Les partisans de la dépénalisation de l'euthanasie en France peuvent être satisfaits ; après le non-lieu prononcé le 27 février 2006 dans l'affaire Vincent Humbert, ils viennent d'obtenir un nouvel acquittement suite au cas d'un homme ayant précipité la mort de son épouse.

Ce mercredi 14 juin, la cour d'assises du Maine-et-Loire a jugé non coupable un Danois de 37 ans, Morten Jensen, qui comparaissait pour avoir euthanasié son épouse française.

Emmanuelle était atteinte d'un cancer, diagnostiqué en 2000. Elle était en stade terminal lorsque son mari a mis un terme à ses jours en janvier 2003, augmentant brutalement les doses de morphine et de Tranxène qu'elle recevait par perfusion dans le centre de traitement des cancers, à Angers, où elle était hospitalisée. La malade bénéficiait-elle de soins palliatifs de qualité ? Son traitement anti-douleur était-il correctement dosé ? Dans l'éventualité d'une douleur persistante, la sédation totale ou partielle avait-elle été envisagée collégialement au sein de l'équipe médicale ? Son mari était-il lui-même soutenu et accompagné ? Nous ne le saurons pas.

Il ne s'agit pas ici de mettre en doute les témoignages attestant la qualité des sentiments de l'accusé pour son épouse. Mais il faut regretter que le jugement rendu soit en contradiction avec la nouvelle législation sur la fin de vie adoptée le 22 avril 2005, une législation dont les failles peuvent s'agrandir, telles que l'instauration des directives anticipées ou la non reconnaissance de l'alimentation artificielle comme un soin toujours dû au malade.

L'argument du double effet

Cette loi a paru justement à beaucoup comme un compromis raisonnable. Mais les ambiguïtés montrent aujourd'hui leurs limites. Ainsi par exemple, son invocation de la théorie du double effet, inscrite dans l'article L 1110-5 du Code de la santé publique.

Ce raisonnement est issu de la casuistique du XIIIe siècle dont l'exposé classique se trouve dans la Somme théologique de saint Thomas d'Aquin (1228-1274) à propos du caractère licite de l'homicide en état de légitime défense : "Rien n'empêche qu'un même acte ait deux effets, dont l'un seulement est voulu, tandis que l'autre ne l'est pas. Or, les actes moraux reçoivent leur spécification de l'objet que l'on a en vue, mais non de ce qui reste en dehors de l'intention, et demeure accidentel à l'acte. Ainsi, l'action de se défendre peut entraîner un double effet : l'un est la conservation de sa vie, l'autre la mort de l'agresseur (IIa, IIæ, Q.64, a.7.)"

Ce raisonnement est basé sur le fait que la conséquence prévisible et prévue d'un acte n'est pas nécessairement son effet voulu. Employer un moyen de défense peut avoir un effet direct, voulu et bon qui sera de protéger la vie d'un innocent et un effet indirect, non désiré et mauvais qui est le fait de tuer un être humain, fût-il un agresseur injuste et criminel. Les manuels d'éthique américains citent volontiers le cas du général Eisenhower quand il fit débarquer ses soldats sur les plages de Normandie, en juin 1944 : il savait qu'il envoyait nombre d'entre eux à une mort certaine, mais son but était la libération de l'Europe.

Dans le cadre des soins en fin de vie, l'administration d'antalgiques et de calmants puissants peut être couverte par cette doctrine du double effet : l'effet bon et premier délibérément recherché est de calmer la souffrance du malade et l'effet second non voulu pour lui-même, mais prévu et accepté comme un risque, est une précipitation possible du décès du malade en fin de vie.

À propos des malades en fin de vie, on comprend bien que la notion d'intention soit au cœur du questionnement moral. Quand l'intention est le soulagement des souffrances – et il s'agit d'un impératif éthique et médical – , elle transmet une fonction de soin à un acte qui peut être qualifié de soignant, tandis que l'intention de donner la mort, récusée par le Code de déontologie médicale et la loi sur la fin de vie, entraîne un acte qui n'est plus un soin. Il n'y a rien de commun entre le fait d'augmenter la posologie d'un traitement morphinique pour adoucir une douleur réfractaire ou pour abréger la vie d'un malade dont on ne supporte plus la souffrance. Comme l'écrit le philosophe Nicolas Aumonier, "soulager la douleur au risque de la mort ne relève pas de la même intention qu'induire la mort pour supprimer cette douleur" (L'Euthanasie, PUF, 2006). Marie de Hennezel, dans un Rapport au ministre de la Santé (2003), avait insisté pour que la question de l'intention soit au centre des débats sur l'accompagnement du mourant.

La question de l'intention

Dans l'affaire qui nous intéresse, Morten Jensen reconnaît avoir administré de fortes doses d'antalgiques avec l'intention d'aboutir à la mort de son épouse pour supprimer ses souffrances, ce qui correspond à la définition de l'euthanasie, quels que soient l'acte ou l'omission réalisés par le tiers. Sans un respect rigoureux de l'argument du double effet, sans une grande lucidité et honnêteté morales de la part de toute l'équipe soignante, des objectifs apparemment antalgiques pourraient cacher des attitudes euthanasiques particulièrement pernicieuses. Le risque est en effet que l'effet secondaire mauvais devienne la finalité première de certaines décisions médicales concernant le traitement anti-douleur ou la sédation en fin de vie. Une étude récente montre d'ailleurs qu'une majorité de médecins hollandais prescrit de fortes doses de morphine dans l'intention première d'accélérer la mort du malade.

On ne peut donc que déplorer le jugement rendu par le jury de la cour d'assises du Maine-et-Loire, quand il aurait pu conjuguer la clémence et le respect de l'interdit d'homicide. Une peine de principe légère, telle que la réclamait l'avocat général, aurait rappelé le droit sans accabler un homme dont on ne nie pas la souffrance morale.

Une fois de plus, la loi du 22 avril 2005, alors même qu'elle est peu connue des soignants, est battue en brèche et contredite par la jurisprudence, chaque nouvelle affaire donnant l'impression qu'une sorte de droit à l'euthanasie est acquis de facto. Le respect de la vie finissante a tout à perdre de ces compromissions.

*Pierre-Olivier Arduin est responsable de la commission Bioéthique et Vie humaine du diocèse de Fréjus-Toulon.

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