Ils étaient trois, un Touareg, un Burkinabais et un Français. Le Touareg m'avait fait l'hommage de son livre, Il n'y a pas d'embouteillages dans le désert (Presses de la renaissance) et je lui rendais la pareille avec Mots de passe (Carrick). Ma dédicace disait : Ce qui embellit le désert, c'est qu'il cache un puits quelque part. Aussitôt l'homme des sables sourit en disant : Le Petit Prince ! et le Burkinabais enchaîne : ... de Saint-Exupéry. Alors, à ma stupéfaction, le Français demande : C'est qui ? (sic).

Les trois garçons étaient en master 1 ou 2, c'est-à-dire également bacheliers depuis trois ou quatre ans ; également bacheliers, mais inégalement cultivés, la prime allant à l'Afrique ! L'anecdote est significative comme l'est la situation de tel élève de première que je connais qui, pour préparer son bac de français, ne s'est vu proposer aucun exercice de dissertation dans l'année !
Mais on pourrait multiplier les exemples montrant que l'apprentissage de la langue et de la littérature françaises a été littéralement désossé dans notre enseignement secondaire. Madame de Romilly accuse l'abandon du grec et du latin, elle a sans doute raison car beaucoup de professeurs eux-mêmes n'ont pas su pallier cette carence. Mais, direz-vous, à quoi bon gémir sans construire ? Les bacheliers sont là et il faut faire avec eux. Les plus brillants s'en tireront toujours. Pensons plutôt à la masse des moyens . Il n'est pas possible de les laisser pour compte et de les condamner à l'échec. Ne faudrait-il pas, au contraire, chercher à bâtir pour eux un schéma d'études supérieures qui remédie à leurs insuffisances et les introduise progressivement dans le travail universitaire ?
Qu'on ne dise pas que c'est impossible. D'une part les programmes de licence 1 et 2 ne sont pas si chargés qu'on n'y puisse rien ajouter ; d'autre part l'autonomie des universités donne assez de souplesse pour trouver les accommodements utiles.
Discipline
Que l'on commence donc par un inventaire succinct des carences. Elles concernent aussi bien les contenus que les méthodes. S'agissant de ces dernières, on peut parler d'un déficit d'apprentissage, c'est-à-dire d'application personnelle des informations collectées. À des bacheliers abasourdis par 30 à 35 heures de cours hebdomadaires, il faut faire comprendre que le travail universitaire commence quand les cours sont finis. C'est ce travail qui porte du fruit et garantit l'assimilation.
Il s'impose donc pour la mise au clair des notes prises dans la journée et pour la réalisation des travaux personnels exigés dans un délai très court. Il s'agit donc d'une rupture des habitudes. L'objectif exige en effet une vie régulière assurant deux ou trois heures de travail personnel chaque jour et des semaines qui ne se terminent pas le vendredi à 17 heures. Il faut bien comprendre que c'est le prix à payer pour combler un déficit et préparer des bases solides pour l'avenir.
Mais il ne faut pas se leurrer. Un tel effort a besoin d'être soutenu et encadré, un rôle qui devrait échoir à des directeurs d'études. Leur tâche serait double. D'une part, en accord avec les enseignants, ils fixeraient le travail personnel quotidien des étudiants [1] dans le but d'ancrer les habitudes indispensables à la vie intellectuelle ; d'autre part ils assureraient l'organisation de la correction et de l'appréciation de ces travaux de façon à situer concrètement l'effort de chacun. On ne voit pas qu'on puisse se passer de notes ne serait-ce que pour aider l'étudiant à s'apprécier lui-même sans illusion. En effet le style de travail qui doit ainsi lui être imposé est tout nouveau pour lui : il ne s'agit plus seulement de recueillir l'information mais de la mettre en pratique avant d'apprendre peu à peu à la rechercher lui-même.
Une telle discipline peut-elle être proposée aujourd'hui ? On peut en douter. Pourtant certaines classes préparatoires n'hésitent pas. Elles ont compris qu'un tel cadre est seul capable d'assurer le succès de bacheliers qui, sans lui, seraient exposés à l'échec. Il s'agit donc d'une formule qui se démarque des facultés traditionnelles, par sa méthode, comme on vient de le voir, mais aussi par son programme.
Savoir s'exprimer
Celui-ci, sans négliger les unités de valeur normalement exigées, privilégiera deux secteurs négligés dans le secondaire mais indispensables dans l'enseignement supérieur : l'expression et la culture générale.

Parler et écrire au siècle de la communication, quel que soit le perfectionnement des moyens, restent la base de toute activité et demandent évidemment la maîtrise du langage. Or cette maîtrise est souvent une illusion. Comme les autres, la langue française est victime de l'érosion de ses structures et de son vocabulaire : ignorance et donc simplification de la grammaire par défaut d'analyse grammaticale et logique, pauvreté du vocabulaire pollué par ailleurs par contagion, du fait de l'ignorance des racines. Sans parler du massacre de l'orthographe, comment ne pas déplorer la négligence des richesses d'une langue qui sait si bien jouer des valeurs intellectuelles, sensibles ou pittoresques des mots ? Mais aussi, comment apprendre à s'en servir sans s'y exercer souvent et longuement ?

L'histoire littéraire donne des modèles qu'il ne devrait pas être permis d'ignorer. On apprendra à les situer dans une histoire dont on aura soin de reconstruire la chronologie et de connaître l'enracinement. Si certaines œuvres sont l'expression d'un milieu à un moment donné, d'autres parlent de la terre où elles sont nées, une terre qui aide à les comprendre.
Tout cela aurait dû être acquis au lycée sinon au collège. Il faut donc combler les lacunes. Mais pour autant, des bacheliers conscients et résolus sont tout à fait en mesure d'y parvenir, avec la complicité et le soutien d'équipes, qui prennent la mesure de l'enjeu. C'est l'avenir des étudiants qui se joue dans un monde qui, ne sachant pas ce qu'il devient, ne peut avoir d'assurance que dans ses racines.

 

*L'abbé Hyacinthe-Marie Houard est fondateur de l'Ircom (Angers).

 

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