"Stanislas." Le dernier poème de Karol Wojtyla

D’après George Weigel qui le tenait de Jean-Paul Il lui-même, "Stanislas" est le dernier poème de Karol Wojtyla, écrit durant les heures qui ont suivi la mort de Jean Paul 1er, « pour s’acquitter de sa dette envers Cracovie » [1]. Jean Paul II dédia ce poème à son successeur, le cardinal Fransciszek Macharski, en le nommant archevêque de Cracovie le 29 décembre 1978. Le poème, extrait de "Wojtyla, Poèmes", est cité par Weigel dans sa fameuse biographie : Jean Paul II, témoin de l’espérance (JC Lattès, 1999).

 

Stanislas

I-1. Je veux décrire l’Église
Mon Église, qui est née avec moi,
Mais qui ne mourra pas avec moi et je ne mourrai pas non plus avec elle,
Qui me surpassera toujours —
L’Église, le fondement de mon être et sa cime.
L’Église, racine que j’ai fait croître dans le passé et l’avenir à la fois,
Sacrement de mon être en Dieu, qui est le père.
Je veux décrire l’Église —
Mon Église, qui est liée à mon pays
(Il est dit « Tout ce que tu lies sur terre sera lié dans le ciel. ») —
Ainsi reste mon Église liée à mon pays !
Ce pays s’étend dans le bassin de la Vistule, les affluents grossissent au printemps,
quand la neige fond dans les Carpates.
L’Église qui s’unit à mon pays, afin que tout ce qui est lié ici par l’Église le soit dans le ciel.

2. Il y avait un homme en qui mon pays vit qu’il était lié au ciel.
Il y avait un tel homme, il y avait un peuple, et ce sont toujours les mêmes...
En qui le pays se voit dans le sacrement d’un nouvel être.
C’est la patrie, parce qu’en elle la maison du père commence et de ce pays elle est née.
Je veux décrire mon Église dans un homme auquel on donna le nom de Stanislas.
Ce nom, le roi Boleslas l’écrivit de son épée dans les vieilles chroniques.
Il l’écrivit de son épée sur les dalles de la cathédrale.
Quand le sang se mit à couler !

3. Je veux décrire l’Église au nom de laquelle la nation fut rebaptisée
Par le baptême du sang, pour endurer de nombreuses fois encore le baptême d’autres épreuves...
À travers le baptême de désir où nous découvrons le souffle caché de l’Esprit...
Dans le Nom gravé sur le sol de la liberté humaine avant celui de « Stanislas ».

4. Sur le sol de la liberté humaine étaient déjà nés le Corps et le Sang,
Tran­chés par le glaive royal au cœur de la parole du prêtre,
Tranchés à la base du crâne, le tronc vivant décapité...
Le Corps et le Sang n’étaient pas encore nés sur l’autel —
Quand l’épée frappa le calice de métal et le pain de froment !

5. Le roi pensait peut-être : ce n’est pas aujourd’hui que l’Église naîtra de toi — !
La nation ne naîtra pas de la parole qui fustige le corps et le sang,
Elle naîtra de mon épée, qui te transpercera au milieu de tes paroles
Elle naîtra du sang versé..., peut-être est-ce là ce que pensait le roi.
Mais le souffle caché de l’Esprit unifiera tout ce que tranchent la parole et l’épée, la colonne vertébrale brisée et les mains pleines de sang...
Disant : à l’avenir vous irez toujours ensemble, rien ne vous séparera !
Je veux décrire mon Église dans laquelle, à travers les siècles
La parole et le sang vont ensemble
Unis par le souffle caché de l’Esprit.

6. Stanislas pensait peut-être : ma parole te blessera et te convertira,
Tu viendras repentant aux portes de la cathédrale,
Tu viendras amaigri par le jeûne, empli d’une voix intérieure...
Et tu rejoindras les autres à la table du Seigneur comme un fils prodigue...
Si la parole ne peut convertir, le sang convertira —
Peut-être l’évêque n’eut-il pas le temps de penser :
Prends cette coupe que je tiens.

7. Sur le sol de notre liberté s’abat l’épée.
Sur le sol de notre liberté s’abat le sang.
Lequel l’emportera sur l’autre ?
Le premier siècle s’achève.
Le second siècle commence !
Nous effleurons le CONTOUR du temps inexorable.

***

II. 1. La terre suit son cours devant nos vitres, et de même les arbres et les champs.
Et la neige scintille sur les branches, puis tombe au soleil.
Et tout redevient vert, d’un jeune vert, puis d’un vert mûr, et finalement le vert s’éteint comme une chandelle.
La terre polonaise défile, avec ses verts, ses automnes et ses neiges.
Un promeneur les admire : il est difficile de les voir d’un bout à l’autre.
Et un oiseau ne peut pas voler si facilement, mais un avion traversera cet espace en une heure — la patrie le contiendra en elle.

2. Pays d’une unité difficile. Le pays de gens cherchant leur propre voie.
Pays d’une longue division entre les princes d’une seule famille.
Pays assujetti à la liberté de chacun à l’égard de tous.
Pays, enfin, déchiré pendant près de six générations,
Déchiré sur les cartes du monde… et bien plus encore dans le sort de ses fils !
Pays à travers cette déchirure unie dans le cœur des Polonais !
Comme aucune autre terre.

3. Qu’est-ce qui fait grandir ce nom qu’il a reçu pour son peuple ?
Pour ses parents, pour sa famille, pour le diocèse de l’évêque de Cracovie,
Pour le roi Boleslas appelé « le Hardi » et « le Généreux » ?
Pour le vingtième siècle ? Ce nom.

 

 

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 [1] Conversation de George Weigel avec Jean Paul II, 20 mars 1997 et 23 octobre 1998.