Les conditions de la victoire de Nicolas Sarkozy changent la donne politique. Mais rien n'est joué pour la France. L'avenir de notre pays ne dépend pas des talents d'un homme.
Il dépend bien davantage de notre ferveur, de notre prudence et de notre courage.
LA NETTE VICTOIRE de Nicolas Sarkozy permettra-t-elle de sortir la France de l'ornière ? La France sera-t-elle de retour en Europe et... dans le monde, comme le nouveau chef de l'État l'a dit au soir de sa victoire ? La réponse est en partie dans les causes qui ont permis cette victoire, mais en partie seulement. Il dépend aussi de nous, chrétiens, de peser sur le cours des événements.
Renversement de tendance
À plus d'un titre, cette élection rompt avec les précédentes. Dans un excellent essai paru en 2006, La Cinquième République en débat (Droit et cité), le professeur de droit Michel de Villiers (sans rapport avec son homonyme Philippe) constatait qu'au regard des indicateurs électoraux, la Ve République donnait des signes de fatigue. La baisse du cumul des suffrages des deux candidats arrivés en tête au premier tour dans les élections précédentes était inquiétante. De 76,5 % en 1965 ce cumul était passé en 2002 à 36,7 % des suffrages exprimés, soient moins de 24,5 % des électeurs !
Jacques Chirac qui fut le président de la République le mieux élu dans une configuration particulière de second tour en 2002 (82,2 %, soit 62 % des inscrits) a été l'hôte de l'Élysée le moins bien élu de l'histoire de la Ve au premier (19,88, soit 13,7 % des inscrits).
Autant dire que le Président n'avait à peine plus de soutien dans l'opinion que les syndicats qui représentent 8 % des travailleurs. On comprend la prudence qui fut la sienne à engager des réformes sociales et économique dans ces conditions. Il n'avait pas de base populaire malgré une image qualifiée de sympathique par beaucoup de Français. Chirac le sympathique était un nain démocratique.
La donne est totalement différente pour Nicolas Sarkozy. Il fait un score très élevé au premier tour : 25,7 % (31,3 des suffrages exprimés) comparable à celui de Valéry Giscard d'Estaing en 1974 et identique à celui de François Mitterrand en 81. Les résultats du second le rapprochent de ceux du général de Gaulle. Nicolas Sarkozy est peut-être détesté par un grand nombre, il est un candidat très bien élu avec un taux de participation record qui ajoute du relief à sa victoire.
Une nouvelle voie
Les causes de son succès sont sans doute à chercher dans la personnalité du candidat. Il est, disent ses amis, à la fois clair, brillant, convaincant, loyal et direct. Le style Sarkozy , n'est pas pour rien dans son succès. C'est le moins qu'on puisse dire : son ambition est transparente . Cette ambition séduit une France qui manifestement cherche à sortir de la sinistrose, veut retrouver sa vitalité d'antan, acceptant de renoncer à l'assistanat en tout genre et au fonctionnaire faussement gratuit pour tous.
Après un François Mitterrand de gauche qui a roulé à droite et un Jacques Chirac de droite qui a roulé à gauche, le nouveau Président incarne aujourd'hui la France qui gagne , pour qui tout devient possible . Il représente aussi une droite qui a fait sa mue idéologique et qui cesse d'être complexée par les thuriféraires de la pensée unique. Même la gauche salue l'homme qui a su reprendre des voix à Le Pen.
Laurent Fabius disait en son temps que le président du Front national posait les bonnes questions, mais donnaient de mauvaises réponses. Si l'on en juge par les reports de voix et le peu de goût pour l'abstention des troupes du FN au second tour, Nicolas Sarkosy est le premier à avoir donné à une grande partie des électeurs de Jean Marie Le Pen des réponses qui leur paraissent satisfaisantes ; au point que la fille du vieux candidat, Marine, trouve cela injuste !
Le relatif échec de François Bayrou, lâché par une très grande partie, sinon la totalité, de ses appuis parlementaires, s'explique sans doute aussi pour cette raison. En se positionnant à la gauche de la droite et à la droite de la gauche, le président de la future ex-UDF est probablement apparu à de nombreux électeurs comme ayant une décennie de retard. L'heure n'est plus à la cohabitation, fut-elle d'un nouveau genre. Les électeurs qui boudaient et votaient contre le système en choisissant les extrêmes n'ont pas choisi ce révolutionnaire du centre. Ils se sont portés sur les deux grands partis parlementaires, se disant sans doute que seuls ces partis avaient les clefs du succès et qu'il fallait un chef.
Comme nous le faisait remarquer Jean-Frédéric Poisson, maire UMP-FRS de Rambouillet, les électeurs ont manifestement choisi entre deux conceptions de la politique. L'une avec Nicolas Sarkozy où le Président fixe les objectifs, annonce les moyens et demande à être jugé sur les résultats ; l'autre avec Ségolène Royal où le chef de l'État fait jaillir la décision du collectif. Cette méthode de gouvernement peut être légitime lorsque tout va bien, que le pacte social repose sur une unité de valeurs morales cohérentes, mais devient évidemment dangereuse lorsque l'on doit piloter au milieu des dangers.
La perception de la crise qu'ont les Français les ont probablement conduits à choisir plus ou moins consciemment celui qui paraissait le plus directif et le plus clair sur les objectifs et les moyens.
Ségolène Royal aura eu au moins le mérite de permettre un choix très différencié de ce point de vue. En poussant jusqu'à la caricature sa méthode participative, elle a sans doute déclenché, à gauche et au-delà, une inquiétude dont elle a minimisé la profondeur. Les débats du second tour n'auront fait que l'enfoncer dans l'opinion. Sa pugnacité , et ses manœuvres politiciennes se retournant contre celle qui voulait se présenter comme une femme et une mère intègre, à l'écoute de chacun.
L'avenir à moyen terme
Pour autant Nicolas Sarkozy a-t-il un boulevard devant lui comme Napoléon devenant premier Consul ? La France est-elle sauvée ? Rien n'est moins sûr. De nombreux obstacles l'attendent (voir ici l'analyse de François de Lacoste Lareymondie). Évoquons-les rapidement, sous l'angle des causes de la victoire du nouveau chef de l'État.
Déçus de la politique conduite en France depuis trente ans, les Français n'ont cessé d'envoyer des messages négatifs à la classe politique. Élections après élections, ils ont sortis les sortants. Élections après élections, ils ont voté pour les candidats qui dénoncent le régime, à droite comme à gauche. Élections après élections, ils ont été de plus en plus nombreux à bouder les urnes. Faute d'avoir été entendus, ils ont changé leur fusil d'épaule le 6 mai, et décidé de jouer la carte parlementaire et démocratique. Mais le fusil demeure chargé.
Si Nicolas Sarkozy ne change pas rapidement la donne et le climat politique, gare à la casse. Il est probable que le nouveau Président aura sa majorité parlementaire, malgré le grand nombre probable de primaires. Mais l'an prochain, il y aura des élections locales. Celles-ci peuvent être un désaveu cinglant si les premiers résultats ne sont pas là.
La gauche, l'extrême gauche, le centre, l'extrême droite sont déconfites. Les législatives peuvent nuancer le diagnostic. Mais il serait paradoxal qu'elles modifient substantiellement la donne. Ce n'est pas à court terme, que réside le danger. Les banlieues vont se calmer. L'homme qui est au pouvoir a été ministre de l'Intérieur et connaît la musique. En revanche la recette libérale qu'il préconise peut ne pas prendre. Dans ce cas, tout peut arriver.
Le risque
Cette éventualité nous ne pouvons l'écarter même si l'on peut se réjouir que le nouveau Président adopte aujourd'hui un vocabulaire et des sentiments qui sont aussi les nôtres : J'éprouve, dit-il au soir de son élection, depuis mon plus jeune âge la fierté indicible d'appartenir à une grande, vieille, très vieille, et belle nation, la France. Je l'aime comme on aime les êtres chers qui nous ont tout donné. Nous apprécions aussi qu'un Président veuille réhabiliter le travail, l'autorité, la morale, le respect , qu'il souhaite remettre à l'honneur la nation et l'identité nationale .
Nous applaudissons son refus de l'intolérance et du sectarisme dont ses adversaires n'ont pas su se garder. Nous souscrivons à son vœu d'une majorité ouverte , et qu'il donne à ses lieutenants des consignes d'humilité et de modestie dont lui même a témoigné lors de son débat télévisé avec Ségolène Royal. Nous partageons son souci de l'écologie, son dessein méditerranéen, son souhait de rassurer ceux qui craignent non sans raison que l'Europe soit le cheval de Troie des menaces que portent en elles les transformations du monde, et qu'enfin il parle d'amitié à propos de l'Amérique.
Mais lorsqu'un homme est porté par une telle dynamique électorale, lorsqu'il soulève une espérance nouvelle, lorsqu'il revendique haut et fort des principes élevés, lorsqu'il se donne des airs d'homme providentiel, il ne faut pas décevoir le peuple français.
Notre responsabilité
Pour redonner à la France l'amour d'elle même, l'action politique ne suffira pas. La puissance américaine — bien mal utilisée peut-être — n'est pas seulement due à la puissance du dollar et à sa technologie. Elle est aussi le résultat d'un profond réveil de la partie la plus profonde du peuple américain. Après le doute des années 70, celui-ci s'est remis à croire majoritairement en la vie, en sa beauté, à sa dimension sacrée, au rêve américain. Cette conversion de l'opinion – car c'en est une –, ne s'est pas faite toute seule. Les chrétiens, il n'est pas bien vu de le dire à Paris, en ont été des ardents artisans.
Nous aussi nous avons une responsabilité considérable dans les années qui viennent. Non pas celle de soutenir Nicolas Sarkozy, mais celle de proclamer haut et fort nos convictions. De refuser que l'on porte atteinte à ces fameux principes non négociables dont la Fondation de Service politique a été la première a parlé en France dès la publication de la Note Ratzinger. Depuis le colloque que nous avons organisé au Sénat sur ce thème en 2003, la question de leur respect dans le cadre d'un choix électoral a fait débat ; et c'est une bonne chose. En politique, nous disons oui au pluralisme mais non au relativisme, et nous devons nous engager fortement dans un combat spirituel et culturel qui est le soubassement indispensable de l'action politique.
Le sens de notre combat
Le 6 mai les cartes ont été redistribuées. Nous avons une bonne main. Il faut maintenant poursuivre. L'Église de France par la voix de ses évêques s'est prononcée plus qu'à l'habitude au cours de cette très longue campagne électorale et c'est heureux. Mais c'est à nous laïcs de monter en première ligne. Nous avons voté, nous revoterons pour les législatives, mais nous ne serons pas pour autant quittes de notre engagement politique. Dans une certaine mesure, tout scrutin est accidentel. Rapidement, très rapidement de graves questions vont se poser et pas seulement d'ordre économique et social : celle du mariage, de l'euthanasie, de la bioéthique. Sur ces sujets qui relèvent directement du Décalogue, nous devons intervenir comme nous l'avons fait.
Pour que la France se relève durablement elle n'a pas seulement besoin de redresser ses comptes sociaux et de retrouver le chemin d'une vraie croissance. Il faut aussi qu'elle retrouve le sens du respect du plus petit, de l'homme blessé et mourant, le sens de la vraie liberté qui est d'abord intérieure, mais qui n'est pas un droit absolu, sans devoir.
Des forces puissantes vont jouer en sens contraire. La culture de mort est à l'œuvre autant dans le libéralisme que dans le socialisme. Nous sommes porteurs d'une culture de vie. Nous devons en être les témoins résolus au cœur des débats politiques.
C'est le sens du combat de la Fondation de Service politique. Nous partageons cet amour avec d'autres. La prière nous unit, quels qu'aient été nos votes, l'action doit nous rassembler.
Dés demain nous allons entrer dans la bataille des législatives. Nous soutiendrons ls candidats qui entendront le message de la culture de vie. Nous ne soutiendrons pas les candidats qui font de la remise en cause des principes non négociables de la vie commune une motivation essentielle de leurs engagements publics, et un trait particulier de leur positionnement politique. Il n'y a pas de vote catholique, mais il y a une attitude catholique en politique. Elle écoute avec bienveillance les promesses qui lui sont faites. Mais elle ne se paye pas de mots. Avec réalisme et lucidité, avec discernement et en prudence, nous sommes capables d'arbitrer en tenant compte des circonstances locales.
À tous les candidats qui maintenant vont se présenter nous allons nous adresser dans les jours qui viennent en leur disant qu'il ne suffit pas d'appartenir à la majorité présidentielle pour que nous votions pour eux.
Et à tous nos amis, nous donnons rendez-vous sur le site de Libertepolitique.com pour continuer le combat au service de la France.
Pour la Fondation de service politique,
Thierry Boutet
Pour en savoir plus :
■ Les résultats de l'élection présidentielle comparés aux chiffres de 2002 (Décryptage, 9 mai 2007)
■ François de Lacoste Lareymondie, Une belle victoire, de sérieux obstacles, Décryptage, 9 mai 2007.
■ D'accord, pas d'accord ? Envoyez votre avis à Décryptage
■