Source [Atlantico] Nos confrères d'Atlantico proposent un balayage stimulant de l'exercice périlleux, et globalement raté, d'Emmanuel Macron face aux Français hier soir. Le problème reste entier : la réponse a été conjoncturelle, partielle et démagogique, là où la crise est profonde est politique.
Le Président de la République a répondu à la grogne des Gilets jaunes, mais moins à la crise de l'autorité que le mouvement des Gilets a révélé.
Atlantico : Dans quelle mesure la situation actuelle est-elle le fruit d’un double phénomène entre une perte d’autorité qui mord la société de manière transversale depuis de nombreuses années, et un rejet de la politique et du style d’Emmanuel Macron?
Edouard Husson : Les successeurs du Général de Gaulle ont eu du mal à comprendre en quoi consistait l’exercice de l’autorité. Georges Pompidou est le premier qui a voulu ramener le mandat présidentiel au quinquennat, un énorme contresens, comme nous le voyons aujourd’hui: nos présidents quinquennaux sont obsédés par l’idée d’être des hyperprésidents. Giscard est le premier qui ait fait comme si le Premier Ministre était inutile, brimant Chirac jusqu’à le faire démissionner; puis incapable de changer Raymond Barre au moment où il s’agissait de commencer à préparer une nouvelle élection présidentielle. Mitterrand et Chirac ont refusé d’assumer leurs responsabilités quand ils avaient perdu les législatives et ont entamé des cohabitations avec des premiers ministres qu’ils n’avaient pas choisi. Sarkozy a découvert ce qu’il en coûtait de vouloir être en première ligne sur tous les dossiers, une leçon qu’Emmanuel Macron n’a pas retenue. L’autorité présidentielle, telle que l’a imaginée de Gaulle ne peut fonctionner que si le président, garant de l’auctoritas, délègue à d’autres la potestas - pour reprendre la célèbre distinction romaine entre celui qui garantit le fonctionnement de l’Etat et celui qui agit au quotidien.
Ce n’est pas seulement une question d’exercice direct du pouvoir. C’est surtout la soumission de nos présidents à une autorité externe qui est en jeu. On ne joue pas avec la souveraineté. La transférer, cela a un sens profond. On peut faire le choix de l’Europe - et d’ailleurs Emmanuel Macron est sans ambiguïté sur ce point - mais alors il faut accepter que l’on est plus un “Jupiter”; il faut se mettre dans la position de défendre sans hésiter les intérêts de tous nos concitoyens dans l’Union Européenne. Nos candidats à la présidentielle se sont battus de plus en plus pour un poste vidé de sa substance par la création du système de la BCE et les autres transferts de souveraineté d’une part et leur refus de défendre les intérêts du peuple français dans l’Europe d’autre part. Regardez comme la popularité de nos présidents tombe plus vite et plus bas au fur et à mesure de l’évolution de la Vè République. Le Gilet Jaune Benjamin Cauchy le demande avec bon sens: quand est-ce que l’on émancipe la France des règles de l’Union Européenne qui enlèvent toute marge de manoeuvre au gouvernement français? Comme on ne va pas tout changer par un coup de baguette magique, il faut regarder comment s’y prend Trump pour réviser les traités commerciaux dans l’intérêt du peuple américain. Et faire la même chose pour la France en Europe. On ne met pas en cause l’ordre global, on demande qu’il soit réaménagé pour répondre aux intérêts des plus fragiles. Evidemment, on se prépare à en sortir si la négociation échouait.
Il y a bien entendu, dans cette histoire, une dimension propre à Emmanuel Macron: il a pleinement assumé le fait que la politique de l’euro et l’alignement de la France sur les impératifs de la mondialisation aient fait réussir le tiers supérieur des Français et pas les autres. il l’a dit explicitement. Il prend donc sur lui en direct, tel un bouc émissaire, l’expression de la frustration des Français.
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