui m’importe, c’est de savoir ce que je peux faire dans une ville comme la mienne où les musulmans sont nombreux, très nombreux. J’entends bien, j’approuve et je soutiens ceux qui me répondront : arrêt de l’immigration ou, du moins, réduction massive. Mais en attendant ? Et puis, je ne vais pas mettre tous les musulmans dans le même sac ! Je ne confonds pas la dame, serveuse dans le restaurant en bas de chez moi, et le barbu qui rêve d’imposer la charia ! Je ne suis pas le maire des seuls Biterrois d’origine. Demain, arrivés au pouvoir, il nous faudra bien prendre en compte tous ceux qui vivent ici. S’il nous faut combattre une idéologie qui veut, ni plus ni moins, que notre mort, si je ne veux abandonner aucun territoire à ces dévots radicalisés qui jurent obéissance à de supposées lois divines, si j’entends dénoncer ces compagnons de route de l’islamisme qui naviguent entre naïveté et lâcheté, je veux également réussir l’assimilation d’une population qui n’a aujourd’hui d’autre horizon que notre pays.

Vous ne seriez pas en train de tourner casaque ?

J’essaie seulement d’apporter des réponses concrètes aux problèmes tout aussi concrets de mes administrés. Et j’ai la prétention de penser que si, tous autant que nous sommes, nous nous y employions avec un peu plus de constance, d’énergie, nous pourrions un jour être aux postes de commande dans ce pays. C’est la seule chose qui vaille : gagner pour changer la vie des plus malheureux, des « gens de rien » de monsieur Macron, des « sans-dents » de monsieur Hollande. C’est pour cela que nous faisons de la politique, n’est-ce pas ? Échapper à cet homme qui « n’a d’autre but que lui-même » dénoncé par Camus et qui pourrait être moi… ou vous.