Encore un effort, monsieur le ministre !

Les quatre « circulaires Blanquer » sur l’enseignement en Primaire, et son Guide de 130 pages pour la lecture font hurler les partisans de Mme Vallaud-Belkacemet des pédagogies « constructivistes » — fort nombreux dans la sphère des formateurs et dans tous les échelons intermédiaires du « Mammouth », comme disait Allègre, tant les socialistes ont infiltré toute l’administration de l’Education de leurs sbires et obligés. 

 Ce n’est qu’un cri : le ministre s’en prend à la liberté pédagogique ! De quoi rire : parce que le plus beau, c’est que ceux qui hurlent le plus ne toléraient pas il y a six mois que l’on n’obéisse pas, le doigt sur la couture du pantalon, à leurs oukases. Et que l’on n’utilise pas « prédicat » au lieu de « COD ». L’inventeur de cette abomination grammaticale, Sylvie Plane, crie très fort à la « coercition violente exercée contre les enseignants ».

J’ai demandé à Pascal Dupré, membre du GRIP, auteur de manuels pour le Primaire, et qui a tout récemment participé à la mission Torossian-Villani sur l’enseignement des mathématiques, du Primaire au Lycée, de nous donner son sentiment sur les injonctions ministérielles — savoir en particulier quels gages peut donner Jean-Michel Blanquer pour que nous croyions à la réalité de ses bonnes intentions. Dupré est l’un de ces praticiens véritables auquel on peut se fier — lin des « experts » qui n’ont jamais vu un élève de leur vie. Sa vie, c’est l’école. Nous nous battons depuis deux décennies, lui et moi et pas mal d’autres, pour la remettre sur pieds. Et nous savons qu’il y a loin de la coupe aux lèvres.

« Avec ces quatre circulaires pédagogiques publiées à l’orée du printemps comme en primeur à la « réforme » annoncée de l’enseignement pour la rentrée 2018-2019, Jean-Michel Blanquer nous rejouerait-il le coup du Guépard de Visconti à l’envers : « Il faut que rien ne change pour que tout change » ? 

En effet, si ce « retour aux fondamentaux » sent pour certains le marronnier — et d’ironiser sur « le retour du retour » tout en jurant leur grand dieu d’avoir toujours suivi les précieux préceptes dont regorgent les quatre circulaires — d’autres exultent sans oser y croire tout à fait en prévision d’un « retour au bon sens » trop longtemps attendu. Quoi qu’il en soit, on peut porter au crédit de ce ministre, qui jouit dans l’opinion publique d’une certaine réputation de sagesse, d’avoir su aborder sans provoquer de bouffées polémiques quelques-uns des dossiers qui, chaque fois qu’on a tenté par le passé même récent de les ouvrir, de la lecture au calcul élémentaire et à la grammaire, ont généré des batailles rangées entre « globalistes » et partisans de la « syllabique », entre pédagos égalisateurs et républicains élitistes etc.

Dont acte.

Mais bien qu’ayant passé trois mois au sein de la mission Torossian-Villani à écouter les dizaines intervenants tous sincères et compétents qui ont abouti aux 21 propositions pour la renaissance de l’enseignement des mathématiques, je ne puis me départir à la lecture des printanières consignes ministérielles d’un optimisme prudent sinon d’un scepticisme de bon aloi.  Réelle volonté de changement ? Oui, sans aucun doute. Plan com’ soigneusement orchestré ? Oui, absolument — mais pourquoi la communication ne se mettrait-elle pas au service du progrès ? Mais alors, tout va changer ? Pas si sûr. Car dans la colonne Débit du ministre (le plus souvent il est vrai à son corps défendant), des obstacles à la renaissance de l’école ne manquent dans l’institution. Ni certaines ambiguïtés dans la communication ministérielle elle-même.            

Ne craignons pas la métaphore : l’Éducation Nationale demeure la plus grande Zone À Défendre de France, mais, comme dans toute ZAD qui se respecte, on y côtoie de vrais résistants, des utopistes et des casseurs. Le camp du milieu, en général, finit par se dissoudre dans les deux autres. Dans la ZAD de l’Ed-Nat, c’est souvent côté casseurs que finissent les utopistes (sous le regard bienveillant des bureaucrates). « Penseurs de la destruction de l’enseignement élémentaire » écrivait Liliane Lurçat en 2000, « Assassins de l’école » surenchérit Carole Barjon en évoquant ces casseurs d’école. Difficile de croire que les malfaiteurs sont inconnus des services du ministère.

Pourtant, quand le ministre actuel lance l’offensive contre l’illettrisme, il commence par pourfendre… les « idées reçues » qui font malheureusement leur chemin dans le corps enseignant ! Mais sans voir ou en ne disant pas d’où sortent ces idées. Car nous les avons « reçues », ces idées, nous les enseignants du Primaire, souvent comme autant de coups de B.O. sur la tête, à grands renforts d’inspections, de conférences pédagogiques, de discours scientistes et de stages de rééducation.

Idée reçue assenée pendant des années : « Le temps aidant, tous les élèves parviendront bien à entrer dans la lecture ». Bien sûr. Katherine Weinland, doyenne de l'Inspection générale des Lettres ne déclarait-elle pas dans L'Express du 14 mars 2002 : « 13% des élèves sont illettrés en 6e, ce n'est pas grave, ils n'ont pas fini leurs études ».

Et que croire quand la circulaire ministérielle concernant la lecture, qui s’appuie, nous dit-on, sur les nombreux travaux de chercheurs, nous enjoint d’« éviter de confronter l’élève au déchiffrage des graphèmes qui ne lui ont pas été enseignés. »… mais qu’on découvre parmi ces chercheurs un Roland Goigoux (co-auteur de Lire au CP, document d’accompagnement des programmes de 2002, et professeur à l’ESPE de Clermont-Ferrand) qui nous recommandait en 2005 d’entraîner les enfants dans une véritable aventure "à la Champollion" pour déduire de textes connus le fonctionnement du système linguistique écrit ?

Sans parler des ces conseillers pédagogiques qui nous interdisaient sous la menace la lecture à haute voix au CP, ni ces inspectrices de maternelle qui prohibaient l’utilisation de cahiers alors qu’aujourd’hui on nous précise la dimension exacte de la réglure Seyès comme si son usage allait de soi.

Mais ne fustigeons pas à plaisir ces fameux "corps intermédiaires" qui seraient responsables de tout et formeraient un méchant obstacle entre un gentil ministre et de bons enseignants, les unes et les autres au-dessus de tout soupçon. Combien de fois la parole ministérielle fut loin d’être claire et même complètement à côté de la plaque ; et combien de fois nombre d’enseignants ont-ils joué de plus au moins bon gré le jeu du suivisme intéressé ou pas ? « Mais ce que vous nous demandez aujourd’hui, nous l’avons toujours fait ! » proclament plus ou moins innocemment des opposants aux consignes de l’actuel ministre, qu’il s’agisse du déchiffrage syllabique, de la dictée ou du calcul mental. Ils n’ont pas entièrement tort : depuis quarante ans, le sens des mots dans la planète École a été tellement trituré que tout est devenu du n’importe quoi (et réciproquement). Quand, par exemple, le Conseil Supérieur des Programmes a voulu faire passer la pilule de la dictée quotidienne de NVB, Michel Lussault, son président, a donné sa définition en novlangue de la dictée : « Dicter la consigne Tu prends un pot de peinture rouge et tu dessines une maison, ça, c’est une dictée. »  Nul doute que nombre de professeurs des écoles ne l’aient pris au mot.

Et quand Michel Blanquer, sifflant la fin du chahut, prévient, face à quelques à professeurs qui rêvent de désobéissance, que « la liberté pédagogique n’a jamais été l’anarchisme », pourquoi choisit-il ce mot malheureux comme s’il ignorait ce que la grande politique de l’Instruction publique de la IIIe République a dû au géographe anarchiste Élisée Reclus et au matheux anarchiste Charles-Ange Laisant ? Ceux-ci seraient-ils à compter parmi les casseurs de l’Instruction Publique ? Haby et Jospin en seraient-ils les restaurateurs ? Plus sérieusement, pour évoquer le sujet sérieux qu’est la liberté pédagogique mieux aurait valu s’inspirer de Gabriel Compayré selon qui seuls des programmes précis et rigoureux permettent de garantir l’exercice de la liberté pédagogique et de l’encadrer : « Pourvu que [le maître] arrive à son but dans le délai voulu, il est libre de ses mouvements ».

Le coup de sifflet marquant la fin de la récré ne peut être que le signal d’une exigeante réécriture des programmes, pas simplement une injonction réglementaire sur les réglures Seyès. Mais quand le ministre est interrogé sur une éventuelle modification des programmes, il entretient subtilement le doute : « Non, je souhaite simplement qu’ils évoluent. »

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