Palais Bourbon

C’est dans une ambiance irréelle, celle qui accompagne d’habitude le festival de Cannes, que se déroule la campagne pour les législatives. L’opinion est fatiguée et ne suit que de loin. Sans doute beaucoup de ceux qui étaient allés voter aux présidentielles s’abstiendront-ils. 

L’UMP, devenue l’opposition, a  poussé ses candidats à faire des campagnes localistes  pour profiter de l’enracinement des députés sortants, en évitant les thèmes nationaux, comme si la droite avait été désavouée lors de l’élection présidentielle : or ce n’est pas la droite qui l’a été, c’est Sarkozy.

Pas de souffle : l’UMP n’a présenté aucun programme nouveau pour nous dire ce qu'elle ferait en cas de cohabitation. Il a été encore moins question de changer le nom du parti comme l’a fait le MODEM.

On ne dira jamais assez combien de mal ont fait Chirac et Jospin en instaurant le quinquennat : l’élection des députés, moment emblématique de la république parlementaire, se trouve vidé de sa substance et de son intérêt par la coïncidence avec l’élection présidentielle. La pente naturelle des électeurs est de ratifier, plus ou moins mollement, très mollement cette fois, le choix présidentiel, sans considération de la personnalité de candidats ou de leurs projets. C’est pourquoi, dans cette atmosphère alanguie, les sondages donnent la  gauche gagnante.

Un président de gauche, une opinion à droite

Et pourtant cette « drôle de guerre »  se joue au bord du gouffre.

Nous ne parlons pas des affaires internationales où, sur des sujets essentiels comme le sauvetage de l’euro ou la Syrie, Hollande et Sarkozy ont exactement les mêmes positions.

Nous parlons des affaires intérieures. Sur ce terrain,  personne ne  vient rappeler le paradoxe énorme de la présidentielle : un président de gauche élu à la suite d’un mouvement de l’opinion vers la droite : à la fois par un certain progrès du vote de droite (UMP, FN et autres) au premier tour de la présidentielle (environ 2 %), sa radicalisation ( montée du FN de 7,5 % ) et le fait que les 2,1 millions de votes blancs du second tour, venus pour la plupart de la droite, dépassent largement l ’écart entre les deux candidats.

Un paradoxe aggravé du fait que cette droitisation ne s’est nullement faite sur des thèmes économiques et sociaux (sottement brandis par l’UMP comme si nous étions encore au temps du programme commun de la gauche !) mais sur les questions identitaires : principalement sur la place de l’immigration, et tout ce qui tourne autour : le drapeau, l’école, et aussi l’ordre public,  accessoirement sur différents thèmes sociétaux  - qui motivent  peu de gens mais les motivent  très fort. 

Or, contrairement à ce qu’ont longtemps enseigné les marxistes  - et aujourd’hui les libéraux clamant  la péremption des frontières -, le sens de l’identité est le moteur principal de l’histoire et le principal aliment des guerres civiles. En mettant en avant le rôle des nations, le général de Gaulle ne pensait pas autre chose.

C’est dire combien serait périlleux qu’à rebours de l'évolution de l’opinion, la France se trouve livrée pour cinq années à un parti allant à l’encontre de l’aspiration identitaire et contrôlant, outre 80 % des médias, le gouvernement, les deux chambres, presque toutes les régions, la majorité des départements et des grandes villes.

Tout aussi inquiétante, la recrudescence des incendies de voitures  dans des banlieues où désormais on se lâche, à moins que  la police ne  se relâche : il est vrai que la proposition irresponsable de Manuel Valls de délivrer des récépissés après les contrôles d’identité, est bien peu propre à la motiver. L’agression verbale de Jacques Myard par un quidam récusant le droit d’un élu de la République à faire campagne à Sartrouville, « terre d’islam », va dans le même sens.

C’est dire combien est peu propre à nous rassurer l’affirmation de Hollande selon laquelle tout son programme serait réalisé, y compris sans  doute l’accord du droit de vote aux étrangers et le mariage homosexuel !  Les vrais  hommes d’Etat, qui  savent s’abstraire des programmes pour considérer,  une fois élus, le seul intérêt national, sont hélas  devenus rares.

Que,  sur la toile, circulent des  textes annonçant, à l’encontre  de toutes les traditions républicaines,  que certains ne considèrent pas Hollande comme « leur président » et appellant déjà à la « résistance », n’est pas moins inquiétant.

Sans vouloir pousser la comparaison, le décalage entre des résultats électoraux paradoxaux et l’état réel de l’opinion, c’est ce qui s’était observé dans l’Espagne de  1936 et le Chili de  1970 !

C’est pourquoi, dans un tel contexte,  quelque répugnance qu’éprouvent à son égard les gaullistes de conviction, la cohabitation serait sans doute un moindre mal.

Si l’on considère que la grande majorité de ceux qui ont voté blanc au second tour des présidentielles,  peut voter à droite au second tour des législatives, Sarkozy étant éliminé, la victoire de la droite aux législatives est encore possible

Encore faudrait-il  que cette droite la veuille vraiment.

Encore faudrait-il  qu’elle parle aux électeurs du seul sujet où – comme le Sarkozy des derniers jours  l’avait si bien compris- elle peut faire la différence: la France. 

 

Photo : Palais Bourbon © Wikimedia Commons / Kimdokhac