Sans partager toutes les options du gouvernement en matière de justice et de politique pénale, il faut reconnaître que la détermination de Rachida Dati dans sa lutte contre la récidive criminelle est courageuse. Le garde des Sceaux fait d'ailleurs l'objet d'attaques de plus en plus haineuses dans le monde judiciaire.
La loi sur les peines planchers votée en juillet 2007 a été appuyée par de fermes instructions de sa part. Le ministre demande aux procureurs de faire appel systématiquement des jugements n'appliquant pas la peine minimale (alors que le juge a, selon la loi, la possibilité de l'écarter). Mme Dati avait jugé que les statistiques sur les peines planchers étaient décevantes. Or rarement avant elle on avait osé ainsi affronter avec autorité le milieu judiciaire pour lui demander d'appliquer la loi et de respecter le choix des citoyens. Depuis, les syndicats de magistrats se sont largement mobilisés pour désavouer sa politique jugée sécuritaire et exprimer leur colère en rappelant, notamment, les suicides de jeunes prisonniers.
Pourtant, dans le même temps, les dysfonctionnements de la profession font une nouvelle fois la une de la presse. Le 23 octobre, jour même de la journée d'action lancée par les deux principaux syndicats de magistrats, l'Union syndicale des magistrats et le Syndicat de la magistrature, un juge remettait en liberté, à la suite d'une erreur de plume, un détenu accusé de viols, enlèvements et séquestration ! De même, le pédophile de La Rochelle qui vient de s'en prendre à une adolescente de 14 ans en la piégeant sur l'Internet était un récidiviste qui aurait dû rester derrière les barreaux. Certes, la loi permettait sa libération, mais ne fallait-il pas tenir compte de sa dangerosité pour la société ? Aujourd'hui même, on apprend qu'un violeur récidiviste, jugé en avril 2003 par la cour d'assises des Yvelines, pourrait sortir de prison parce que son procès n'a pas été organisé dans les délais légaux, après un jugement de la Cour européenne des droits de l'homme. Enfin, on sait que plusieurs affaires ont mis en lumière les failles de la prise en charge des patients dangereux par les centres de soins psychiatriques.
L'action du gouvernement pour combattre efficacement la criminalité est indéniable, mais le chantier est immense et il est loin d'être terminé. Le chemin est encore long pour qu'une justice équitable et efficace devienne réalité en France.
Admettre que l'obligation primordiale d'une bonne politique pénale est la sécurité et la protection des citoyens — dont les plus faibles — est un préalable philosophique à toute réforme. Ce fait étant acquis, trois pistes devraient être creusées sans tarder car il en va de la vie d'innocents et d'innocentes.
1/ L'exécution intégrale des peines de prison
Bien peu de criminels accomplissent totalement la peine à laquelle un jury populaire les a condamnés. Une sorte de cuisine d'aménagement s'est mise en place au fil des années, permettant de revenir sur les décisions prises par les jurys populaires au nom du peuple français. Tout un arsenal de mesures imaginées par le législateur a eu pour résultat de réduire la durée des peines prononcées, soit de manière automatique, soit sur demande de la défense : remises de peine ordinaires accordées aux détenus faisant preuve d'une bonne conduite , remises de peine supplémentaires accordées aux détenus qui fournissent des efforts sérieux de réadaptation sociale , grâces collectives, amnisties... Avant 2007, les grâces présidentielles ont eu aussi pour effet la remise en liberté d'individus dangereux ou de réduire leurs peines [1].
Alors qu'on légifère sur des dispositifs permettant de limiter les effets éventuellement mortels de la remise en liberté de prédateurs avérés, il importe que ces criminels accomplissent intégralement et sans négociation la peine pour laquelle ils ont été condamnés. La justice ne fonctionne pas comme l'application d'un tarif automatique, mais un jugement est un jugement. Il est donc nécessaire de remettre en cause les remises de peines automatiques instaurées par la loi Perben. Ces mesures contribuent à décrédibiliser l'institution pénale aux yeux des citoyens et ont pour effet d'abaisser considérablement la valeur dissuasive des peines. En cherchant à adoucir la sanction qui vise un criminel, c'est en quelque sorte le crime que l'on absout ! De plus, il faut en finir avec ces affirmations un peu niaises sur la prison, école du crime. Que le régime carcéral soit critiquable est une chose, mais quand les criminels sont en prison, ils ne commettent plus de crimes. Et nombreux sont les criminels potentiels qui ne passent pas à l'acte de peur d'être envoyés en prison.
2/ La réclusion à perpétuité réelle
En outre, il faut accepter avec humilité de reconnaître que certains criminels ne pourront jamais entrer dans une filière de réinsertion et qu'ils doivent en être radicalement exclus dans le but de protéger la société. Pour ceux-là, il ne faut pas hésiter à prévoir une privation définitive de liberté, inexorable, soit la perpétuité perpétuelle . Or la réclusion à perpétuité, telle qu'elle est appliquée actuellement est une peine en trompe l'œil, parfois prononcée, jamais exécutée. Tout criminel condamné à la perpétuité peut aujourd'hui poser cette question attribuée à Louis-Napoléon Bonaparte condamné par la chambre des pairs à cette même peine : Combien de temps dure la perpétuité en France ?
D'ailleurs, Nicolas Sarkozy alors ministre de l'Intérieur ne s'était-il pas écrié à l'Assemblée nationale lors de l'assassinat de Nelly Cremel : Comment l'État peut-il relâcher un tel monstre ?
C'est une question de vie ou de mort. En effet, aucun médecin ne prétend que les soins pouvant être prodigués aux criminels sexuels sont efficients à 100%. Le doute semble pourtant bénéficier à ces criminels, pas aux victimes. Pour ceux qui sont prisonniers de leurs pulsions, l'enfermement reste le seul moyen d'empêcher la récidive. La faiblesse de ceux qui prétendent qu' on va en faire des fauves ne doit pas impressionner. Ces fauves, on peut toujours se donner les moyens de les garder et d'ailleurs, en milieu pénitentiaire, les criminels sexuels ne sont pas réputés pour poser des problèmes majeurs de violence.
3/ La responsabilité des magistrats et des experts psychiatriques
En troisième lieu, on ne pourra pas faire l'économie d'un débat national sur la notion de responsabilité des acteurs du monde judiciaire. Le président de la République a eu déjà plusieurs fois l'occasion de l'évoquer lorsqu'il était ministre de l'Intérieur. Peu de citoyens ne sont pas concernés par l'article 121-3 du Code pénal qui prévoit qu' il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d'autrui. Sur la base de cet article, des employeurs, des enseignants, des élus, des professions médicales, des éducateurs et des bénévoles du secteur éducatif et bien d'autres professions ont dû répondre de leurs actes. Au nom de quoi un juge et/ou un expert qui, non en vertu de sa légitime indépendance, ni même de sa faillibilité humaine, mais par imprudence, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité, a mis une personne en danger, voire en danger de mort, ne serait-il pas responsable ?
Bien évidemment la responsabilisation des acteurs du système judiciaire s'impose quelles que soient les récriminations corporatistes, plus souvent idéologiques qu'enracinées dans la tradition du droit. Cette mesure ne devrait pas être considérée comme une contrainte supplémentaire mais au contraire aurait dû depuis longtemps être revendiquée par les intéressés car c'est une question d'honneur que d'assumer la responsabilité de ses décisions !
***
Au demeurant, il importe de rompre avec ce climat d'utopie, d'idéologie et d'aveuglement qui a prévalu pendant de trop longues années dans notre système judiciaire. Le principe de précaution doit dorénavant conduire les juges à garantir la société contre des personnes qui resteront toujours des dangers publics. L'enquête menée par l'Institut pour la Justice démontre si besoin en était que cette orientation correspond aux attentes bien légitimes de nos concitoyens. L'époque d'un système judiciaire marqué par une sacralisation irréfléchie des droits des délinquants, sans considération des droits des victimes réelles et potentielles, doit être révolue. C'est le premier rôle d'un État d'assurer la sécurité à l'extérieur et à l'intérieur du territoire, et cet objectif prime toute autre forme de considération.
*Damien Theillier est directeur des études de l'Institut pour la Justice.
[1] La grâce de Noël présidentielle qui vient d'être annoncée exclut les auteurs de crimes et les condamnés pour affaire de mœurs.
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