Macron est-il vraiment intelligent ?

Depuis qu’il a été élu président de la France, il virevolte avec ce qui semble du brio. Ses discours, comme celui qu’il a récemment prononcé devant le Congrès réuni à Versailles, ont du style.  Il a, y compris sur la scène internationale où ça ne plait pas forcément à tout le monde, à un degré caricatural, l’assurance des hauts fonctionnaires français, ce qui ne signifie pas qu’il ait des idées.  Beaucoup de Français pensent que notre pays est mieux représenté par lui : si on se cantonne aux apparences, peut-être, mais qu’en est-il au fond ?  

 

Ses maladresses diplomatiques, tant  à l’égard des Etats-Unis que  de l’Italie ou des pays du groupe de Višegrad, tout comme le conformisme de ses réformes, amènent à se demander si le nouveau président est vraiment aussi intelligent que l’on dit et qu’il le croit.

L’OPA magistrale[1] qu’il a réalisée sur la France au printemps 2017 était en un sens un signe d’intelligence.  En ce temps de confusion de toutes les valeurs, avoir violé les règles républicaines fondamentales qui tiennent chez nous   les juges éloignés des processus électoraux passe non pour une faute mais pour un exploit : bravo l’artiste !  La subversion du clivage gauche-droite n’est pas nouvelle mais jamais elle n’avait été poussée aussi loin.

Macron  fait preuve d’une incontestable habileté politicienne. Il est vrai que la bêtise d’une certaine droite, contaminée par les logiques techniciennes, lui facilite la tâche : en lançant des réformes qui plaisent à celle-ci comme celle du code du travail ou de la SNCF ou encore la sélection à l’entrée des universités, il conduit une partie de l’opposition républicaine à l’approuver et dès lors l’opinion à se demander à quoi elle sert.     

Il reste que l’intelligence, la vraie intelligence politique, ce n’est pas de savoir vibrionner au jour le jour ou de gérer sa « com », c’est la capacité à s’adapter au monde tel qu’il est.  

 

Une vision de l’Europe déphasée

 

Or sur ce plan, Macron donne, il faut bien le dire, des signes inquiétants de psychorigidité. D’abord, s’agissant de l’Europe. Discours après discours, il présente un plan de relance de l’Europe supranationale, d’un idéalisme exalté, sans paraître voir qu’il   n’intéresse plus personne : ni aucun de nos partenaires, ni personne en France. Le président en est resté   sinon à Jean Monnet, ou du moins aux années 2000, au temps des grands débats sur la Constitution européenne et il n’a sûrement jamais compris   pourquoi le non l’avait emporté en 2005. Depuis, il y a eu le Brexit qu’il n’a certainement pas avalé non plus ; et il y a l’opposition forcenée du groupe de Višegrad à tout approfondissement : loin de tendre la main à ces vieux pays, amis historiques, de la France, il les insulte et se les met à dos :  on le dit moderne mais il refuse l’histoire.  La classe politique allemande, paralysée, s’arc-boute pour empêcher la montée de l’AFD, parti eurocritique. Les Italiens viennent de montrer qu’ils ne veulent pas de l’Europe de Bruxelles : Macron les rappelle à l’ordre avec arrogance, ignorant visiblement   combien les Italiens détestent depuis toujours les leçons de morale venues de France - surtout après avoir été contraints d’accueillir seuls près de 800 000 réfugiés.  Irrité de voir que les choses ne vont pas comme il le souhaiterait, il ressort la vieille rengaine que l’Europe n’aurait pas dû être élargie, et va même jusqu’à qualifier de « lèpre » le « populisme » de ceux qui résistent    au projet européen. Demain des « vipères lubriques » ?

 L’évolution de l’opinion publique n’est pas le seul signe de l’usure du projet européen : pour maintenir l’euro à flot, la Banque centrale européenne poursuit sa fuite en avant inflationniste (c’est le sens du quantitative easing) : jusqu’où ? Le vaisseau Europe fait eau de toute part ; Macron seul ne semble pas s’en apercevoir : est-ce le fait d’un homme intelligent ? Dans la défunte Union soviétique nul doute que Macron aurait été plutôt du côté de Brejnev (ou de Souslov[2] !)  que de Gorbatchev.

Le projet européen de Macron pourrait intéresser l’Allemagne sous un seul angle : la récupération de notre industrie de défense. Après le démantèlement d’Alstom dont il porte largement la responsabilité et au motif de faire l’Europe de la défense, le GIAT (le char Leclerc), la DCN (le Charles de Gaulle) sont en train de passer subrepticement sous pavillon allemand. Aveuglement ou volonté délibérée de laminer  la singularité frnaçaise ? Beaucoup  se le demandent. 

 

Macron sur les rails

 

Même oubli de l’intérêt national au bénéfice de l’idéologie dans les rapports avec la Russie :  si le front ukrainien semble un peu calmé, grâce à Trump plus qu’à Macron, les sanctions à l’encontre de la Russie que Fillon voulait lever ne sont pas près   de l’être et lèsent toujours aussi gravement les intérêts de la France. Si les Russes avaient apprécié l’invitation surprise du nouveau président pour célébrer la visite du tsar Pierre le Grand à Versailles, par-delà les ronds de jambe,  rien n’a changé quant au fond dans la relation franco-russe : les Russes s’en sont certainement aperçus.

De tous temps, les changements à la tête de l’Etat ont servi    à corriger la ligne politique d’un pays    quand elle était mal engagée, sans que le nouveau président ait à se désavouer.  Or elle l’avait été rarement  aussi mal  qu’en  Syrie sous Sarkozy et Hollande : la rupture totale des relations diplomatiques,  le soutien constant aux milices djihadistes, les  mêmes qui se félicitaient bruyamment des  attentats en France (  quand elles  ne les avaient  pas organisés) , la  diabolisation  hystérique et – infantile quand on sait comment se manipule aujourd’hui l’opinion internationale, - du gouvernement syrien,  tout en constituant une trahison des chrétiens d’Orient,  nous  ont aliéné inutilement  un pays qui avait été sous mandat français et  qui avait été au cours des deux  dernières décennies un partenaire précieux. Or Bachar a aujourd’hui pratiquement gagné la guerre, les augures du Quai d’Orsay (la « secte » néoconservatrice) qui prédisaient en 2011 sa chute en huit jours   en sont pour leurs frais.  Visiblement Macron reste sur la même ligne que ses prédécesseurs ; au lieu de s’adapter à la nouvelle donne, il laisse son ministre des affaires étrangères, le médiocre Le Drian, accuser toujours aussi   stupidement Assad de massacrer son peuple. Des forces spéciales armées d’hélicoptères sont présentes dans le nord de la Syrie, on se demande pour quoi y faire : même Sarkozy et Hollande n’étaient pas allés jusque là. Alors que Trump retire ses forces du pays, Macron y augmente  les siennes[3] ; prétendant de manière ridicule avoir convaincu Trump de rester, il s’attire un démenti cinglant.  Tout aurait pu changer sur ce front et rien ne change. Loin de déplacer les lignes, comme Trump a su le faire à sa manière avec la Corée du Nord, Macron reste sur le même rail.

 

Des réformes sans imagination

 

Dans les affaires intérieures, on chante les louanges du dynamisme du nouveau président, de ses multiples efforts pour faire « bouger la France »[4]. Il   donne le vertige par la multiplication des projets de réforme.

Mais    quelles réformes ?  La vérité est que loin d’être originaux, les projets Macron étaient tous dans les cartons des ministères et ne sont toutes  que le prolongement des réformes effectuées au cours des quinze ou vingt dernières années, lesquelles ont si bien réussi à la France comme on sait !

 Au titre de la réforme de la fonction publique, il annonce la rémunération   au mérite de fonctionnaires ; sait-il qu’elle a été instauré dès 2001 par une loi bien connue appelée « Lolf », mise en œuvre par Sarkozy et dont on connait déjà les   effets pervers ?   Faute de critères de rendement fiables, la porte a été ouverte à l’arbitraire, parfois à la   promotion (ou prime) canapé, l’ambiance s’en est trouvée    détériorée et le zèle découragé. Les  deux piliers de l’Etat  que sont le ministère des finances et  la représentation locale de l’Etat ont  été gravement désorganisées.  Macron veut aller encore plus loin…

Les Ordonnances  travail, auxquelles certains trouvent cependant  quelques aspects positifs, sont-elles autre chose qu’une   mise aux normes européenne ?  Comme l’est l’adhésion au Ceta, laquelle intervient      au moment   où un Jacques de la Rosière, ancien patron du FMI, remet en cause une partie des dogmes libre-échangistes.

La réforme de la SNCF est la transposition mécanique d’un règlement de Bruxelles.   Déjà affaiblie par la séparation, économiquement absurde mais imposée par le dogmatisme de la commission, des réseaux et de l’exploitation, la SNCF le sera plus encore.

En décembre dernier, le gouvernement s’est réuni au grand complet à Cahors pour marquer son intérêt ou la « France périphérique ». Il n’en est pas sorti une seule idée. Au contraire, le gouvernement prépare la fermeture de milliers d’écoles   rurales pour renforcer les ZEP et sans doute celle de tout aussi nombreuses petites lignes de chemin de fer. L’abaissement de la limitation de vitesse à 80 km à l’heure, mesure sans imagination elle aussi, va d’abord toucher ces zones.

La réforme du bac que tout le monde célèbre est dans les cartons du ministère depuis des années. Elle s’inscrit dans la progressive déconstruction du système éducatif : course à la facilité, dilution de la notion de discipline scientifique, notes de gueule. 

Il est vrai que l’enseignement primaire   semble géré par le ministre Blanquer plus intelligemment que par ses prédécesseurs :  il faudrait voir dans ce retour au bon sens l’influence de Brigitte Macron. Dommage qu’on   ne la voie pas ailleurs !

 

La communication d’abord

 

De cette réformite sans imagination, deux lectures.  Celle de l’oligarchie économique, médiatique, technocratique, des think tanks libéraux qui tous font chorus : la France a besoin d’être réformée ; tout le monde sait quelles réformes il faut faire.  Si on ne les a pas encore faites, c’est que les gouvernements successifs ont manqué de « courage ».

L’autre lecture se réfère à   Guy Debord : la société du spectacle (disons de communication) dans laquelle nous sommes entrés a besoin de s’étourdir de réformes, lesquelles, au point où nous en sommes, ne sauraient faire aller les choses que de mal en pis : « Le société du spectacle dans sa phase avancée (…) n’est plus pour l’essentiel réformable. Mais le changement est sa nature même, pour transmuter en pire chaque chose particulière »[5] . Dans cette optique, la réforme est d’abord un produit de communication (de « spectacle ») et rien d’autre.

Les réformes de type technocratique   ne font que suivre les logiques de celles qui les ont précédées et qui sont précisément les causes des problèmes. Avec Macron,  nous voyons  à l’œuvre cette logique de manière caricaturale. Comment espérer trouver les remèdes aux maux de l’Education nationale dans les cartons d’un ministère   qui est le responsable de ces maux ? La   technocratie française   élabore des   projets de réforme   qui, chacune dans son domaine, suit un schéma simple, voire simpliste, ignorant de complexité des choses, en général le même depuis quarante ans : regrouper   les communes, fusionner   les services, étendre le mode de gestion privé, flexibiliser l’emploi, mettre aux   normes européennes ou internationales (celles de l’OCDE pour le bac). Face aux résistances, jamais, au grand jamais, leurs initiateurs se demanderont si dans ces résistances, il n’y aurait pas quelque chose de légitime.  On se contente d’y voir l’effet   de l’archaïsme, de la routine, d’un   conservatisme « bien français ». Nul   n’imagine que ce pourrait être à la technocratie de s’adapter.  Penser qu’il pourrait y avoir  de bonnes et de mauvaises   réformes comme il y a de bons et de  mauvais remèdes, est une question hors du champ  épistémologique de ceux qui nous dirigent, comme dirait Foucault. Réformer est devenu intransitif comme communiquer ou changer. Face à ces blocages, « enfin Macron vint »[6] , selon une expression dont on peut penser qu’elle était ironique.  Cette fois, ça passe où ça casse.

Macron , en tous les cas, c’est jusqu’à  la caricature l’incapacité à critiquer à partir d’une connaissance du terrain  (qu’il n’a pas) ou  d’idées neuves (qu’il n’a pas non plus) les projets des administrations  que  la plupart du temps, le gouvernement  avalise. Loi d’apporter la touche du vrai chef (« l’œil du maitre ») comme le faisait par exemple un Pompidou, homme supérieurement intelligent, lui, et critique lucide des logiques technocratiques, Macron ne doute pas que les services aient, sur tous les sujets, raison. Comme en politique étrangère, il est sur les rails et il y reste. 

Tragique malentendu : les Français étaient las d’une classe politique usée, et en réalité d’une technocratie dont les projets étaient avalisés passivement par les politiques. Voulant du nouveau, ils choisissent de suivre quelqu’un qui ne   propose   rien d’autre que de donner un coup d’accélérateur aux propositions de la dite    technocratie.

Or la France d’aujourd’hui   rencontre des problèmes graves qui, comme jamais jusqu’ici, conditionnent son avenir. Ces problèmes :  démographie, désindustrialisation, dépenses publiques excessives, justice et insécurité, déliquescence de l’éducation nationale   Il y a là de quoi être inquiet :   Macron, prisonnier des logiques du passé, ne semble armé intellectuellement pour se saisir sérieusement d ’aucun de ces problèmes. Bien au contraire, la plupart de ses projets font craindre leur aggravation.

Comment s’étonner qu’au bout d’un an, les ans commencent à  douter de la   capacité de Macron à vraiment réformer la France . Ils ne tardent pas à comprendre, avant lui sans doute,  qu’il fait le contraire de ce qu’il  faudrait faire. 

 

Le bon élève de Sciences po

 

Il n’y a, disaient les Romains, pour chacun, un sommet, une acmé, un moment de la vie où il atteint sa pleine réussite.   Pour le jeune Macron, ce fut ses années Sciences po-ENA-Inspection des finances, sous l’égide    d’un Richard Descoings à l’heure de sa gloire.  La plupart des thèmes évoqués plus haut, de l’Europe supranationale à la privatisation des services publics et à la philosophie libérale–libertaire, connaissaient alors leur plus grande faveur, ils étaient si évidents que bien peu osaient les remettre en cause surtout s’ils voulaient sortir dans les premiers  de l’ENA, temple du politiquement correct. Le mépris ostensible de la francophonie qui pousse Macron à faire ses discours en anglais avait déjà entrainé la multiplication des cours en anglais à la rue Saint-Guillaume, sans que la cote de l’école y ait d’ailleurs gagné. Dans le milieu fermé  qu’il a fréquenté alors, la criminalisation de la France  coloniale, familière aux   universités américaines,  ce n’était pas une  provocation, c’était une évidence.

Macron est comme un animal sophistiqué   parfaitement adapté à un certain   milieu mais inadaptable ailleurs. Dans ce milieu, il peut certes faire preuve de brio. Mais il détonne dès que l’environnement  change tant soit peu. Le nouveau président est aussi déphasé aujourd’hui  que l’était Mitterrand en 1981 avec son lourd  programme de nationalisations. Mais Mitterrand, vieil animal politique, avait su s’adapter. On ne voit pas à ce jour, le moindre indice que Macron en soit capable.

Comprendra-t-il que ce qu’il a appris à l’Institut d’études politiques de Paris il y a vingt ans est complétement à côté de la plaque dans une planète dominée par Poutine, Trump, Xi et qui voit partout la révolte des peuples contre les logiques technocratiques et le retour des stratégies nationales ?    On peut craindre que non.  

[1]Olivier  Piacentini , OPA sur l’Elysée, Editions de Paris, juin 2018

[2] Idéologue marxiste qui représentait le conservatisme le plus étriqué au Bureau politique du parti communiste soviétique.

[3] Forces modestes au demeurant, de l’ordre de la centaine.

[4] Qui le dit ? Une presse qui lui reste globalement acquise, malgré les menaces que font peser sur sa liberté  la perspective d’ une chasse aux supposées  fake-news.   Et les Français ? Si les  sondages semblent un peu  meilleurs que ceux de se ses prédécesseurs à  pareille époque,   En Marche  perd toutes les  élections partielles.  

[5] Guy Debord, La société du spectacle, 1966

[6] Commentaire, n°158, été 2017