"L'Assemblée parlementaire condamne avec vigueur les violations massives des droits de l'homme commises par les régimes communistes totalitaires et rend hommage aux victimes de ces crimes." Il aurait été plaisant que cette apostrophe soit émise par le Parlement français mais, las, il n'est pas possible d'évoquer cette question sans tomber dans l'oubliette.

En 2002 déjà, le journaliste roumain Radu Portocala, qui demandait au président de l'Assemblée Nationale une minute de silence pour les millions de mort du communisme, avait eu comme réponse :"Il n'appartient pas au législateur français d'adopter un texte de reconnaissance de crimes politiques perpétrés en-dehors du sol national, texte qui, évidemment, ne pourrait avoir aucun caractère normatif." Réponse sans les tambours ni trompettes que l'on sort pour d'autres causes "mémorielles".

En mars 2005, bis repetita une lettre était adressée au Premier ministre, demandant quelques commémorations officielles reconnaissant la réalité des crimes de l'idéologie communiste. Las, la réponse fut éloquente. Au plus haut niveau de l'État, il est considéré que "le génocide perpétré par les nazis est au sommet de la barbarie, le déni de toutes les valeurs humaines. Cette tragédie unique dans l'histoire est un fondement de la conscience européenne moderne. Reconnaître cette vérité n'est pas méconnaître les conséquences de l'autre totalitarisme du XXe siècle (sic), porteur d'immenses tragédies individuelles et collectives".

Excusable politique

Le refus de nommer le communisme par son nom est déjà un aveu ! Mais le plus grave est que la qualification du crime dépend non pas de la réalité qui a frappé les chairs de millions de victimes mais de l'intention qui le portait. En effet, toujours selon la réponse reçue, "il faut cependant éviter les amalgames et reconnaître chaque situation historique pour ce qu'elle est : la Shoah était le produit d'une idéologie de mort et de négation de l'humanité sur un fondement racial. Les victimes de régimes comme celui de Staline l'ont été d'une violence politique portée à son paroxysme". La violence politique est toujours excusable et ne peut être mise dans la même catégorie que la violence raciale. Étonnant aveuglement et torsion de la réalité dans ces considérations de langage où l'on semble reconnaître implicitement que bonheur humain justifiait bien quelques moyens exceptionnels, insignifiants eu égard au but poursuivi, figé pour l'éternité dans une glue de bons sentiments.

C'est toujours dans cette disposition d'esprit que se trouve la France, alors que les pays d'Europe centrale, qui ont subi la réalité du joug communiste avec le complaisant silence ou la participation active des partis frères occidentaux, cherchent douloureusement à purger leur mémoire d'un poids écrasant. Le chemin est long et la démarche semée d'embûches. Le Conseil européen du 24 février 2005 avait déjà rejeté une proposition du député européen Vytautas Landsbergis qui demandait l'interdiction d'utilisation des symboles communistes, renvoyant les États devant leurs responsabilités à ce sujet. L'Occident, culturellement acquis au marxisme, ne parvenait pas à formuler une condamnation des régimes communistes et des crimes qui y étaient associés. Une telle condamnation risquait de surcroît à mettre en péril les relations commerciales avec la Chine !

Le 25 janvier 2006, toutefois, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe adoptait la résolution 1481 sur la "Nécessité d'une condamnation internationale des crimes des régimes communistes totalitaires" sans toutefois arriver à une majorité pour l'application de recommandations concrètes comme la révision des manuels scolaires.

Pour l'initiateur de cette démarche, le suédois Göran Lindblad, l'adoption de la résolution est un "bon point de départ" pour continuer. "Alors qu'un autre régime totalitaire du XXe siècle, c'est-à-dire le nazisme, a été enquêté à fond, internationalement condamné et les responsables de ce régime ont été amenés en justice, des crimes similaires commis au nom du communisme n'ont été ni étudiés ni été condamnés internationalement", déclarait-il dans son rapport.

Criminelle comparaison

"Crimes similaires au nazisme". C'est sans doute sur ce point, quinze ans après la dissolution de l'URSS, que le bât blesse. Dans son communiqué de presse du 18 janvier, le Parti communiste français déclare que "le stalinisme est une perversion terrible d'un idéal communiste qui ne peut pas séparer l'égalité et la liberté, la justice sociale et les droits imprescriptibles de la personne. Le PCF n'a donc pas attendu la chute de l'URSS pour condamner les violations des libertés qui ont si longtemps bafoué et, parfois, continuent de bafouer les principes humanistes et démocratiques qui sont le cœur du projet communiste. C'est au nom même du communisme et de sa passion de la liberté, qu'il a marqué son refus des atrocités perpétrées dans tant de pays et pendant une si longue période. Rien, aux yeux des communistes français, ne peut effacer ces tâches indélébiles et le préjudice irrémédiable qui a touché des millions de victimes et leurs familles. Mais rien, à leurs yeux, ne peut justifier une assimilation révisionniste au nazisme. Ce n'est pas l'idée communiste mais sa dénaturation qui a produit les crimes. En identifiant le communisme et le nazisme, le projet vise à nier la place tenue par les communistes, à partir de leurs valeurs, dans le combat acharné contre le fascisme. De fait, il participe de la négation de l'exceptionnalité du phénomène nazi. Il contribue ainsi à la banalisation du génocide des juifs".

De même la Gauche unitaire européenne dénonce un rapport qui "instrumentalise (des) atrocités pour attaquer, marginaliser et criminaliser un courant politique dont les idéaux sont contraires aux crimes qui ont été commis". Pour clarifier la position de son groupe, il a lui aussi affirmé que les crimes "de régimes qui se prétendaient communistes [...] doivent être condamnés comme doivent être condamnés les crimes commis ailleurs au nom de la démocratie ou du christianisme".

Tigran Tarossian, le vice-président de l'Assemblée nationale d'Arménie a renchéri en soulignant "qu'on ne doit en aucun cas faire amalgame des régimes communistes et totalitaires". Ces jeux de mots et ces torsions de la langue seraient plaisantes si elles ne cachaient pas une réalité faite de cadavres et de spoliations en tout genre. La statue du Commandeur de la lutte anti-fasciste, mise en avant depuis des lustres lorsqu'on évoque les crimes du communisme, tient encore, mais accuse tout de même de profondes lézardes sous le coup des plus récentes études historiques sur les régimes communistes à travers le monde.

L'objectif du Conseil de l'Europe est d'apurer la mémoire, cette mémoire collective des peuples qui provoque un si vif débat en France actuellement. Dans un article à paraître dans Liberté politique (n° 32, hiver 2006), le dominicain Emmanuel Perrier écrit que seule une histoire vraie est capable de porter une mémoire vraie, mais que celle-ci doit être également assumée dans l'ordre politique. Le fondement civilisationnel est là et non pas uniquement dans les travaux des historiens.

À l'Est, la lumière

Si l'intelligentsia communiste occidentale ne fait pas encore son deuil d'un idéal trahi, les peuples d'Europe orientale cherchent cependant à faire toute la lumière sur leur passé récent. C'est d'ailleurs bien par leur initiative que continue à se fissurer la perception que nous pouvions avoir du communisme. Une chose était de le professer dans des écrits dans une société repue de consommation, une autre était de le vivre dans sa chair. Les opinions sont donc diamétralement opposées. Les représentants bulgares affirmaient ainsi que seize ans après la chute du régime communiste, il était inacceptable que les dossiers reliés aux crimes commis par ce régime soient considérés confidentiels. Selon les députés, une telle attitude équivaudrait à ce que le gouvernement démocratique de la Bulgarie supporte le régime communiste en l'assistant à dissimuler ses crimes à la société. Des députés bulgares ont ainsi introduit au Parlement bulgare une proposition de loi établissant un Institut pour la mémoire nationale des crimes contre le peuple bulgare.

Une association croate de prisonniers politiques du régime communiste en Yougoslavie a pour sa part accueilli la décision de l'Assemblée avec joie. Son président, Alfred Obranic, a déclaré : "Il y a besoin de condamner les pires fléaux de notre histoire et de notre vie, le nazisme et le communisme." Selon lui, 100 000 Croates ont souffert d'emprisonnement lors du règne du régime communiste. Il affirme aussi que "le communisme a promu le respect des valeurs humaines, mais il a mis en place le contraire, ce qui le rend encore plus pervers que le nazisme".

La Roumanie a aussi entrepris des moyens pour rendre de telles informations publiques. À l'initiative de l'historien Marius Oprea, et après de fortes intimidations de la part des anciennes officines de sécurité roumaines toujours actives dans la vie publique, un Institut pour l'investigation des crimes du communisme en Roumanie a été créé par le gouvernement. Pour Marius Oprea, non seulement la décommunisation des structures d'État s'apparente à la dénazification, mais par ailleurs il considère le terrorisme d'État comme un crime imprescriptible. Le plus compliqué, dans les initiatives qui voient le jour, sera d'une part l'accès aux archives publiques et d'autre part la volonté de mener à bien ce processus dans un temps qui peut s'avérer très long.

Faire mémoire des crimes du communisme, ce n'est pas s'affranchir de l'impératif absolu qu'est la justice sociale, qu'est le combat pour la dignité des personnes. Ce n'est pas non plus absoudre les exactions qui se produisent avec d'autres systèmes politiques. C'est faire en sorte que l'homme soit au cœur de la société, et non plus la classe, la race ou le capital. Remettre les pendules à l'heure semble devoir être un impératif pour remettre l'Europe en marche.

Pour en savoir plus :

Résolution "Nécessité d'une condamnation internationale des crimes des régimes communistes totalitaires"

Photo : D'après Armand Maloumian, Les Fils du Goulag, Presses de la Cité, 1976.

> D'accord, pas d'accord ? Envoyez votre avis à Décryptage

>