Rien de plus inquiétant , malgré les apparences, que l'entretien accordé la semaine dernière à Paris-Match par Marie-Ségolène Royal, candidate très lancée à l'investiture socialiste à l'élection présidentielle. Elle n'annonce certes pas la révolution.

Mais qui la craint encore aujourd'hui ? Elle laisse seulement redouter une étape supplémentaire dans ce chemin de décomposition qui voit le gouvernement de la France s'enfoncer chaque année davantage dans la médiocrité.

On cherche en vain une nouveauté sérieuse dans un discours convenu, pur produit de "com", dont la ligne directrice est de marier le socialisme et les "valeurs" (Ségolène, si elle n'est pas mariée, n'en est pas moins une grande marieuse !).

Quelles valeurs ? On comprend vaguement qu'il s'agit de la famille, de l'école, de l'autorité parentale. Ségolène, comprend-t-on, est pour. Fort bien. Que propose-elle pour les réhabiliter ? Pour la famille, rien de précis. Pour l'école non plus. Pour l'autorité parentale, Mme Royal, croit davantage à l'exemple et au dialogue qu'à la contrainte. Voilà qui est fort bien pensé. En tous les cas fort bien pensant ! L'exemple, celui des adultes, que faire donc pour qu'il soit bon ? Que les adultes deviennent meilleurs. Par exemple en combattant la corruption politique.

La lutte contre la corruption tenant lieu de politique familiale, est-ce vraiment tout ?

Toujours pour amalgamer le socialisme et les valeurs, la candidate avance une proposition emblématique, à la croisée du socialisme et des traditions militaires qu'elle tient de sa famille : l'instauration d'un grand service civil obligatoire. Supprimer le service national a, dit-elle, été une erreur, en quoi elle n'a peut-être pas complètement tort. Mais où trouver les moyens d'encadrer pendant un an 600.000 ou 700.000 jeunes (puisque, parité oblige, les jeunes filles y seront aussi astreintes) et pour quoi faire ? Des tâches réellement utiles ? Mais se pose l'éternel problème de la concurrence déloyale avec le secteur marchand. Ou bien des tâches symboliques et par là dévalorisantes, qui, faute de discipline, se termineront, pour parler jeune, dans la "glande" généralisée ? On sait que le service civil obligatoire, même s'il aurait le mérite d'améliorer les statistiques du chômage des jeunes, est inapplicable. Si elle élue, Ségolène ne l'appliquera évidemment pas. Mais la proposition est sympathique : cela suffit.

L'emploi des jeunes, Ségolène s'en préoccupe : le CPE l'indigne. Serait-elle contre la flexibilité ? Oh que non, mais elle préfère parler d'"agilité" ! Des mots, encore des mots. Comment faire pour satisfaire le désir de stabilité des jeunes tout en facilitant leur embauche par les entreprises ? Il faut, dit-elle, faire comme les pays scandinaves. Que font-ils donc ? Cela n'est pas dit.

Ah si ! Mme Royal propose en exemple ce qu'elle fait en région Poitou-Charente : de l'apprentissage, de la formation professionnelle. Femme de terrain, elle s'active pour résoudre les problèmes à la base. Décidément, le coup du terrain, ça marche encore, c'est un argument qui porte: on nous l'a déjà servi avec J.-P. Raffarin, son illustre prédécesseur, avec les résultats que l'on sait. Mais les lecteurs de Paris-Match ont-ils compris que toutes les régions, de par la loi, font de la formation professionnelle intensive ? Entre ces actions nécessaires et la solution macro-économique du problème du chômage, quel rapport ? D'autant qu'il n'est jamais question chez l'intéressée, qui milita ardemment pour le projet de Constitution européenne, de remettre en cause certains fondamentaux monétaires qui font obstacle à la résorption du chômage (les États scandinaves, eux, ne sont pas dans l'euro, on oublie de le dire).

Les jeunes quittent la France ? Mme Royal propose un fonds d'action pour l'innovation comme il y en a là aussi un en région Poitou-Charentes car "il faut trouver de nouveaux marchés solvables à nos entreprises". Des fonds de ce genre, il y en a, en fait, un peu partout. Apparemment ça ne suffit pas.

Les riches quittent la France ? Elle n'a pas de sympathie pour eux mais il faut pour les en dissuader une harmonisation fiscale, bref un peu plus d'Europe.

Socialisme plat, mais sectaire

Mme Royal concède que "les charges des entreprises sont trop élevées". Comment les réduire, en faisant des économies sur quoi ? Mystère. Encore des mots. Voulant aussi marier le socialisme et l'entreprise, elle se réclame de Tony Blair. Ce n'est pas original : toute la droite française bave devant celui que l'opinion britannique tient de plus ne plus pour un faiseur. Elle s'est prise d'engouement pour l'homme qui n'a eu qu'à gérer gentiment, sans le remettre en cause, l'héritage ultra-libéral de Mme Thatcher (les vraies femmes d'État, ça existe !).

Juppé, Sarkozy , Seillière ont fait l'éloge de Blair. Ségolène serait-elle donc de droite ? Pas du tout. Sans trop savoir ce qui la distingue d'une droite tout aussi politiquement correcte qu'elle, elle n'a pas de mots assez durs pour Chirac (contre qui elle clame sa colère), pour Sarkozy, pour les riches (qu'elle n'envisage cependant pas de spolier, qu'ils se rassurent ), pour la droite en général.

Elle se ralliera quoi qu'il arrive au candidat de son parti, ce qui après tout est bien normal. Son socialisme n'a, quant au fond, aucune aspérité, aucune originalité. Mais il reste sectaire. Il l'est même d'autant plus férocement. On retrouve jusqu'à la caricature dans les propos de la candidate la définition que donnait de la nouvelle gauche un polémiste : rien ne la distingue plus de la droite, pensée unique oblige, sauf son sectarisme pour tout ce qui n'est pas elle.

Rêvons. Si cette dame est élue, que fera-t-elle ? Sans doute rien. Rien de sérieux pour la famille, rien de sérieux pour l'emploi, spécialement l'emploi des jeunes. Rien de sérieux pour réduire les dépenses publiques. Rien en matière de politique internationale, sur laquelle elle n'a visiblement aucune idée (mais est-ce bien utile , si la France devient le Poitou de l'Europe ? ). Comme Nicolas Baverez l'a dit de son prédécesseur à la tête de la région Poitou-Charentes, Ségolène "ne fera rien". C'est peut-être la raison pour laquelle elle rassure tant.

Après tant d'années gâchées, la France peut-elle se permettre encore d'en perdre encore cinq ?

■ D'accord, pas d'accord ? Envoyez votre avis à Décryptage