Le système de protection sociale des pays de l'Union européenne, orgueil de l'Europe à la face de l'Amérique et du reste du monde, est sur le point de s'effondrer. La cause immédiate en est la hausse des coûts, mais la cause de fond en est la perte du sens de la vie, du travail et de l'avenir qui est en train de transformer les Européens en une population de vieux, nécessiteux d'assistance, tandis que les quelques jeunes qui restent manquent de la volonté d'apprendre et de travailler.

Tel est l'alarmant portrait qui émerge du rapport 2003 du Cefass intitulé : Le Welfare en Europe, de Maite Barea et de Giancarlo Cesana.

Les comptes catastrophiques du welfare

Le Cefass est le Centre européen de formation pour les affaires sociales et la santé publique, avec siège à Milan, antenne de l'I.E.A.P., l'Institut européen d'administration publique, créé à Maëstricht en 1981 et financé par la Commission européenne pour rendre service aux États-membres. Giancarlo Cesana, professeur ordinaire de médecine du travail à l'université d'État de Milan, a été son directeur jusqu'au 31 décembre dernier. Maite Barea, économiste, est professeur ordinaire d'économie appliquée à l'université autonome de Madrid et chercheur au Cefass. Les 90 pages du rapport sont sèches mais impressionnantes dans l'analyse : " Désormais pèsent sur le système de protection sociale européen des risques importants qui ne laissent pas prévoir des solutions faciles : la chute démographique (...) ; le vieillissement de la population, qui va provoquer l'effondrement des systèmes de retraite et, en même temps que l'évolution technologique, aggraver sensiblement les coûts de santé ; l'affirmation, au cours des deux derniers siècles, d'une mentalité par laquelle les citoyens attendent toujours plus de l'État, y compris pour des questions " personnelles " touchant le travail, la famille et le temps libre. " L'unique voie possible de sortie indiquée est " un système de welfare mix, avec un financement public et une production publique/privée en concurrence pour la formation de services de protection sociale ". On pourrait alors espérer atteindre un triple objectif :

" a/ le soutien su système de protection sociale et la contention des dépenses publiques ;

b/ une plus grande qualité des prestations et une plus grande liberté de choix de la part des bénéficiaires ;

c/ le mûrissement de la liberté et de la responsabilité des citoyens européens qui pourront décider eux-mêmes des modalités de réponse aux besoins plus caractéristiques de la nature humaine ".

Que l'État-providence européen soit sur le point de devenir " insupportable ", les organes centraux mêmes de l'U.E. et de l'O.C.D.E, l'organisme qui réunit tous les pays les plus industrialisés du monde, l'annoncent depuis des années. Le rapport du Cefass analyse chiffres et faits qui confirment le cri d'alarme. Si par protection sociale on entend les dépenses publiques destinées à l'assistance sanitaire, aux retraites, au chômage, à l'éducation, à la famille et aux enfants, au logement, à l'exclusion sociale, on doit constater que de telles dépenses représentent en moyenne 30% du P.I.B. des pays de l'U.E. et les 2/3 des dépenses totales des administrations publiques. Dans quelques pays (Autriche, France, Pays-Bas et pays scandinaves), elles avoisinent 40% du P.IB. ; en Allemagne, elles ont doublé au cours des 10 dernières années, après l'absorption de l'ex-Allemagne de l'Est et représentent désormais 70% des dépenses publiques. Mais la tendance à l'augmentation est généralisée à cause de trois facteurs liés les uns aux autres : le vieillissement de la population, l'augmentation du nombre de pensionnés en tout genre (et pas seulement des retraités), l'augmentation des dépenses sanitaires.

Des trois facteurs, le plus important est, comme on peut l'imaginer, le vieillissement. Toutes les études sur la question mettent en relief, entre autres choses, que les personnes âgées consomment plus de services de santé que le reste de la population : toute personne de plus de 60 ans consomme autant que 4 ou 5 personnes plus jeunes. Cela oblige les pays de l'U.E. à augmenter les dépenses de santé bien que la population reste stationnaire ou bien régresse en effectif parce qu'en réalité c'est comme si elle augmentait d'année et année à cause de la vie toujours plus longue des habitants de l'Europe ; d'autre part, l'augmentation des allocations ne réussit pas à suivre l'augmentation de la demande et par conséquent les ressources allouées à chaque habitant diminuent en réalité, si bien que chacun de nous doit maintenant payer pour obtenir ce qu'hier encore il recevait gratuitement ou presque.

Dieu, que nous sommes vieux !

Le vieillissement dépend du fait que les taux de fertilité actuels ne garantissent pas le remplacement des générations qui a besoin, lui, de 2,1 enfants par femme d'âge fécond. En 2000, au contraire, la fertilité oscillait entre 1,2 enfant/femme en Italie et en Espagne à 1,8-1,9 au Danemark et en Irlande. À cela s'ajoute l'augmentation de l'espérance de vie à la naissance qui, dans les 30 dernières années, a crû de 5,5 années pour les femmes (81,5 ans d'espérance de vie) et de 5 pour les hommes (74,7 ans). Cela signifie que dans le cours des 50 prochaines années le nombre des plus de 80 ans triplera quasiment en Europe, passant de 14 millions actuellement à 38. En Italie et en Espagne, en 2050, 40% de la population aura plus de 60 ans (aujourd'hui : 22-24%) et atteindra un record mondial. Le Comité de politique économique de la Commission européenne a estimé en 2001 que le simple effet du vieillissement conduira à une augmentation annuelle des dépenses publiques de santé comprise entre 0,7% et 2,3% selon les pays entre 2000 et 2050. Cela signifie un surcroît de dépenses de santé de 25-30% en 2050 par rapport à aujourd'hui. Mais en réalité les personnes entre 0 et 64 ans auront moins d'assistance tandis que les dépenses pour les plus de 80 ans exploseront. En Italie, en Allemagne et en Autriche, elles tripleront par rapport au niveau actuel.

Le second problème du vieillissement de la population est son impact sur les régimes de retraite qui, dans toute l'Europe, sont essentiellement du type " par répartition ", c'est-à-dire que les contributions des travailleurs actuels paient les pensions des travailleurs qui ne sont plus en activité. Le " taux de couverture " se détériore : en 2000, en Italie, en Espagne, en Allemagne et en France, il y avait environ trois personnes de plus de 65 ans pour dix personnes en âge de travailler ; en 2050, en France et en Allemagne, il y en aura plus de cinq, en Italie et en Espagne presque sept. L'incidence de la dépense pour les retraites sur le P.I.B. et sur le total de la dépense publique est donc destinée à augmenter, le risque que les contributeurs d'aujourd'hui ne bénéficient pas, une fois atteint l'âge de la retraite, de traitements analogues à ceux d'aujourd'hui est toujours plus fort et la diminution de l'engagement public dans les autres domaines de la protection sociale est pratiquement sûre. La dépense en faveur des retraites équivaut aujourd'hui en moyenne à 10% du P.I.B. de l'U.E. (5% en Irlande et au Royaume-Uni, 14% en Autriche et en Italie) ; en 2050, il équivaudra à 14% (dépassant 15% en Allemagne, Espagne, France, Grèce, Autriche et Finlande si des mesures ne sont pas prises).

" Les effets du vieillissement de la population – lit-on dans ce rapport – se feront sentir sur les autres prestations sociales, comme l'éducation et la famille, dans le sens d'une réduction de celles-ci... en moyenne à 1% du P.I.B.. L'augmentation des dépenses due exclusivement au vieillissement de la population se situera malgré cela entre 4 et 8% du P.I.B., arrivant à représenter jusqu'à 15-16 points de croissance annuels sur les dépenses publiques. Ce qui sera certainement insupportable. " Les réformes des retraites de la décennie passée ont conjuré le pire et cependant l'Italie consacre bien 43% de la dépense publique allouée à la protection sociale à la branche vieillesse, c'est-à-dire aux retraites : la famille et le chômage en reçoivent respectivement 2%, le logement et l'exclusion sociale pratiquement rien.

La plaie des faux chômeurs

À tout cela s'ajoute la charge pour les comptes publics représentée par l'abus des allocations chômage. " Souvent – poursuit le rapport – la durée des prestations de ces régimes dépasse notablement la durée de la période de contribution... au point de constituer une incitation à rester chômeur... Dans les pays du Nord, depuis longtemps, les personnes qui sont à la fin de leurs droits d'indemnité chômage, en participant à des programmes actifs de réinsertion au travail se voient rouvrir une nouvelle période de jouissance de tels droits. " Au Danemark, il suffit de six mois – une année de cotisation – pour recevoir des allocations pour quatre ans ; en Suède, il suffit de six mois pour obtenir 300 jours d'indemnités. En Belgique, 78 semaines de cotisation donnent droit à des prestations de durée illimitée. En Suède, selon une étude de l'O.C.D.E. de 1999, le revenu moyen d'un chômeur pouvait être estimé à 85% environ du revenu d'un travailleur à temps plein. Aux Pays-Bas, jusqu'à peu, une année de prise en charge par l'assurance-maladie et une invalidité de 15% donnent droit à une pension d'invalidité complète jusqu'à 65 ans, après quoi vient la pension vieillesse. Résultat : jusqu'au milieu des années 90, une personne sur sept aux Pays-Bas ne travaillait plus pour cause d'invalidité.

Que faire pour sauver la maison ? La voie serait de séparer la fonction de régulation de la fonction de production des biens de protection sociale : les pouvoirs publics devraient maintenir le monopole sur le premier aspect, c'est-à-dire sur la définition des niveaux d'assistance et sur les règles du service, tandis que la production des services devrait être confiée à des organismes publics autonomes et à des entités privées. " Les pouvoirs publics devraient s'en tenir à vérifier que les agents de production satisfont les conditions d'intégration sociale, de qualité et d'égalité dans l'accès... les réformes des dernières années (dans les pays de l'U.E.) tendent à introduire un système de marché concurrentiel à l'intérieur des agences publiques elles-mêmes et/ou cherchent à créer des marchés mixtes concurrentiels publics/privés ou d'autres systèmes de partenariat, conservant en tout cas le financement public. "

L'Europe des Cofferati (le président de la CGIL, l'équivalent italien de la CGT - Ndt) et de la gauche non réformiste permettra-t-elle d'évoluer dans cette direction ? Tout laisse penser que non, vu l'afflux de referendum contre la modification de l'article 18, les " bons scolaires " régionaux, etc., c'est-à-dire contre toute hypothèse sérieuse de réforme supportable du welfare qui caractérise cette gauche. Et il ne faut pas s'en étonner : l'ancien welfare étatique a fait tant de bien, mais il avait et a toujours un défaut qui pour tous les Cofferati est en revanche un grand avantage : par lui, le citoyen s'en remet complètement à l'État (et à ses ramifications, comme les syndicats), qui devient l'organe de contrôle de la société, tant des individus qui la composent que des institutions dans lesquelles ceux-ci s'associent. Ils ne veulent pas renoncer à ce monopole, quitte à couler avec le bateau.

© Tempi, traduction Eric Iborra pour Décryptage.

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