Crise à l'école : "On ne forme plus à penser, alors les élèves se contentent de croire"

Source [Marianne] Dans "La désinstruction nationale", René Chiche, professeur de philosophie, dresse un sombre tableau de l'état de l'école. En cause : l'empilement des réformes ou la dégradation des Humanités.

C'est le cri d'un révolté. Professeur de philosophie en lycée et membre du Conseil supérieur de l'éducation (CSE), René Chiche publie un ouvrage où son attachement à l'institution scolaire se mêle à une rage sourde face à son état de ruine. Dans "La désinstruction nationale" (éditions Ovadia), cet homme engagé déplore que le niveau de ses élèves soit désormais proche du néant. La faute à l'empilement des réformes, aux pressions de la hiérarchie, à la dégradation des programmes ou encore à la fragilisation des Humanités, entre autres. Entretien.

Marianne : Votre ouvrage a tout d’un cri du cœur. Face à la démission de l’école, aux réformes, à la hiérarchie… Et aux conséquences supportées par vos élèves que vous aimez malgré les très fortes carences que présentent leurs copies. Pourquoi avoir voulu écrire ce livre ?
René Chiche : Ce qui a déclenché mon envie d'écrire, c'est tout d'abord le niveau inacceptable atteint par mes élèves. En classe, j'ai face à moi des élèves qui sont le produit de l'école : ils ont passé 15 ans en salle de classe et se retrouvent pourtant dans un état dramatique de quasi-illettrisme. Et cela, je ne peux plus le supporter. L'autre raison profonde, c'est que beaucoup de choses ont été écrites sur l'école, mais de manière souvent trop dogmatique. Avec un seul but : descendre des ennemis politiques ou décrédibiliser des positions opposées. Ce que j'ai voulu faire, au contraire, c'est écrire un livre pour le grand public, pour la société toute entière, en proposant une place de choix au sujet lui-même : l'école. Parce que nous sommes tous responsables de son état actuel. Surtout, derrière ce sujet, il y a la question de la République. Parce que c'est à l'école que tout commence, c'est la mère de toutes les batailles. Qu'elle n'instruise plus ne peut amener que de graves déconvenues pour toute notre société.
Les copies de philosophie que vous corrigez sont en majorité, dites-vous, d’une "extrême-pauvreté". À tel point que vous parlez du français comme d’une "langue étrangère" pour certains. À qui la faute ?
Il y a des causes qui sont très connues, comme par exemple la diminution du nombre d'heures de français et de philosophie, les modifications successives dans les programmes... Mais il y a quelque chose de plus fondamental derrière cette situation : le triomphe des Sciences humaines sur les Humanités. L'usage de langue, c'est l'instrument de la connaissance et de la pensée. Or, cet instrument ne peut s'acquérir comme tel que par la lecture de classiques, de grands auteurs. Pendant les années 70, l'université a commencé un processus de destruction de cet héritage pour promouvoir l'étude d'auteurs comme le psychanalyste Jacques Lacan, par exemple. Résultat : les professeurs, une fois en classe, ont ensuite développé une capacité à déployer un discours complètement artificiel sur des auteurs classiques qu'ils n'ont jamais lu. N'ayant que peu intégré cette culture classique, ils n'ont d'autre choix, devant les élèves, que de proposer autre chose. Ce sont les conséquences de ce mouvement que mon témoignage veut illustrer.

Retrouvez l'intégralité de l'article en cliquant ici