La possibilité d'inscrire les enfants mort-nés à l'état-civil constitue un progrès. Comment l'Église appréhende-t-elle l'inhumation des enfants mort-nés et avortés ? Réponse de Mgr Jacques Suaudeau, directeur scientifique de l'Académie pontificale pour la Vie. Propos recueillis par Pierre-Olivier Arduin.

Liberté politique.— Pensez-vous que les textes réglementaires du 20 août 2008 constituent un progrès en matière de reconnaissance de l'enfant décédé in utero ?
Mgr Jacques Suaudeau.— Les décrets 2008-798 et 2008-800 du 20 août 2008, et l'arrêté correspondant, sont un progrès vers la reconnaissance d'un certain statut de l'enfant in utero, qui le différencie de la simple matière biologique que l'on peut incinérer sans autre forme de procès. Moyennant quoi, ils ne constituent pas une reconnaissance du caractère individuel et humain du fœtus. Si les fœtus nés sans vie (à l'exception des fausses couches précoces et des fœtus morts par interruption volontaire de grossesse) peuvent être désormais déclarés à l'état-civil, sans considération particulière pour leur poids ou la durée de leur développement in utero, cela ne constitue en rien une reconnaissance légale du statut personnel du fœtus humain. D'ailleurs, les décrets autorisent les parents à désigner l'enfant mort né par un prénom, mais ne permettent pas qu'ils lui attribuent leur nom de famille. À ce titre-là, ces décrets ne menacent en aucune façon la pratique de l'interruption volontaire de grossesse en France.
Ils n'en représentent pas moins une brèche dans le système qui justifie l'avortement volontaire en niant aux foetus toute identité humaine et donc tout droit à la vie. Car on ne peut inscrire un objet inanimé ou un animal sur l'état-civil. Seuls des êtres humains, vivants ou morts peuvent y avoir place. Cela est aussi vrai en ce qui concerne le livret de famille. La volonté de ne pas nuire à la législation autorisant l'avortement induit a porté à exclure de ce droit à l'inscription les foetus morts par terminaison volontaire de grossesse [1], mais ceci est une restriction d'ordre administratif, arbitraire : si l'on permet l'inscription d'un enfant mort né spontanément sur le registre d'état-civil, on ne voit aucune raison de ne pas inscrire non plus les enfants morts nés à cause d'une intervention chirurgicale (méthode de dilatation-curetage) ou pharmacologique (IVG médicamenteuse par Mifepristone (RU-486) / Cytotec).
Que vous inspire la possibilité d'inhumer un enfant décédé par interruption médicale de grossesse ?
La possibilité d'inhumer un enfant mort né, donc de lui réserver un traitement différent de celui appliqué au simple matériel biologique périmé, est la conséquence logique de la possibilité d'inscrire cet enfant au registre d'état-civil et sur le Livret de famille. Elle vient en réponse à la détresse des parents, c'est une bonne mesure humanitaire.
Possibilité d'inhumation ne veut pas cependant dire possibilité de funérailles en Église. En effet, l'enfant mort né, spontanément ou par interruption volontaire de grossesse, est innocent et il n'a aucun besoin des prières des vivants pour accéder à la Béatitude éternelle. Le paragraphe 99 de l'encyclique Evangelium vitae est d'ailleurs très clair sur ce point, puisqu'il invite les mères qui ont avorté volontairement à demander pardon à leur enfant qui vit désormais dans le Seigneur [8] .
En revanche, en Église, en correspondance avec la dignité humaine que l'Église reconnaît à ces petits êtres, il est tout à fait convenable de marquer ce respect, avant l'inhumation ou l'incinération du cadavre de l'enfant mort-né, par un service au cours duquel on confie cet enfant à la miséricorde du Père, et où l'on prie en même temps pour les parents de l'enfant. Mais il ne s'agit pas là de véritables funérailles, dans la mesure où celles-ci sont avant tout un acte pénitentiel où l'on implore la miséricorde divine sur une personne qui vient de décéder. Si des parents demandent un service en Église pour leur enfant mort in utero dans le cadre d'une interruption médicale de grossesse, un tel service pourrait être fait, mais il s'agirait avant tout d'une demande de pardon et de réconciliation de la part des parents, et d'une prière pour ces parents, si l'avortement médical avait été pratiqué a titre préventif ou pour une affection qui ne menaçait pas immédiatement la vie de la mère.
Comment l'Église peut-elle tenir un langage en vérité aux mères d'un enfant avorté tout en les accompagnant avec miséricorde sans qu'elles ne se sentent jugées ?
L'Église, au nom du Christ, condamne le péché, mais accueille le pécheur avec bonté et même compassion, tout en l'invitant à se réconcilier avec Dieu par son intermédiaire. Elle n'a donc aucune difficulté à avoir un langage clair, sans compromission, dans son refus du péché, et à avoir aussi un langage clair, sans hypocrisie, dans son accueil du pécheur.
Les chrétiens peuvent d'autant plus accompagner sans arrière-pensée les personnes qui se posent la question de l'avortement, ou qui ont pratiqué un avortement, que leur condamnation du crime de l'avortement est claire et connue de tous.
La difficulté qui a surgi en Allemagne à propos de la participation de chrétiens aux consultations préalables à l'avortement venait de ce que ces consultations étaient quasiment intégrées dans l'acte d'avortement, et impliquaient pour les consulteurs une véritable coopération au mal. Moyennant quoi l'accompagnement des personnes qui se posent la question de l'avortement n'est pas une chose facile, et nécessite une formation spécifique.
Propos recueillis par Pierre-Olivier Arduin.

 

Sur ce sujet :
Pierre-Olivier Arduin : Un progrès dans la reconnaissance des enfants à naître, Décryptage, 15 janvier 2010

 

[1] Circulaire interministérielle DGCL/DACS/DHOS/DGS du 19 juin 2009).
[2] Le texte latin du paragraphe 99 de l'encyclique Evangelium Vitae, publié dans Acta Apostolica Sedis du 2 mai 1995, n. 5, p.515, donne une version différente de ce paragraphe : Infantem autem vestrum potestis Eidem Patri Eiusque misecordiae cum spe committere , ce qui laissait à entendre que l'on remettait avec espoir l'enfant entre les mains du Père, sans spécifier quel était le statut de cet enfant.
De la même façon, le Catéchisme de l'Église catholique, n. 1261, en parlant des enfants morts sans baptême, déclare que l'Église les confie à la miséricorde de Dieu , mais passe sous silence le concept théologique traditionnel des "limbes", développés au XIIIe siècle. La version plus récente d'Evangelium vitae n. 99, qui correspond à toutes les traductions officielles du texte, à commencer par l'italien, est encore plus affirmative, puisqu'elle place sans hésitation les enfants morts-nés dans la Béatitude du Père, et donc, en négatif, semble éliminer l'hypothèse des limbes et donc la nécessité de prier pour les âmes des enfants morts-nés. La Commission théologique internationale, dans le document qu'elle a publié le 19 avril 2007 (La speranza della salvezza per i bambini che muoiono senza battesimo) a repris cette considération en indiquant que l'on peut à juste titre sur le plan théologique, espérer que les enfants morts sans baptême soient sauvés et introduits dans la Béatitude éternelle.

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