Il a été beaucoup question ces derniers temps du régime des partis . Les hommes de Nicolas Sarkozy ont dénoncé dans le projet de François Bayrou d'instaurer la proportionnelle le retour au régime des partis .

Ce dernier a au contraire contesté les candidats des partis . Une chose est certaine : qu'on s'en félicite ou qu'on le déplore, les deux candidats du second tour ont été les candidats investis par les deux principaux partis — mais aussi soutenus par les grands médias, que ceci soit la cause ou l'effet de cela.

Aucun candidat ne peut espérer sérieusement figurer dans la compétition présidentielle sans l'appui d'un parti. François Bayrou lui-même disposait de l'UDF, même si cette structure était sensiblement plus faible que les deux autres.

Est-ce là le retour au régime des partis , tant redouté ?

Peut-être, mais à condition de préciser que ce que dénonçait le général de Gaulle sous cette appellation n'était pas la même chose que la dérive que l'on constate aujourd'hui. L'expérience du Général entre 1944 et 1946 lui avait montré la difficulté de gouverner pour un président du Conseil dont les ministres ne répondaient pas d'abord devant lui mais devant leurs états-majors respectifs, situation génératrice d'instabilité et de surenchère démagogique, aggravée après son départ. Les partis auxquels il se référait, en dehors du Parti communiste et de la SFIO, et à un moindre degré du MRP, n'étaient pas des partis de masse : c'étaient des coteries parisiennes tenues par quelques hommes d'appareil navigant au jour le jour. C'était là notamment le cas de tous les partis-charnières qui faisaient ou défaisaient les majorités : le Parti radical, le RGR, l'UDSR, le CNIP, etc.

C'est de cette logique que le général a voulu émanciper le chef de l'État par l'élection au suffrage universel — servi, bien qu'il ne l'ait pas fait exprès, par le scrutin majoritaire.

Y a-t-il réussi ?

Dans la mesure où les partis contrôlent aujourd'hui l'élection du Président, non. Mais les partis dont il s'agit n'ont pas grand-chose à voir avec ceux de la IVe République. Ce sont des partis de masse où une certaine dose de démocratie interne, favorisée par l'Internet, a été introduite. Sans l'élection du Président et du candidat officiel du parti au suffrage universel, instaurée au cours des années 1990, Nicolas Sarkozy n'aurait sans doute pas pu prendre le contrôle de l'UMP, Ségolène Royal n'aurait pas été investie par le PS.

Un certain nombre d'électeurs déploreront la manière dont le choix final leur a été ainsi imposé. Mais les inconvénients du nouveau système ne se limitent pas au choix des personnes.

Ce n'est pas l'instabilité qui est à redouter dans le régime des partis nouveau modèle. Au contraire : le quinquennat ayant encore affaibli le rôle de l'Assemblée nationale (l'élection des députés dans la foulée de celle du Président élimine le quotient personnel de l'élection : seule l'investiture compte), le nouveau chef de l'État, s'il dispose d'une majorité, ce qui est le cas le plus probable, est entièrement maître du jeu pour cinq ans.

Mais pour quoi faire ? C'est là le problème. Les grands partis, étant devenus des machines de pouvoir chargées de propulser un candidat et, dans la foulée, ses équipes, semblent avoir substitué au souci de la res publica (celui de résoudre les problèmes), la production de programmes dont la seule vertu réside dans l'apparence : la règle du jeu est, tout en demeurant "politiquement correct", de donner satisfaction à tous les lobbies importants et de faire vibrer les cordes sensibles de l'électorat. Les candidats (et même les ministres !) d'aujourd'hui ne demandent plus à leurs collaborateurs des solutions mais des "éléments de discours". Peu importe que la proposition soit opérationnelle ; il faut qu'elle sonne bien. Le résultat final, ce sont des catalogues de mauvaise qualité.

Cette évolution, jointe à un recrutement de la classe politique de plus en plus endogène, fondé sur la cooptation au sein de partis à la culture de plus en plus étroite, a pour résultat de mauvaises politiques.

Peut-on contourner cette fatalité, inséparable du nouveau système de partis ? Plusieurs s'y sont essayés. Raymond Barre en 1988, Edouard Balladur en 1995, Jean-Pierre Chevènement en 2002, François Bayrou en 2007. Aucun n'a réussi. Le seul outsider qui ait réussi une percée au deuxième tour, fut Jean-Marie Le Pen, mais ce fut un coup pour rien : il était inéligible.

De l'échec de ces tentatives, on ne saurait conclure à leur impossibilité : Barre, Balladur et Bayrou sont passés assez près du succès pour qu'on ne puisse conclure à une impossibilité radicale.

À moins que le salut ne vienne du chef de l'État. Il a les moyens de renouveler les idées et le personnel. Mais là encore l'élection législative dans la foulée de la présidentielle, ne lui laisse guère le loisir de renouveler les équipes. Héritier de la structure partisane, des équipes (comme le confirme la formation du nouveau gouvernement), de la culture politique et du stock d'idées sur lesquels Jacques Chirac a fonctionné pendant quinze ans, Nicolas Sarkozy peut-il bouleverser la donne ? C'est ce que nous saurons très vite.

* Roland Hureaux est essayiste. Vient de faire paraître L'Antipolitique (Éd. Privat, coll. "Arguments", 229 pages, février 2007, 229 p., 16,15 €) et L'Actualité du gaullisme (Fr.-X. de Guibert, mai 2007).

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