Le Congrès de la responsabilité catéchétique Ecclésia 2007 des 26-28 octobre a nourri une grande espérance. Il a révélé aussi l'important chemin qu'il reste à parcourir à l'Église de France pour retrouver une dynamique missionnaire pertinente et efficace.

Voici le témoignage et le décryptage de l'événement par nos correspondants.

À LOURDES, nous nous sommes réjouis avec beaucoup de cet évènement unique depuis quarante ans – Ecclesia 2007 – qui a témoigné d'une mobilisation massive et exceptionnelle : près de 7000 acteurs de la catéchèse et de la pastorale en France, conscients que l'annonce de la Parole de Dieu devait maintenant sortir des salles de caté ; réjouissance également de constater que ce congrès était vécu dans un climat de prière, d'écoute et de méditation de la Parole de Dieu, grâce notamment à Enzo Bianchi. Ecclesia a montré que le climat a changé en quelques années : jamais un tel rassemblement dans sa thématique et sa forme n'aurait été possible il y a même dix ans ; il faut ici s'en réjouir. Se réjouir aussi d'un texte national de nos évêques sur la catéchèse (2002) qui porte en lui l'émergence d'un nouveau souffle missionnaire, et marque une étape salutaire.

Dialectique psychologisante

Cependant, tous ces aspects positifs qui ont été relevés par la quasi-totalité des participants ne peuvent occulter les graves lacunes qui se sont glissées dans les enseignements de plusieurs intervenants. Comment a-t-on pu donner une audience à de tels errements ? Seuls des observateurs avertis — prêtres, religieux, journalistes ou laïcs (et même évêques) — imprégnés depuis vingt-cinq ans par l'enseignement et la spiritualité missionnaires de Jean-Paul II, ont relevé le malaise, et noté le décalage avec les multiples expressions de la Nouvelle Evangélisation , l'expérience des nouveaux mouvements ou les réalisations des parcours missionnaires paroissiaux (Cours Alpha, Cellules paroissiales, Kekako...). Comment ne pas en effet être profondément attristé par la domination toujours quasi-exclusive en France d'une intelligentsia ecclésiale aussi orientée : celle-ci développe une rhétorique conceptuelle bien compliquée, une dialectique psychologisante, et au final fort déplacée (voire en opposition sur certains aspects) par rapport aux enjeux et à l'enseignement missionnaire des derniers papes.

Rien de contraire à l'Evangile [1] dans les interventions entendues lors du congrès, certes, mais l'hypertrophie et le quasi-monopole de l'approche pédagogiste illustre le back-office théologique qui sous-tend la conception pastorale encore biaisée d'une partie de l'appareil ecclésial français : avec cette hantise collective idéologique et quasi-répulsive de certains chrétiens à se présenter comme héritiers de "la" vérité révélée (synonyme de prosélytisme ou d'intolérance), avec ces vestiges traumatisants et caricaturaux d'une Église triomphante qui n'est plus depuis si longtemps, persiste ainsi une crainte viscérale d'apparaître en décalage avec le monde que l'Église a soi-disant abusé dans le passé et dont il faut tout faire pour ne pas se couper.

Nous connaissons trop bien l'argument suprême de cette orientation, présentant toujours comme viatique universel l'esprit du Concile , expression qui résume si bien cette orientation biaisée de Vatican II contre laquelle Jean-Paul II et Benoît XVI se sont élevés avec tant de vigueur : le monde n'est pas source de Révélation et de sainteté en tant que tel — vous êtes dans le monde et non du monde nous dit le Christ — ; ce monde est le champ missionnaire de l'Église et de chaque baptisé, où l'Esprit nous précède et nous envoie pour annoncer humblement mais sans état d'âme la Bonne Nouvelle du Sauveur qui nous fait vivre.

À écouter la ligne directrice de l'enseignement d'Ecclésia, le rôle du catéchiste n'est plus vraiment de témoigner et de proposer le Christ comme le chemin, la vérité et la vie, mais plutôt comme mon chemin, ou une vérité à découvrir au travers de la rencontre et du cheminement commun, à l'écoute de son ressenti et d'un Dieu dont on ne sait plus vraiment qui il est. Des preuves ? Le rôle central du kérygme, l'objectif de la conversion au Christ, le don et l'expérience du Salut, l'accueil transformant et vivifiant de l'Esprit-Saint, l'expérience réelle d'une vie nouvelle que donne le Christ, le caractère incontournable de l'annonce explicite du Salut dans l'évangélisation (ancienne ou nouvelle ), le rôle central de l'Église dans l'annonce et l'avènement du Salut pour tous les hommes... ont été de fait absents des discours qui nous ont été proposés dans les principaux enseignements.

Au final, on se permettra d'ironiser, non pour se moquer, mais pour illustrer encore une fois tout le paradoxe dans lequel on se situe : à écouter certains intervenants d'Ecclesia, les apôtres étaient vraiment complètement dans l'erreur à la Pentecôte, ils auraient dû se taire en sortant du Cénacle et commencer par écouter comment Dieu parlait à tous ces juifs et étrangers rassemblés à Jérusalem. Ils auraient alors découvert par un dialogue discret et individualisé la Vérité de Dieu qui habite le cœur de chacun... Oui, depuis près de 2000 ans, l'Église et ses innombrables apôtres qui ont donné toute leur vie et annoncé le Christ à temps et à contretemps (jusqu'au martyr), se sont finalement égarés : quelle prétention de détenir et d'annoncer "la" Vérité ! quelle intolérance ! quel manque d'écoute de la vérité de Dieu que chaque homme porte en lui...

Changer de braquet pastoral

Pourtant, la soif d'entendre une parole résolument nouvelle et explicitement missionnaire qui porte du fruit apostolique était bel et bien présente à Lourdes. Ce qui ressortait des échanges en petits groupes et de certains forums, c'était cette soif d'une parole qui réoriente la manière d'opérer afin de faire davantage fructifier les efforts de chacun. Ceux qui catéchisent laborieusement dans une fidélité admirable font le constat de ces nombreuses difficultés qui conduisent à tant d'échecs apostoliques. En effet, informer sur les grandes données du christianisme, présenter ce qu'est la foi, transmettre des valeurs évangéliques, dérouler le programme des préparations aux sacrements... ne suffisent plus aujourd'hui si l'on n'apprend pas d'abord à transmettre le Christ, donc être capable de témoigner de Celui qui nous habite. Il est donc nécessaire de changer de braquet pastoral : par compassion pour tous ceux qui nous entourent et qui souffrent tant de ne pas avoir rencontré le Sauveur, nous devons désormais aller droit au but, et il y a urgence.

La relecture commune de l'expérience centrale de la Pentecôte, voilà ce qui devait être l'enjeu central d'Ecclesia pour ambitionner un renouvellement de l'annonce de l'Évangile en France. Ce ne fut malheureusement pas le cas. Ecclesia a perdu trop de temps à ratiociner sur l'état de ce monde , quand toutes les personnes de terrain présentes en savent suffisamment à son sujet pour s'y frotter chaque jour depuis des années. Peu nous importe les dissertations éculées sur notre société déboussolée et désormais hors du champ chrétien : c'est notre pain quotidien .

Les personnes présentes à Ecclésia étaient donc selon nous en droit d'attendre autre chose afin de découvrir justement ce qui leur manque pour porter davantage de fruit dans leur apostolat : en effet, comme le reconnaissait lui-même Mgr Dufour [2] qui présidait ce congrès, la première annonce est primordiale, mais ce n'est pas dans notre culture, on se sait pas faire !

Alors pourquoi tant de circonvolutions périphériques quand on n'aborde pas les questions essentielles ? Il eut été bien plus opportun de faire intervenir des témoins crédibles de l'expérience d'évangélisation et d'annonce fructueuse de l'Évangile pour traiter de manière pertinente des questions centrales : comment présenter le kérygme dans le monde d'aujourd'hui pour rejoindre la soif spirituelle de nos contemporains ? Comment témoigner de la vie nouvelle que donne le Christ de manière crédible pour toucher les cœurs, même parmi les plus endurcis ? Quels sont les exemples fructueux d'approches missionnaires explicites qui conduisent sur un chemin authentique de conversion ? Lorsque les cœurs sont vraiment touchés par la Parole, l'amour et la rencontre du Christ, grâce à l'exhortation et au témoignage explicite, il est alors tellement plus facile d'inviter à une catéchèse didactique. Tant en ont fait l'expérience de manières si diverses : pourquoi ne les a-t-on pas sollicités ?

L'enjeu majeur de la démarche catéchétique est donc de réapprendre aux chrétiens à témoigner de manière attirante et persuasive de l'expérience d'une vie nouvelle en Christ, ce qui conditionne la suite de tout processus d'engendrement à une vraie vie chrétienne.

Le problème de la foi

Ce que révèle Ecclésia 2007 est finalement très clair, certains évêques, vicaires généraux, prêtres ou laïcs, journalistes, l'ont reconnu : le problème posé n'est pas celui de la catéchèse, il est avant tout celui de la foi de ceux qui prétendent annoncer l'Évangile.

À chacun, le Christ repose la question centrale qu'il adressa à Pierre : Pour toi, qui suis-je ? C'est la question de notre foi et de notre propre expérience existentielle du Salut. Comme catholique, quelle est ma foi en vérité ? Quelle est mon expérience de la rencontre du Christ Sauveur ? Quelle place ai-je donné à l'Esprit-Saint, agent principal de l'évangélisation (Jean-Paul II) ? De qui et de quoi vais-je témoigner : de la rencontre du seul Sauveur (St Paul) ? Ou d'un groupe paroissial chaleureux et fraternel, d'un système de pensée avec ses rites religieux et ses dogmes, de valeurs humanistes faites de générosité, d'écoute, d'accueil...? Tout cela est bien et nécessaire, mais pour être crédible au plan apostolique, le Christ nous invite à davantage.

À la nouvelle équipe épiscopale en charge de piloter l'Église en France de prendre la mesure de ce débat de fond et des nombreux enjeux et défis qui en découlent pour son orientation pastorale, avec l'aide de l'Esprit-Saint.

[1] La discrétion, l'humilité, l'écoute... font bien entendu partie du cœur du comportement évangélique et même missionnaire... mais ne prennent tout leur sens que dans la vie dans l'Esprit, l'amour de la Parole, et d'autres vertus comme le courage, le zèle, l'enthousiasme, la force de conviction... portées et comme liées par l'amour et la charité.

[2] Évêque de Limoges, président de la Commission épiscopale pour la catéchèse et le catéchuménat.

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