Le projet de réforme du statut des enseignants-chercheurs suscite beaucoup d'émotion. Les grèves et autres manifestations de mécontentement ont pris une grande ampleur dans les établissements d'enseignement supérieur. Pourtant, tout le monde la souhaite cette réforme...

Le 11 février, un communiqué de la Conférence des présidents d'universités proclame : Remettre sur le chantier le projet de révision du décret de 1984 [qui fixe le statut des enseignants-chercheurs] est aujourd'hui indispensable. Le même jour, la médiatrice nommée par Valérie Pécresse, ministre de l'Enseignement supérieur et de la recherche, a indiqué qu'une nouvelle version du décret sera rédigée ; ce sera la seconde modification d'un texte qui, dès sa présentation, a déplu. Quel est donc le problème, et quelles pistes pourraient-on explorer pour le résoudre ?
À ces questions, la réflexion ci-dessous ne prétend pas apporter des réponses péremptoires. Elle vise simplement à suggérer une approche du problème différente de celle qui est actuellement sur la sellette. Car il me semble que la réforme proposée pêche moins par l'ampleur des changements envisagés que par leur manque d'ambition, lui-même cohérent avec une réforme des structures universitaires certes pleine de bonnes intentions, mais qui n'est pas allée au fond des choses.
Ambiguïté de la formule enseignant-chercheur
La réforme du statut des professeurs et maîtres de conférence vise à tenir compte davantage des mérites individuels en matière de recherche et d'enseignement. Cet objectif, en soi, est excellent. Mais il est difficile de l'atteindre tant que n'aura pas été une ambiguïté, inhérente à la fonction d'enseignant-chercheur.
Le concept d'enseignant-chercheur est une sorte de chauve-souris, un hybride. Rappelons-nous La chauve-souris et les deux belettes de La Fontaine : Je suis oiseau, voyez mes ailes , dit le rongeur volant à celle qui aimait croquer les souris, tandis qu'à l'autre, qui allait la croquer en qualité d'oiseau , il déclare : Je suis souris : vivent les rats ! Si étroits soient les liens qui doivent exister dans l'université entre les fonctions d'enseignement et de recherche, elles n'en sont pas moins distinctes. Vouloir les réunir de façon systématique, et à égalité, sur une même personne, n'est pas réaliste. Une bonne partie des difficultés actuelles ne proviendraient-elles pas de ce que l'on persiste à raisonner sur un modèle de poste, l'enseignant-chercheur, qui est devenu passablement obsolète ?
Nécessaire diversité des personnels universitaires
L'université a clairement vocation à mettre les jeunes au contact de personnes activement engagées dans des activités de développement de nos connaissances, fondamentales et appliquées : cela n'est pas en cause. Mais elle a aussi une fonction de préparation à différentes sortes d'activités professionnelles et, à ce titre, les étudiants doivent rencontrer des professionnels au cours de leurs études, non seulement au cours de stages ou de périodes d'emploi en entreprise (apprentissage, etc.), mais aussi en tant qu'enseignants. Et c'est de fait ce qui se passe, soit à travers des contrats de chargés de cours dont la rémunération est ridiculement basse, soit grâce à des postes de professeurs et maîtres de conférence associés , nommés pour trois ans.
De plus, concernant les enseignements académiques , les étudiants n'ont pas besoin d'être exclusivement placés entre les mains de chercheurs : les classes préparatoires, par où commence la formation de nombreux futurs chercheurs, emploient des agrégés, qui n'ont pas d'obligations en matière de recherche ; elles apportent la preuve du fait que des enseignants purs peuvent fournir une excellente formation supérieure. Les universités ont d'ailleurs retenu la leçon : elles comptent beaucoup sur des agrégés du second degré et des certifiés pour assurer un certain nombre d'enseignements, particulièrement durant les trois années de licence, et les étudiants n'ont pas particulièrement à s'en plaindre.
Il y a donc place à l'université pour des enseignants purs , pour des professionnels qui font un peu d'enseignement, et pour d'autres qui en font davantage (professeurs et maîtres de conférence associés ). Pourquoi n'emploieraient-elles pas également des chercheurs purs , des chercheurs qui feraient un peu d'enseignement, et d'autres qui s'y investiraient davantage ? La répartition moitié-moitié du temps de travail entre l'enseignement et la recherche est un impératif bureaucratique : il ne correspond ni à la réalité du terrain, ni à ce qui est souhaitable, car la diversité des talents et des besoins suggère une gamme beaucoup plus large et bien plus de souplesse.
Clarifier la place de la formation professionnelle et celle de la recherche
Ce qui empêche d'avancer dans cette voie est la polarisation sur un statut qui reproduise au niveau de chaque universitaire ce qui fut la double vocation des universités, enseignement et recherche. Les auteurs du projet de réforme qui agite tant les universitaires ont raison de vouloir faire évoluer ce modèle désuet, mais j'ai peur qu'ils s'y prennent mal.
D'abord parce qu'ils ne s'appuient pas suffisamment sur ce qui est devenu, au fil des ans, une mission à part entière de l'université : la formation professionnelle. Toutes sortes de fonctions, et même de métiers, se développent au sein des établissements d'enseignement supérieur pour exercer cette mission : relations entreprises, tutorat, recherche et cadrage d'intervenants extérieurs, etc.. Ce sont des fonctions universitaires qui ne relèvent pas à proprement parler de la catégorie enseignant-chercheur .
Ensuite parce qu'un constat aurait dû être fait, et ne l'a pas été : si l'université est théoriquement en charge de la recherche comme de l'enseignement supérieur, la réalité est fort différente. Dans les faits, le nombre et l'importance des équipes de recherche purement universitaires sont modestes : pour avoir des moyens, un labo se doit d'être rattaché à une structure de recherche à proprement parler, telle que le CNRS. Hormis la paie des enseignants-chercheurs rattachés au labo, son financement vient en majeure partie de tels organismes. Les enseignants-chercheurs dépendent donc de l'université pour ce qui est de l'enseignement, et de leur traitement, mais d'une autre structure pour leurs activités de recherche.
La situation révoltante récemment mise à jour par une mission du ministère [1] n'est certainement pas sans rapport avec cette ambiguïté : 24 % des enseignants-chercheurs ne font partie d'aucune équipe de recherche ! Et le quart de ceux qui sont rattachés à un centre de recherches n'avaient rien publié au cours des quatre années précédant l'enquête ! De tels chiffres ne signifient-ils pas l'inadéquation à la fois du statut d'enseignant-chercheur, et des institutions au sein desquelles se réalise l'enseignement supérieur et la recherche publique ?
Remise en cause des unités d'enseignement et de recherche
Cet échec, et le malaise universitaire, proviennent en grande partie du choix qui a été fait jadis d'avoir comme composantes des universités des unités d'enseignement et de recherche (UER). Cette formule est un leurre, qui a fait beaucoup de mal aux universités : il leur faut de vraies et puissantes unités de recherche, autonomes, composantes à part entière, et des unités d'enseignement qui viendront y puiser des compétences, comme elles en puiseront dans les entreprises et parmi les corps d'enseignants stricto sensu. Il serait beaucoup plus sain d'avoir d'une part des laboratoires, et d'autre part des unités d'enseignement, les uns et les autres composantes des universités, et dotés comme tels d'une large autonomie. Dans cette optique, je proposerais volontiers de faire de la majorité des laboratoires hébergés par les universités des composantes à part entière de celles-ci.
Les laboratoires emploieraient et payeraient les chercheurs ; ils loueraient les services de certains d'entre eux aux unités d'enseignement, ou autoriseraient leur personnel à enseigner en plus pour gagner plus , comme le font actuellement beaucoup de chargés et directeurs de recherche du CNRS dont le laboratoire est hébergé par une université.
Cela suppose, à l'évidence, une large autonomie des composantes. La loi relative à l'autonomie des universités n'a pas respecté le principe de subsidiarité : en concentrant les pouvoirs au niveau de la présidence, elle rend quasiment impossible le type de solutions qui vient d'être esquissé, puisque celui-ci requiert des entités à taille humaine, les unes consacrées à la recherche et les autres à l'enseignement, qui soient véritablement responsables de leur recrutement et de leur budget.
Il y a besoin d'une réflexion systémique
Sans vouloir accabler un ministère dont la tâche est tout sauf facile, force est de noter un déficit de réflexion systémique préalable à la fois à la réforme des institutions et à celle des statuts du personnel. L'autonomie des universités a été en quelque sorte copiée sur celle des collectivités territoriales mise en place il y a un quart de siècle, et dont on a vu les effets : une prolifération de fonctionnaires locaux nullement compensée par une réduction de la fonction publique de l'État, et une logique de nouveaux féodaux , pour reprendre l'excellent titre d'un non moins excellent ouvrage de Roland Hureaux (Gallimard, 2004). Quant à la réforme statutaire, elle ne s'appuie malheureusement pas sur une analyse suffisante des dysfonctionnements qui obèrent les activités de formation et de recherche menées au sein des universités.
Seule une réflexion approfondie permettra d'échapper aux contradictions de la réforme des statuts, car elles découlent des contradictions inhérentes à l'existence de corps d'enseignants-chercheurs, au statut ambiguë des laboratoires publics de recherche hébergés par les universités, et à la mauvaise articulation de l'enseignement et de la recherche.
Ayons des universitaires chercheurs qui seront jugés sur leurs travaux, et qui feront en sus, s'ils en ont le goût et le talent, des interventions à caractère pédagogique. Les responsables d'unités d'enseignement pourront refuser de confier un amphi à un chercheur qui a des chances sérieuses de décrocher un jour le prix Nobel de sa discipline, mais qui est perdu avec des Bac + 2, sans avoir à se creuser la tête pour savoir comment il pourrait bien faire son service statutaire. Ces unités disposeront à la fois de chercheurs remplissant avec plaisir et compétence une fonction annexe de formation, et d'enseignants à plein temps, payés à enseigner et jugés sur leurs qualités pédagogiques. Parmi ceux-ci, quelques-uns feront sans doute de la recherche en tant que hobby, et chez certains se révèleront des vocations de chercheurs amenant leur carrière à évoluer : la souplesse doit figurer au programme.
Reconnaître que l'enseignant-chercheur est un composé instable, accepter d'en dissocier les deux composantes tout en organisant les recompositions à géométrie variable qui correspondent mieux à un univers en perpétuel changement, telle est la piste qui, me semble-t-il, pourrait nous sortir du marécage où notre pauvre université est en train de s'enliser.
*Jacques Bichot est économiste, professeur émérite à l'université Lyon III.
[1] Voir le compte-rendu qu'en donne Le Figaro du 12 février 2009.
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