Pierre Deschamps, ancien dirigeant d'Unilog, président des Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens de 2006 à 2010, a lancé au printemps 2011 un fonds de dotation, baptisé CapitalDon, destiné à promouvoir la force vertueuse de la gratuité et du don dans les pratiques économiques. Retour sur une initiative pleine d'une espérance prophétique.

En quelques années, le nom de Pierre Deschamps a acquis une notoriété qui a dépassé les limites de l'entreprise dont il fut l'un des associés, la société de conseil et d'ingénierie informatique Unilog. Membre de son Directoire de 1991 à 2003, ce Centralien en est devenu Président du Conseil de surveillance de 2004 jusqu'en 2008, période au cours de laquelle il a accompagné son rachat sous forme d'OPA amicale par la société britannique Logica, en 2006. C'est au cours de la même période qu'il a été élu président des Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens (EDC), responsabilité qu'il a occupée de 2006 à 2010.

Désormais âgé de 67 ans, ce père de trois enfants et grand-père de six petits-enfants n'est pas pour autant retiré des affaires : au contraire, il est l'une des voix qui comptent en France pour juger l'activité économique contemporaine avec le double regard de la compétence entrepreneuriale et de l'exigence chrétienne. Il a ainsi été l'initiateur et le principal témoin du livre d'entretiens de Michel Cool, Pour un capitalisme au service de l'homme - Paroles de patrons chrétiens (Albin Michel) paru en 2009. Régulièrement consulté dans le débat économique, il est par ailleurs membre fondateur de la Fondation des Bernardins, président de l'association Chemins d'Humanité, vice-président de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris, et administrateur de plusieurs PME. Mais l'homme ne se contente pas de donner son avis. Il paie aussi de sa personne.

CapitalDon, un capital au service du don

Ainsi en 2011, Pierre Deschamps et sa famille ont-ils consacré une partie de leur argent personnel dans la création d'un fonds de dotation d'un nouveau genre, baptisé CapitalDon. Selon ses propres termes, CapitalDon se définit comme un  fonds de dotation pour la recherche, la promotion et la mise en œuvre de nouvelles pratiques de gouvernance et d'investissement, à la lumière de la pensée sociale chrétienne.  Le point central de l'initiative prend sa source dans l'appel du pape Benoît XVI  mettre en œuvre le principe de gratuité et la logique de don dans l'économie normale , exprimé dans son encyclique Caritas in Veritate de juillet 2009.

Faut-il en conclure que le don est aujourd'hui absolument absent de l'économie ? En vérité, non, il y est même bien présent, puisqu'il constitue le modèle économique de nombreuses institutions, mais qui  se positionnent en aval du circuit économique et social , afin de  corriger les conséquences du système . Il s'agit par exemple d'œuvres de solidarité et de charité, qui compensent les insuffisances du marché à satisfaire notamment les besoins les plus fondamentaux d'une frange de la population.

Le fonds CapitalDon se propose une autre mission : celle de se situer  en amont de ce circuit , afin de contribuer à l'émergence de nouvelles pratiques, et faisant cette fois-ci appel au don  pour faire évoluer le système . Le don n'est plus un correctif qui supplée à des carences, mais devient l'une des règles, sinon l'un des moteurs de l'activité de production, de gouvernance et d'investissement économiques.

Concrètement, CapitalDon se donne pour mission de  soutenir des programmes de recherche académique  correspondant à sa vision, puis  de mener des actions de diffusion des résultats de ces recherches . Un processus qui se décline en trois étapes :  innover, sensibiliser, promouvoir . Les  textes officiels du magistère , et de façon plus large,  les textes des penseurs chrétiens , constituent en effet autant de  pistes ouvertes  qui méritent d'être approfondies, avant d'être diffusées auprès du grand public, qu'il s'agisse des étudiants, des jeunes professionnels, des investisseurs et des entrepreneurs.

Donner, une contrainte de plus ?

Réfléchir à la place du don dans la pratique économique, et en déduire de nouvelles logiques d'activité à expérimenter, s'ajoutera-t-il aux contraintes actuelles du travail ? A l'inverse, le projet devrait intéresser le plus grand nombre : l'initiative est en effet à comprendre comme une réponse possible aux priorités court-termistes, à l'hyper-financiarisation et à la rapacité contemporaines, auxquelles la plupart des professionnels sont soumis malgré eux.

Pour le comprendre, il faut approfondir ici une analyse chère à Pierre Deschamps, qu'il avait déjà exposée en 2008 dans un article de la revue des EDC, et qu'il a développée de nouveau devant l'Académie d'éducation et d'études sociales : l'entreprise a, selon lui, deux finalités, l'une  financière  ( Profit ), l'autre  sociétale  ( People and Planet ), qu'il appelle aussi  humaine . La première  ne concerne qu'une infime minorité de personnes, qui peuvent être tentées d'utiliser les autres pour servir leurs intérêts . La seconde concerne tout le monde. Mais le problème est que, dans l'immense majorité des cas, sous la pression de l'intérêt des actionnaires,  les chefs d'entreprise, y compris les partisans de la RSE (responsabilité sociale des entreprises) et des ‘chartes éthiques', continuent à placer invariablement ‘la finalité financière' au premier rang .

Pierre Deschamps, lui, plaide depuis plusieurs années pour inverser cette hiérarchie, et pour que la finalité humaine passe avant la finalité financière : la finalité de chaque entreprise résiderait dans son projet sociétal, le profit constituant un levier au service de ce projet, un facteur de viabilité et de pérennité, et une source de progrès futurs. Il ne s'agit pas de renoncer au profit, qui demeure indispensable au développement des entreprises. Il s'agit de le positionner à sa juste place, qui est celle d'une condition et non d'un objectif. Le capitalisme pourra alors être au service des hommes, et non pas les hommes à son service.

Reste à définir le chemin vers cette révolution copernicienne. Or, juge Pierre Deschamps, si  l'arsenal des lois et des contrôles  peut y être utile, notamment dans le modèle français de  l'économie sociale de marché ,  il reste toujours une marge de liberté  aux décideurs : davantage de justice dans l'entreprise et dans l'économie passe donc par un travail qui  interpelle la conscience individuelle, spécialement de la part des dirigeants . Une fois encore, c'est sur un petit nombre que repose la révision des priorités entre les finalités de l'entreprise. A moins qu'une culture nouvelle voie le jour. Ou bien encore qu'une priorité donnée à la finalité humaine de l'entreprise se révèle in fine un choix économique pertinent...

Ne plus opposer les finalités

Or il se trouve que cette démarche, qui vise à  positionner le profit à sa juste place , en définissant  à quoi ou à qui il est destiné , n'est justement pas une hérésie économique. Milton Friedman, rappelle Pierre Deschamps, avait lancé en 1970  sa fameuse formule , selon laquelle  la responsabilité sociale de l'entreprise est d'accroître ses profits . En ce début de XXIème siècle, la nouvelle approche de la finalité humaine de l'entreprise, avance Pierre Deschamps, a récemment été  promue par le plus célèbre penseur de la stratégie d'entreprise, Michael Porter, inventeur de la fameuse matrice qui porte son nom .

Porter, en effet,  vient de publier un article dans la revue d'Harvard intitulé The Big Idea : Creating Shared Value [en février 2011, NDLR] dans lequel il propose de développer un modèle de "création de valeur partagée", qui consiste à créer de la valeur économique tout en créant de la valeur pour la société dans son ensemble. Performance économique et "harmonie sociale" (vocable utilisé par Xavier Fontanet, qu'il préfère à celui de justice sociale) sont non seulement compatibles, mais chacune alimente l'autre dans une sorte de cercle vertueux , conclut le président d'honneur des EDC.

Ainsi le don, qu'on pourrait assimiler à une forme de  partage de la valeur , placé  à l'intérieur de l'activité économique normale , pour reprendre les termes de Benoît XVI dans Caritas in Veritate, ne vient-il pas nier sa logique interne, mais pourrait au contraire l'orienter vers une forme de fécondité nouvelle, fonctionnant en somme comme un investissement social. C'est pourquoi CapitalDon souhaite notamment promouvoir les logiques d' investissement patient , de  développement responsable , ou encore de  croissance équitable , au service de tous les acteurs de l'entreprise. La vision qui guide le projet est qu'avec de nouvelles relations entre banquiers, investisseurs et entrepreneurs, il est possible de favoriser une croissance à la fois juste et dynamique, de créer des emplois durables, et de réduire la pauvreté. L'évolution du système par l'intérieur, sous l'impulsion de nouvelles pratiques, profiterait ainsi au plus grand nombre, de même qu'à l'ensemble du corps social.

CapitalDon n'en est qu'à ses débuts, mais s'est doté d'un conseil d'administration, d'un comité consultatif pour la gestion financière de la dotation, et d'un comité d'orientation destiné à choisir les projets soutenus, pour lesquels la structure vise déjà à consacrer un budget annuel de 300 000 euros, notamment dédiés à des partenariats avec des centres de recherche, des écoles et des universités, ainsi qu'avec les promoteurs d'initiatives et les acteurs d'influence de la finance et de l'entreprise. La dotation du fonds, en outre, est partiellement investie dans des fonds choisis pour leur adhésion aux nouvelles approches soutenues par CapitalDon.

La Revue Liberté Politique se devait de se faire l'écho de cette initiative alors même qu'elle publie les  contributions  des conférences données lors du 2d colloque sur le don organisé par l'AFSP et l'association des Economistes Catholiques.

 

Appel
Universitaires, professeurs, doctorants sont invités à rentrer en contact avec CapitalDon pour présenter leurs travaux et obtenir si nécessaire un soutien pour leurs développements et leur diffusions.
Pour contacter CapitalDon :
contact@capitaldon.fr
Tel :  09 72 26 88 85

 

 

 

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