1. L'affaire avait fait grand bruit : un juge d'instruction enquêtant sur une affaire de viol imputée à un religieux (innocenté depuis) avait ordonné en août 2001 une perquisition dans l'officialité interdiocésaine lyonnaise chargée d'instruire sur ces faits.
Mgr Billé avait publiquement regretté cette méthode faisant fi du droit canonique. Sur le plan de la procédure, la chambre de l'instruction de Versailles avait été saisie, et avait annulé la perquisition, au motif que la recherche d'une possible preuve dans une procédure canonique diligentée par l'official, pour être utilisée dans une procédure pénale laïque pouvait être considérée comme déloyale. La Cour de cassation a cassé le 17 décembre 2002, sans véritable surprise, l'arrêt de la chambre d'instruction.
2. La question juridique posée était en substance la suivante : le secret des " ministres du culte " peut-il faire échec aux pouvoirs d'investigation du juge d'instruction ? Dans son arrêt du 17 décembre dernier, la chambre criminelle de la Cour de cassation a posé un principe qui devrait faire jurisprudence : " L'obligation imposée aux ministres du culte de garder le secret des faits dont ils ont connaissance dans l'exercice de leur ministère ne fait pas obstacle à ce que le juge d'instruction procède à la saisie de tous documents pouvant être utiles à la manifestation de la vérité. "(cf. réf. infra) En d'autres termes, la manifestation de la vérité (donc la perquisition) prévaut sur le secret ecclésiastique.
3. Dont acte, le message paraît clair. Si de prime abord, il faut se féliciter de tout ce qui peut participer à la manifestation de la vérité, à la réflexion, cet arrêt est assez symptomatique de la place réservée au religieux dans notre société qui est moins laïque qu'athée, et qui sous la bannière de la vérité se garde de chercher à comprendre la portée du secret — partant sa nécessité. De plus, la motivation de cet arrêt ne manque pas de surprendre eu égard à la jurisprudence de la Cour de cassation. En effet la Cour indique en l'espèce que l'obtention de la preuve ne s'est pas faite de manière déloyale (" aucune artifice ou stratagème ") ; le contraire aurait pu être une cause d'annulation de la perquisition — et donc de confirmation de l'arrêt de la chambre d'instruction de la Cour d'appel de Versailles. Rien n'est moins sûr au regard des arrêts récents. Par exemple, la Cour de cassation a jugé le 11 juin 2002 (affaire du " Testing ") " qu'aucune disposition légale ne permet aux juges répressifs d'écarter les moyens de preuve produits par les parties au seul motif qu'ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale ". La loyauté de preuve est sinon un vœu pieux, du moins une peau de chagrin. Aussi, dès lors que la perquisition est diligentée selon les normes de la procédure pénale, elle n'apparaît pas contestable. C'est pourquoi le vrai message de la Cour de cassation n'est sans doute pas à rechercher dans la (dé-)loyauté de la preuve.
4. À notre avis, la portée de l'arrêt se situe sur le plan de la hiérarchie des normes, à savoir l'ignorance par le droit pénal laïque du droit pénal canonique. Cette négation (car il s'agit bien de cela) n'est pas nouvelle. La tradition catholique de la France faisait que son Église méritait des égards, qui semblent indifférents aux juges positivistes – ces derniers ne faisant que relayer une pensée plus générale comme en témoigne le refus des plus hautes autorités politiques françaises d'inscrire dans la charte européenne des droits fondamentaux l'héritage et la mémoire chrétiens de l'Europe. En conséquence, l'arrêt de la Cour de cassation ne fait qu'affirmer une conception de la démocratie selon laquelle les normes sont issues de l'ordre politique, souverain absolu en tous points.
5. Cette ignorance du droit canonique, pour n'être qu'une étape de plus dans le refus de " prendre au sérieux " le religieux, est traitée d'une manière trompeuse qu'il convient de relever. En effet, tout en posant le principe de la supériorité du droit pénal laïque, la Cour semblerait reconnaître " le secret professionnel des ministres du culte " (cf. Communiqué de l'Archevêché de Lyon, 2 janvier 2003). Or nous croyons que ce n'est pas exactement le cas. La Cour de cassation n'admet pas le secret professionnel des ministres du culte dans l'ordre positif français – et pour preuve : la décision du 17 décembre ! Elle se borne à rappeler l'obligation imposée au ministre du culte par " son " ordre normatif en l'occurrence canonique. La subtilité n'a sans doute pas échappé aux autorités ecclésiastiques, nonobstant le communiqué précité. Bref, la Cour de cassation prend acte des obligations canoniques, mais se garde bien d'en tirer les conséquences dans l'ordre laïque. En définitive, il apparaît que le secret professionnel du droit canonique n'est nullement sauvegardé par le droit pénal français, et encore moins consacré. Nous aurions plutôt tendance à penser le contraire. Quand bien même une procédure d'instruction canonique ne comporterait pas d'actes ou documents (susceptibles d'être saisis), un ecclésiastique dépositaire d'un secret pourrait être interrogé par un juge d'instruction de droit français. Le clerc ne pourrait pas opposer un " droit ordinal au secret ", sauf à prendre de sérieux risques pénaux...
6. Que faut-il en conclure ? Tout d'abord, les enjeux du secret sont esquivés au nom de la vérité, l'argument faisant " mouche ". Certes, il est légitime qu'une instruction reflète la réalité de la manière la plus vraisemblable, surtout quand les faits à instruire sont graves. Pour autant, il ne faudrait pas que le souci légitime, répétons-le, de la manifestation de la vérité, soit le prétexte à des perquisitions qui s'apparentent davantage à des opérations de discrédit aux relents médiatiques qu'à d'authentiques recherches de preuves. À cet égard, la convocation d'un clerc ayant autorité peut être un moyen d'éviter des perquisitions qui s'accommodent mal avec les lieux du sacré et les personnes qui les servent d'une manière souvent extraordinaire.
7. C'est pourquoi, on n'échappe pas à une réflexion sur la portée du secret, sur sa raison d'être. Le secret, lieu de l'ultime, navigue dans les eaux profondes, des âmes souvent agitées. Toucher au secret, c'est d'une certaine manière de rompre le lien qui s'est établi au plus profond de l'être. Le secret n'est pas antinomique avec la vérité. Bien au contraire, c'est au cœur de cet être, blessé, que demeure la vérité et la vie. Et le fait de confier un secret apparaît souvent comme le premier pas d'une reconnaissance d'une faute, la recherche d'un pardon et ce faisant la volonté de repartir sur le chemin de la vérité.
Référence : 27/01/2003 - 00:00. Procédure pénale. L'obligation de secret des ministres du culte ne fait pas obstacle aux pouvoirs d'investigation du juge
L'obligation imposée aux ministres du culte de garder le secret des faits dont ils ont connaissance dans l'exercice de leur ministère ne fait pas obstacle à ce que le juge d'instruction procède à la saisie de tous les documents pouvant être utiles à la manifestation de la vérité. En application de ce principe, c'est à tort que la chambre de l'instruction a annulé les actes de perquisition et de saisie auxquels le juge d'instruction avait fait procéder dans le cadre d'une information du chef de viol aggravé ouverte contre un membre d'une congrégation religieuse, dans les bureaux d'un vice-official et d'un évêque.
Pour ce faire, la chambre de l'instruction, tout en constatant la régularité des perquisitions, avait considéré que celles-ci avaient pour objectif la recherche d'une possible preuve dans une procédure canonique diligentée par l'official, pour être utilisée dans une procédure pénale laïque, ce qui pouvait être analysé comme un procédé déloyal.
Or, en application du principe rappelé ci-dessus, aucun artifice ou stratagème n'ayant été caractérisé comme ayant pu vicier la recherche et l'établissement de la vérité, l'arrêt de la chambre de l'instruction doit être cassé.
Source :Cass. crim., 17 déc. 2002 ; Proc. gén. près CA Versailles. Arrêt n° 7490 FS-P+F (Juris-Data n° 2002-017216). JCP G 2003, act. n°4
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