L’université d’été du PS à La Rochelle a tenu ses promesses : le socialisme est plus divisé que jamais. Quel est son avenir ?
Parions sur le plus probable : sa défaite en 2017. L’exercice du pouvoir, la nécessité de durer, ainsi que son impopularité qui transformerait toute dissolution du Parlement en suicide collectif, sont les trois raisons qui expliquent que le parti ne se soit pas encore fissuré.
L’atomisation idéologique de la gauche
Cependant qu’arrivera-t-il après la déroute des élections de 2017 ? Les deux lignes du social-libéralisme et de la gauche étatique, continueront-elles à cohabiter sous le même toit ? L’échec électoral ne risque-t-il pas de pousser au divorce l’aile réformatrice et la minorité puissante qui campe sur les fondamentaux du socialisme redistributeur, de la « demande » ? Un peu comme le départ des enfants sonne l’heure de concrétiser les vélléités de séparation d’un vieux couple qui ne tenait que par la présence de la progéniture encore mineure à la maison.
La défaite probable du Parti socialiste aux élections législative et présidentielle sera l’occasion de règlements de comptes assez violents. Pour l’instant, l’exercice du pouvoir oblige le PS à faire bonne figure, à donner le change à l’opinion publique. Mais sitôt revenu dans l’opposition, le parti risque de connaître les heures sombres de la division. Les dagues sortiront des fourreaux. Les vieilles rancunes idéologiques (les pires) ne prendront dès lors plus de gants pour se donner libre cours.
Pour la gauche en effet, les idées, c’est essentiel. Cette spécificité lui a donné longtemps l’avantage sur la droite dans ce domaine, surtout dans les cinquante décennies de l’après-guerre. Cependant sa domination touche à sa fin avec le quinquennat de Hollande. Ce surinvestissement dans l’idéologie produit aujourd’hui ses fruits les plus amers : l’atomisation de ses courants.
Quatre pôles émergeront alors de la Bérézina annoncée : un pôle réformiste, un pôle moralisateur, un pôle « rebellocrate » (néologisme dû à Philippe Muray), et enfin un pôle hédoniste. (Je pourrais rajouter un pôle écologiste : mais celui-ci peut investir les quatre premiers).
Bien sûr, des recoupements, des inhabitations s’opèreront entre ces quatre courants, au gré des affinités idéologiques, des tactiques ponctuelles, des circonstances. Mais afin de répondre à un impératif de clarté, bornons-nous pour l’instant à cette différenciation, et essayons de les analyser brièvement.
Le pôle réformiste
Héritière de la gauche de gouvernement, cette tendance restera numériquement la plus importante. N’oublions pas que si la marque déposée « la Gauche » a été préemptée par le Parti socialiste, cela tient à ce que lui seul était en mesure de lui permettre de durer au pouvoir. Parti d’élus, de notables, le PS, dans son courant majoritaire, dérivera vers un social-libéralisme, seule option qui lui assurera la conservation de places au sein des institutions.
Gauche réaliste, mais capable de s’appuyer sur les sensibilités plus utopiques (en ce qui concerne les questions sociétales par exemple) afin de s’assurer un brevet de « gauchitude » à bon frais, sans remettre en question les fondamentaux de la gestion économique.
Le pôle moralisateur
Obligée à des reniements de plus en plus criants, la gauche de gouvernement ne sera en mesure de conserver son label « gauche » qu’en attaquant la droite avec la seule arme dont elle estime posséder l’exclusivité : la morale. Ce seront des leçons continuelles sur l’égalité, le souci des « autres », des « délaissés », des « sans grade » (toutes catégories qu’elle sacrifie allègrement lorsqu’elle se trouve aux affaires).
Morale facile, assez démagogique, sans souci d’un travail sur soi. Morale d’autant plus dangereuse que la fuite en avant sociétale qu’elle cautionne prend prétexte du statut quo économique prôné par le pôle réformiste pour aller toujours plus loin dans le sens d’un égalitarisme délirant. Ce jusqu'au-boutisme peut même transcender le pôle moralisateur : en effet certains caciques technocrates s'en prévaudront afin de convaincre les derniers militants purs et durs qu’ils appartiennent eux aussi, en dépit des apparences, malgré leur soumission aux diktats du Marché, au camp du Bien.
Le pôle rebellocrate
Ce pôle a pour vocation de rappeler à la gauche sa mission émancipatrice. Mais est-il toujours d’actualité, maintenant que toutes les citadelles sont tombées (patriarcat, inégalité entre les sexes, colonialisme), que toutes les Bastille ont été prises ? Comment survivre à l’heure où la vulgate idéologique de « l’antifascisme » imprègne les esprits ? Comment jouer au « Che » lorsque la Rébellion est au pouvoir ? Il s’agira d’inventer de nouveaux épouvantails de la Réaction qui concentreront en eux tous les péchés des forces obscures.
C’est ainsi que s’explique par exemple la survivance du jargon marxisant dans la théorie du Gender. Selon cette idéologie extrémiste, la différence sexuelle serait le baroud d'honneur, le dernier avatar de la lutte pour la domination masculine. Par l’intermédiaire de la superstructure du langage, les dominants essaieraient de faire passer ce qui est culturel, daté, historique (la différence homme-femme selon eux) pour une donnée naturelle, éternelle, en instrumentalisant à cette fin le déterminisme biologique…
Être « rebelle », ce sera prendre d’assaut cette forteresse de la domination masculine en subvertissant le langage, les identités et ce qui les conforte : raison, conscience, sujet, grammaire, et bien sûr, pour le grand public, les « stéréotypes » en tout genre.
Dans sa version mainstream, le pôle rebellocrate se reconnaîtra à ce qu’« il est Charlie », revendiquant son droit au blasphème, à continuer à « bouffer du curé » (un peu moins de l’imam), à la dérision tous azimuts. Ce qui ne l’empêchera pas de caresser l’islam dans le sens du poil, nécessité électorale oblige.
Le pôle hédoniste
Ce pôle est lié à l’idéologie profonde du socialisme. Celui-ci a toujours eu pour but, dans ses soubassements les plus profonds, de faire descendre le ciel sur la terre. Il s’agit d’organiser la société de telle sorte qu’advienne le Règne ici-bas. C’est ainsi que tout ce qui pourrait retarder l’avènement d’une civilisation du bien-être sera considéré comme un mal. Droit à l’avortement, euthanasie, tentative d’immortaliser et d’augmenter l’homme avec le transhumanisme : autant de conséquences de l’impératif catégorique de la jouissance à tout prix.
Non pas que le règne des plus forts soit érigé en règle absolue, que toute moralité fasse défaut à ce courant. Cependant la pression deviendra de plus en plus grande sur les personnes susceptibles de retarder les autres dans cette quête effrénée du bien-être. Ce qui n’est pas rassurant pour celles qui ne peuvent se défendre vis-à-vis de lobbys bien organisés.
Des pôles qui s’imbriquent les uns dans les autres
Comme je le disais plus haut, cette différentiation est de raison, de commodité d’analyse. Car dans les faits, ces quatre pôles s’imbriquent les uns dans les autres. Par exemple, il n’est pas difficile de comprendre que le moralisme s’appuie sur les gender studies afin de justifier ces combats contre les moulins à vent de l’inégalité. De même le réformisme du social-libéralisme ne pourra faire avaler la pilule de sa compromission toujours plus poussées avec le Capital qu’en poussant à la roue des avancées sociétales les plus folles de l’hédonisme eugéniste.
La périchorèse macabre de ces quatre spécificités, leur imbrication (perichorèse : inhabitation les unes dans les autres ; terme en usage en théologie qui désigne l’unité dynamique du monothéisme trinitaire, le fait que les trois Personnes divines « habitent » les unes dans les autres) soulève la question de l’avenir idéologique de la gauche. Celle-ci est-elle condamnée à une fuite en avant dans chacun de ces domaines ? Toujours plus de libéralisme, toujours plus de sermons moralisateurs, toujours plus de déconstruction des anciennes autorités, toujours plus d’appel à « jouir sans entrave » lancé par un surmoi singeant un magistère religieux d’autant plus exécré que l’on reproduit ses idiosyncrasies de fonctionnement ?
En cas de réponse positive, il restera alors aux personnes de bon sens à trouver une parade afin de ramener ses sectateurs les moins bornés, les plus réalistes, mais qui désirent persévérer dans un engagement résolument « de gauche », dans une voie de secours, de « raison ». C’est à cette condition que nous préserverons des effets les plus pernicieux de l'influence du radicalisme de gauche, autant que faire se peut, les milieux qui restent encore sous sa férule idéologique,
L'avenir d'une illusion
Il restera toujours une « gauche ». L’histoire récente de France le veut ainsi. A nous d’accompagner son aile la moins extrémiste dans sa mutation idéologique afin qu’elle parvienne à se désolidariser des mauvais maîtres qui prennent en otage l’ensemble du camp « progressiste », et cela sans avoir le sentiment de se renier.
Certains courants seront tentés de faire alliance avec des sensibilités voisines, et de délaisser les autres. Toutes les combinaisons sont possibles. Certaines alliances seront marquées au coin de l’opportunisme, d’autres résulteront d’affinités idéologiques. Mais là n’est pas le plus important.
Ce qu’il importera surtout d’observer, c’est la réaction de ces archipels face à deux phénomènes sur lesquels ils n’ont pas prise : la lassitude de l’opinion publique vis-à-vis de ces combats d’arrière-garde, et l'évolution de la situation internationale. La gauche idéologique pérore souvent comme si notre pays vivait en apesanteur dans le cosmos, et comme si la majorité de ses citoyens lui étaient acquis de toute éternité. Cependant, les lignes bougent. Rien n’est écrit par avance. Il n’y pas d’âge pour devenir lucide.
Jean-Michel Castaing est essayiste, théologien. A publié 48 Objections à la foi chrétienne et 48 réponses qui les réfutent (Salvator).
Illustration : L'université d'été du PS à la Rochelle en 2014.
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