L'arrivée de Benoît XVI en terre turque nous est une fois de plus l'occasion de nous confronter à cet Orient compliqué dont parlait de Gaulle. La Turquie, porte d'entrée du Proche-Orient, nous renvoie à toute une histoire qui évoque les fastes et la chute de l'Empire byzantin, la rencontre conflictuelle de la chrétienté et de l'islam, la domination ottomane qui s'étendit sur une partie de l'Europe orthodoxe et ne fut pas loin de franchir les murailles de Vienne, enfin la naissance, avec Mustapha Kémal, d'une république militarisée et laïque qui renonça au rêve du khalifat pour entretenir avec le monde moderne des relations inédites.

 

Le pape n'ignore rien de tout cela, pas plus qu'il n'oublie la prédication de saint Paul dans les cités d'Asie mineure, dans la région natale de l'apôtre. Son prédécesseur, Angelo Roncalli, n'a-t-il pas représenté le Saint-Siège ici-même dans la période difficile de la Seconde Guerre mondiale ? Mais l'histoire continue de s'écrire avec une Turquie qui hésite au seuil d'une Union européenne gérant ses propres contradictions.

Hôte des dirigeants d'Ankara, Benoît XVI vient en messager de la paix, dans une situation tendue. Le prologue de la conférence prononcée à Ratisbonne, et qui concernait l'islam, n'a pas manqué d'avoir des répercussions dans tout le pays, profondément musulman, d'autant que le texte cité par le Pape comme significatif des relations entre christianisme et islam, et entre foi et raison, consistait en un dialogue entre un empereur de Byzance et un sage persan. Les autorités religieuses musulmanes ont, sur le moment, très mal réagi. Le climat s'est un peu rasséréné depuis lors, du moins du côté des autorités politiques, qui tiennent à ce que l'image de leur pays ne soit pas ternie par des manifestations dont l'effet serait désastreux devant l'opinion mondiale et surtout européenne. Mais on n'est jamais à l'abri de menées extrémistes et les agressions dont ont été victimes plusieurs prêtres catholiques, ces derniers mois, sont significatives des difficultés de survie des minorités religieuses dans ce pays.

Des minorités qui sont de plus en plus réduites... De ce point de vue, la visite du Pape au Phanar, ce quartier d'Istanbul où réside le patriarche Bartholomée, est significative. Il existe d'évidence une solidarité entre catholiques et orthodoxes, et les relations entre le Vatican et le Phanar ont toujours été cordiales depuis la rencontre inoubliable entre Paul VI et Athénagoras. Il faut ajouter que les choses vont en s'améliorant avec le patriarche de Moscou, Alexis II, qui vient de remercier Benoît XVI, de sa générosité pour la restauration d'une église. Cela voudrait dire que le dialogue œcuménique (entre chrétiens) se porte mieux que le dialogue interreligieux. Mais il est permis d'espérer que ce voyage permettra des ouvertures nouvelles que le pape désire sans équivoques.

* À paraître dans le prochain n° de France catholique, 24 novembre 2006

Pour en savoir plus :

■ Le programme du voyage du pape en Turquie sur notre site partenaire Génération-BenoîtXVI.com

■ Un voyage oecuménique sur les pas de saint Paul, Génération-BenoîtXVI.com, 18 octobre 2006

■ Joseph Ratzinger : L'entrée de la Turquie en Europe serait une grande erreur , Décryptage, 24 septembre 2004

■ Turquie : l'inconnue Benoît XVI, entre poker et mistigri , Décryptage, 17 novembre 2006

■ La culture politique et religieuse turque demeure étrangère à l'unité organique européenne , Décryptage, décembre 2002

■ Notre dossier La Turquie a-t-elle sa place en Europe ?

■ Notre dossier Ratisbonne

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