"Europe constitutionnelle, démocratie, frontières et dépendances", tel était le thème du colloque de la Fondation de service politique auquel ont participé deux cent personnes, le 17 janvier au palais du Luxembourg.

Voici le texte d'ouverture du colloque, par Bernard Seillier, vice-président de la Commission des affaires sociales du Sénat.

POUR ETRE un projet réaliste, l'Europe doit être pour nous une réalité délibérément choisie et privilégiée à partir de bases culturelles, historiques et géographiques objectives. Le débat autour de l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne aura eu au moins le mérite de nous obliger à réfléchir sur cette question fondamentale. C'est une opportunité bienvenue pour réveiller notre conscience métaphysique, morale et politique.

En admettant, que les dirigeants turcs veuillent trouver dans l'adhésion à l'Union européenne une protection contre la confusion des sphères politiques et religieuses, avec une intensité de conviction qui reste à prouver, l'Europe a-t-elle aujourd'hui la capacité et la force intellectuelle et spirituelle de fournir à la Turquie, cette garantie de civilisation ?

La réponse est aujourd'hui négative parce que les pouvoirs politiques en Europe ont certes récusé à juste titre toute confusion avec les autorités religieuses, mais pour se faire le plus souvent inconsciemment eux-mêmes les autorités suprêmes d'une religion séculière qu'on pourrait appeler le libéralisme absolu, fruit subversif de l'individualisme et du nihilisme pratique. Nous vivons donc en Europe non sous des régimes de séparation des Églises et des États mais de confusion entre l'idéologie dominante et les États. Cette confusion instituée, et le laïcisme qui en découle, ont presque réussi à désintégrer socialement la religion qui a structuré en Europe, la liberté de conscience, la liberté religieuse et a contrario celle de conversion, mais sera plus impuissante qu'elle ne le croit orgueilleusement, face à une religion qui nie l'autonomie du pouvoir politique, la liberté de conscience et de conversion.

Les libertés ne se cultivent pas sur le libertarisme, qu'il soit moral ou économique, mais sur un ordre structuré par une anthropologie et donc une ontologie. Les Pays-Bas qui l'ont oublié, ont depuis le début des années soixante-dix adopté une politique marquée par la légalisation de l'usage des drogues douces, la légalisation du mariage homosexuel, un communautarisme exacerbé, une immigration mal maîtrisée et vivent un cauchemar. L'assassinat de Théo van Gogh, les émeutes qui s'en sont suivies, les menaces qui pèsent aujourd'hui sur le député néerlandaise d'origine somalienne, Mme Ayaan Hirsi Ali, qui dénonce le comportement des islamistes vis-à-vis des femmes, sont le révélateur du malaise d'une société tout entière. Nombre de dirigeants européens s'en inquiètent, hors micro et hors caméra et ne réagissent qu'en menant des actions policières nécessaires mais insuffisantes.

Les dérives libertaires conduisent inéluctablement à une montée en puissance des extrémismes et des fanatismes. Ceux-ci ne pourraient être contenus qu'à partir d'une réactivation des repères et des valeurs issus de l'action civilisatrice des philosophies issues de l'hellénisme et du christianisme, pour faire bref. Ces sources éthiques au sein d'une communauté nationale concernent principalement la conception de la famille, de l'école, du travail, et du pouvoir politique... Réactiver veut dire mettre en pratique et vouloir défendre en s'opposant à leur destruction, qui trop souvent hélas a été alimentée dans les sphères européennes elles-mêmes.

Entrée de la Turquie ou non dans l'Union européenne et quel que soit le résultat du référendum, nous n'échapperons pas à ce défi qui se présente à nous.

L'incursion de la Turquie dans une Europe déjà soumise à des dérives libertaires ne ferait qu'aggraver une situation déjà problématique. D'ores et déjà en effet, les millions de femmes et d'hommes ayant leur racine au-delà de la méditerranée : en Afrique du Nord, en Turquie ou ailleurs et déjà présents dans l'Union européenne, nous interpellent. La plupart d'entre eux ont bénéficié de nos valeurs civilisatrices, parfois même sans en être conscients.

Comment pourraient-ils d'ailleurs en être conscients et prendre part à leur promotion si nous-mêmes ne les défendons pas avec courage et conviction ? Ces personnes sont pour nous des aiguillons pour nous sortir de notre léthargie, car ils sont assoiffés d'affirmation identitaire. À nous de savoir ensemble relever ce défi de la capacité universelle de notre civilisation.

Je suis convaincu que la culture est un terrain de choix pour transmettre ces valeurs à nos concitoyens quelle que soit leur origine ethnique. À nous de reconstruire cet espace culturel abandonné à des courants hostiles et dévastateurs.

Si les partisans d'une Europe fédérale reconnaissent une certaine souveraineté des États pour la défense et la promotion de leur culture nationale, les tenants d'une Europe confédérale affirment pour leur part que la civilisation européenne tient son unité de l'imprégnation chrétienne commune de ses traditions philosophiques et culturelles nationales. Autant dire qu'aussi bien les États nationaux que les institutions européennes doivent se mobiliser pour réaffirmer et promouvoir les valeurs constitutives de ce bien commun, au lieu de contribuer à le détruire, comme ce fut trop souvent le cas ces dernières années. Il faut hélas reconnaître que nombre de mauvaises orientations dont nous souffrons viennent d'en haut.

À défaut, c'est notre capacité à vivre ensemble dans des espaces politiques ouverts, parce que préalablement ordonnés culturellement qui serait compromise. Les tensions extrêmes et la violence qui ne pourraient que résulter de cet échec ne feraient que traduire un désordre mental et culturel préalablement accepté.

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