Monseigneur**, La Croix du 24 mars a publié un entretien avec vous. Vous y exprimez votre opinion sur la "Constitution européenne". Vous le faites revêtu de votre double autorité d'évêque et de vice-président de la Commission des épiscopats de la Communauté européenne.

De ce fait, vos propos prennent un poids dont vous êtes sans nul doute conscient. Ils ont le but implicite, mais transparent, de pousser les catholiques à voter " oui " au référendum du 29 mai prochain.

J'ai été tenté de vous répondre aussitôt. L'agonie et la mort du pape Jean-Paul puis l'élection de son successeur Benoît m'ont fait penser qu'une polémique avec un haut représentant de l'Église en Europe serait déplacée pendant cette période. C'est pourquoi je vous écris aujourd'hui seulement.

La sagesse de l'Église distingue soigneusement les affaires temporelles et l'ordre spirituel. Autant un évêque doit parler haut et fort quand il s'agit de rappeler les droits de Dieu, autant il lui est recommandé d'être réservé dans les choix qui ne concernent que César. Sinon il court le danger de tomber dans le travers du cléricalisme. Je ne suis pas sûr que votre entretien échappe à ce risque tant il est engagé sur le plan politique.

Il est légitime que vous abordiez la question si débattue des racines chrétiennes de l'Europe. Vous estimez que la requête présentée avec insistance par le pape Jean Paul et rejetée par les rédacteurs de la Constitution, ne doit pas laisser les évêques et leurs ouailles "enfermés dans des regrets". Certains pensent que vous passez bien rapidement par pertes et profits une proposition essentielle pour l'Europe de demain. Les "progrès" constitutionnels que vous citez comme lots de consolation leur paraissent aléatoires. Mais, après tout, vous ne faites qu'assumer la responsabilité de votre charge. Les faits diront si votre pari est bon.

Malheureusement vous ne vous arrêtez pas là. Vous pénétrez dans le domaine politique.

Vous affirmez que "l'Europe" - comprise comme le système, codifié par une Constitution, de concurrence généralisée, de monnaie unique gérée par des fonctionnaires irresponsables, de règlements innombrables et envahissants - que cette Europe-là, doit être soutenue le 29 mai. Vous lui attribuez la paix qui règne sur notre continent depuis soixante ans. Vous la proclamez capable de faire "connaître la contagion de la paix" à tous nos peuples, sauf la Russie, curieusement omise de vos énumérations. Votre enthousiasme passe vite sur des réalités qui le contredisent. La paix de l'Europe doit beaucoup à la réconciliation franco-allemande, par exemple, et celle-ci s'est faite indépendamment du système bruxellois, que la Constitution veut renforcer. Vous vous rangez derrière une école de pensée politique. Elle tient aujourd'hui le pouvoir. Mais elle n'est pas solidement assise. L'avenir proche pourrait le montrer. Vous risquez que sa défaite soit aussi celle de l'Église.

Vous croyez devoir faire un éloge appuyé des "avancées" du traité. Mais elles ne pèsent pas lourd. Ni le mandat allongé donné au président du Conseil, ni la création d'un poste de ministre des Affaires étrangères, ni la proclamation d'une citoyenneté européenne ne compensent, et de loin, les ravages du chômage chez nous, les délocalisations d'entreprises, la stagnation du pouvoir d'achat. Vous n'en soufflez mot. Peut-être ignorez-vous leur relation avec "l'Europe" de la Constitution. Des économistes de grand talent ont mis à jour ce lien. Ils ont montré par quels mécanismes cette "Europe" sème de graves injustices. S'il tient à choisir un camp, un prélat doit-il se ranger avec les plus favorisés ?

Vous affirmez enfin que voter "non" à la Constitution, c'est "se centrer sur nos replis gaulois" et se montrer incapable "de prendre de la hauteur". Les chefs des partis qui défendent le "oui" ne disent pas autre chose. Comme vous, ils proclament que les partisans du "non" "font passer leurs considérations partisanes" avant "la crédibilité de la France". Leurs accusations sommaires font partie de la propagande des campagnes électorales. Elles surprennent dans la bouche d'un archevêque.

* Michel Pinton est ancien secrétaire général de l'UDF, maire de Felletin (Creuse).

** L'archevêque de Clermont est Mgr Hippolyte Simon (photo).

Pour en savoir plus :

> "Les catholiques peuvent-ils prendre parti ?" par la Fondation de service politique

> "A propos de la référence aux racines chrétiennes dans la Constitution européenne" par la Fondation de service politique

> "L'appel à la raison politique et au respect de l'identité européenne" de la Fondation de service politique à propos du référendum du 29 mai

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