Comment ne pas comprendre les réactions indignées de la plupart des associations féministes aux nombreux soutiens apportés en France à Dominique Strauss-Kahn et qui se sont traduites par le retour aux clichés sexistes les plus éculés : il n'y a pas mort d'homme , ce n'est qu'un troussage de domestique , le présumé coupable est d'abord un séducteur ?
Il est très sain qu'à l'initiative d'associations comme Osez le féminisme, La barbe, Parole de femmes, 3000 personnes aient manifesté à Paris le 22 mai contre ces débordements verbaux, ou que près de 30 000 personnes aient déjà signé le manifeste "Sexisme : ils se lâchent, les femmes trinquent", lequel rappelle opportunément que 75 000 viols auraient lieu en France chaque année et dénonce avec raison une confusion intolérable entre liberté sexuelle et violence faite aux femmes .
Nous ne ferons que deux réserves à l'appel que ces associations ont lancé. Quand elles dénoncent une fulgurante remontée à la surface de réflexes sexistes et réactionnaires, si prompts à surgir chez une partie des élites françaises. , il est dommage qu'elles ne précisent pas de quelle partie il s'agit ; c'est d'abord, paradoxalement, celle où naviguent la plupart des militantes féministes : la gauche bobo, libérale-libertaire, précisément la moins réactionnaire selon les canons convenus. Ceux qui se sont ainsi lâchés sont presque tous issus de cette partie des élites qui a toujours soutenu les revendications féministes.
La plupart de ces militants féministes considéreraient avec horreur de fréquenter des réactionnaires . Pourtant, si elles le faisaient, peut-être seraient-elles moins pessimistes sur l'homme car, autant et plus qu'une gauche devenue presque entièrement hédoniste, il est des conservateurs qui savent ce qu'est le respect.
Pourquoi cette apparente contradiction entre les idées et les actes chez tant de progressistes ? La plaignante de l'affaire de New York est femme, noire, musulmane, immigrée, prolétaire et même chef de famille monoparentale (une expression plus politiquement correcte que veuve ). Elle a tout pour susciter l'empathie de la gauche. Mais non, c'est pour son agresseur supposé que cette gauche, pour l'essentiel, prend parti. Car, lui, est de leur monde, elle pas. Dominique Strauss-Kahn, totalement libéral (sinon il n'aurait pas été à la tête du FMI) et totalement libertaire, est la figure emblématique de tout un milieu, l'expression la plus accomplie de sa vision de la société. Quelques favorables que ces gens prétendent être à tout ce qu'incarne cette femme, il est un principe qui passe avant : Touche pas à mon pote !. Or l'accusé est leur pote.
Nous ne voulons pas exonérer la droite dans cette affaire, mais elle s'est dans l'ensemble montrée plus discrète, à l'exception de Christine Boutin qui a cru bon d'évoquer une machination . Qu'en sait-elle ?
Des stéréotypes bien d'aujourd'hui
L'autre réserve au manifeste (et ce sera tout) porte sur l'expression des stéréotypes qu'on croyait d'un autre siècle . Non, Mesdames, ces stéréotypes sont bien de notre siècle !
Parmi les fantasmes où s'égare le féminisme idéologique (à distinguer du féminisme authentique), se trouve la dénonciation d'un Moyen Âge mythique où le pouvoir de l'homme était supposé s'exercer sans frein, époque tenue pour révolue, mais dont les mœurs, croit-on, refont surface au moindre manque de vigilance.
Non, la multiplication des agressions contre les femmes, l'arrogance sexiste croissante, la transgression des règles de respect les plus élémentaires sont enfants du siècle : du XXe et du XXIe. Ils sont l'héritage, n'hésitons pas à le dire, de mai 68.
En invoquant le Moyen Age, les mouvements féministes pensent en fait à l'héritage chrétien, spécialement à saint Paul : l'homme est le chef de la femme (1C 11,3), tout en oubliant : il n'y a plus ni homme ni femme ( Ga 3, 28) les hommes doivent aimer leur femme comme leur propre corps (Ep 5, 28) et celui qui veut être le premier se fera le serviteur de tous (Mt 20, 27) : des maximes à l'opposé du comportement dominateur des mâles de l'âge libertaire.
Ces mouvements oublient qu'au Moyen Age, comme ils disent, toute violence faite à une femme (comme à un homme ou un enfant) était tenue pour un péché mortel, et donc passible du feu de l'enfer. Jusqu'au concile Vatican II, c'est là ce qu'enseignait tout curé de campagne. Quoi qu'en pensent des mouvements féministes, prisonniers des stéréotypes, le droit de battre sa femme, n'a jamais fait partie de l'héritage chrétien, ni juif, ni grec. Même le Coran est plus ambigu qu'on ne le dit sur ce sujet.
La morale laïque, celle de Jules Ferry, enseignait, elle aussi, jour après jour le respect, pas spécialement celui des femmes ou des étrangers, de tout le monde. A la fin des années soixante, en même temps que le catéchisme perdait sa vigueur et son public, la morale était rayée des programmes de l'enseignement laïque.
Certes, cet enseignement ne suffisait pas à empêcher les violences, pas davantage que les interdits sexuels n'ont jamais dissuadé les relations sexuelles hors mariage. En temps de guerre, les viols étaient courants (comme ils le sont encore au XXIe siècle), mais les interdits, infatigablement ressassés, constituaient un frein, et ce frein a disparu.
L'ordre moral que condamnent les associations féministes, c'était d'abord ne pas forcer la volonté d'autrui.
Les comportements que les féministes dénoncent avec raison ne sont pas des survivances du vieil ordre judéo-chrétien mais, au contraire, le produit de sa décomposition.
L'esprit de mai 68, en proclamant l'abolition des interdits a diffusé chez les mâles, l'esprit prédateur. N'être ni coincé , ni refoulé , savoir se lâcher (pour reprendre l'expression du manifeste) n'est-il pas le nouvel impératif moral ? Comment les vrais libertaires pourraient-ils considérer les réticences d'une femme, spécialement d'une simple femme de ménage , comme légitimes ? Il est interdit d'interdire : comment certains héritiers de mai 68 ne considéreraient-ils pas qu'une femme qui interdit son corps offense le sacro-saint principe libertaire ? Habitués à ce qu'on ne leur résiste pas, les plus accomplis de ces héritiers, quand ils sont riches et puissants, finissent par tenir le refus d'une femme pour illégitime, par penser qu'en la forçant un peu, juste un peu, on en aura raison. Raison : la raison des Lumières qui n'admet aucun obscurantisme , y compris moral tel qu'il s'exprime par exemple dans les scrupules d'une femme plus ou moins illettrée !
C'est pourquoi le féminisme idéologique se fourvoie quand il se lie à la cause libertaire dont le principe est : jouissons sans entrave .
La morale ancestrale qu'il combat, ce n'était pas d'abord le pouvoir machiste, c'était la prise en compte du désir d'autrui.
Quel que soit son fin mot, l'affaire Strauss-Kahn n'aura pas été vaine si elle amène de la part de féministes justement indignées, un réexamen en profondeur des mythes qui ont trop longtemps dénaturé leur cause.
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