La manifestation du 13 janvier constitue un phénomène politique d’une importance considérable : la première étape vers la naissance d’une force conservatrice populaire en France.
Un phénomène de quantité
Quel est l’ordre de grandeur du phénomène ? Combien de manifestants ? Le gouvernement dit moins de 400.000 et les organisateurs 800.000. Mais, curieusement, des officiers de gendarmerie affirment que la gendarmerie nationale aurait fourni de son côté au gouvernement le chiffre de 1,3 million.
Connaissant un peu les organisateurs, nous ne serions serais pas étonnés que, sur le point du dénombrement, les gendarmes se soient montrés prudents, voire scrupuleux. Nous avons vu de nos yeux toute la journée du 13 janvier, et observé avec attention, une foule, presque partout compacte, qui s’étalait sur quinze kilomètres de boulevards périphériques intérieurs, ou de très larges avenues. Cette foule, en même temps, remplissait plusieurs grandes places de Paris. Le calcul approché mène autour du million. Tel est le premier fait.
Un phénomène de qualité
Les manifestants doivent être pesés autant que comptés. Ce n’était pas ce qu’on appelle une manifestation populaire. Il y avait là, plutôt, un million de cadres de la nation. Des familles solides, beaucoup de jeunesse, des gens à convictions, des patrimoines, des professionnels, des positions sociales. Cela aussi est un fait. C’est une force et c’est aussi une faiblesse. Mais c’est plutôt une force.
Il existe donc dans ce pays un million de personnes de ce niveau et capables de se mobiliser ; sans doute y en a-t-il davantage de mobilisables.
Une intensité nouvelle
Ce million s’est compté lui-même. Il n’a plus peur. Il sait qu’il est un million, donc il sait qu’il est des millions. Le Président aurait beaucoup gagné à pouvoir observer les visages graves et sérieux de ces hommes et de ces femmes, quand ils lui criaient : « François, François, ta loi on n’en veut pas ! » Ce n’était pas du déchaînement passionnel, mais plutôt une nouvelle force de résolution réfléchie, raisonnable, volontaire et décidée – et pacifique.
Une énergie qui se cherche
Et pourtant, il n’y avait pas encore là une force guidée par une stratégie politique. La simple opposition est importante mais ne constitue pas un programme. Il n’y avait pas non plus de grand leader politique.
Mais quel leader politique existant aurait pu se mettre à la tête d’un tel rassemblement ? Cela montre bien qu’il y a en France des masses entières qui ne sont pas représentées.
Les conservateurs ne sont pas représentés en politique
Car, malgré l’astucieux habillage médiatique de la manifestation, malgré la coalition habilement formée, le noyau dur de ce rassemblement était majoritairement catholique et conservateur, et, par habitude plutôt à droite.
Mais justement, posons aujourd’hui cette question : quand on est conservateur, est-on encore à droite ?
Et les classes populaires dans tout cela ?
Nous aimerions prendre un peu de recul en posant une autre question qui, en apparence, n’a rien à voir, mais qui est pourtant connexe : « Et quand on appartient aux classes populaires, est-on encore de gauche ? »
En effet, le Parti socialiste, en lançant la grande libéralisation économique du pays à partir des années 80, en union sacrée sur ce point avec la droite néolibérale, a détruit le capitalisme industriel et local pour favoriser le capitalisme financier et mondialisé. Il a fait passer le pays d’un modèle économique où l’objectif était le développement et le progrès social, à un modèle où la seule règle est l’optimisation du retour sur capital, sur une base mondiale. Un jeu économique dans lequel un système de solidarité, même bien géré, est un luxe qu’on ne peut pas se payer. Est-ce là une politique servant les intérêts populaires ?
Ainsi, les couches populaires ne sont pas représentées non plus par la classe politique.
La grande duperie du clivage droite/gauche
Ainsi, face à une classe politique où domine l’idéologie libérale et libertaire, un peu plus libérale à droite, un peu plus libertaire à gauche, les conservateurs, comme les classes populaires, sont sans représentation. Le Parti socialiste n’a presque plus rien d’un parti populaire. Et que reste-t-il de conservateur à droite ?
En schématisant un peu grossièrement, la droite est une machine à duper les conservateurs, et la gauche une machine à duper les classes populaires, au profit d’une même politique libérale et libertaire. Et le clivage droite/gauche aurait pour principale fonction d’empêcher l’unité entre les classes populaires et les couches conservatrices.
La stratégie pour les conservateurs…
Cette manifestation changera-t-elle quelque chose à court terme ? Nous souhaitons tous qu’elle influence le débat sur le mariage. Mais si tel ne devait pas être le cas, quelque chose d’essentiel aurait néanmoins été accompli : la prise de conscience par les conservateurs qu’ils sont nombreux et qu’ils représentent une force politique de premier plan, si un jour ils savent se donner une stratégie de gouvernement.
Gouverner dans quel sens ? C’est le même individualisme dérégulé qui abîme la famille et qui ruine notre tissu économique et industriel. C'est lui qui prive les classes populaires de tout avenir économique et de toute solidarité en matière d’investissement.
Le deal conservateur/populaire
1/ Les conservateurs doivent prendre conscience que, « parmi les droits et devoirs sociaux aujourd’hui les plus menacés, il y a le droit au travail. […] La dignité de l’homme, ainsi que la logique économique, sociale et politique, exigent que l’on continue à se donner comme objectif prioritaire l’accès au travail, ou son maintien, pour tous » (Benoit XVI, 1er janvier 2013).
2/ Les populaires authentiques doivent prendre conscience que, parmi les conditions les plus fondamentales de la solidarité, il y a la famille et l’éducation substantielles, et non pas prise au sens idéologique.
L’unité avec les partis populaires
Sur une telle base, les conservateurs et les partis (authentiquement) populaires sont donc des alliés naturels. Leur alliance est la force politique qui a les ressources, en quantité et en qualité, pour renouveler la classe dirigeante, où domine l’idéologie libérale et libertaire.
Leurs deux objectifs communs sont donc : 1/ réinstaller en France et en Europe un capitalisme industriel et entrepreneurial orienté vers le développement local, le travail pour tous et le progrès social. 2/ Valoriser la famille et réformer l’éducation.
Être au service
C’est bien une élite qui a défilé dimanche. Une élite conservatrice. Mais une élite n’a pas beaucoup de légitimité quand elle défend ses propres convictions, aussi excellentes soient-elles. En revanche, une élite bénéficie d’une énorme légitimité quand elle s’engage à fond au service du peuple.
Henri Hude,
philosophe,
vient de faire paraître Préparer l'avenir, nouvelle philosophie du décideur, (Economica)
Thomas Hude,
ancien élève d'HEC
Poursuivre la réflexion :
www.henrihude.fr
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Réponse à Éric.
Voir le commentaire en entierÉric, vous me faites la même observation de Rémy sur www.henrihude.fr
Je vous ferai un peu la même réponse, en deux points.
1° On a besoin des mots pour désigner les choses et leurs idées. Et tous les mots ne sont pas également bien construits et appropriés. Donc, quand on a la chance d'en avoir des bons, "on se les garde". Autrement, la pensée en souffre. La persécution des idées passe par la censure du vocabulaire. Ne laissons donc pas censurer des mots bien bâtis et très appropriés qui existent dans le vocabulaire. Ce qu'il faut rétablir, c'est un peu de raison face au règne du pulsionnel délirant. Cela commence par le sérieux du langage. Aucune importance, donc, si des termes excellents sont pollués par des connotations péjoratives. Employons-les : cela montrera qu'on est complètement libres face au "politiquement correct". En outre, le terme n'est pas du tout péjoratif dans un grand nombre de langues et de pays et si on en prenait un autre par timidité, les étrangers ne nous comprendraient plus.
2° Il faut préciser sur le fond le sens de ce terme. Cela fera l'objet d'un article prochain, soit sur Liberté politique, soit sur www.henrihude.fr
Amicalement et à bientôt.
HH
Cher Henri,
Bravo pour cette première analyse. Nous assistons en effet à l’émergence d’une force spirituelle capable de s’incarner en politique. Une force capable d’affirmer pacifiquement sa dissidence face à un pouvoir sûr de son droit et confit dans une bonne conscience inaltérable. Tu y vois à raison une nouvelle élite potentielle. Et elle a quelque chose à voir avec le peuple des dissidences d’Europe Centrale sous l’ex-empire soviétique luttant pour la « vie dans la vérité », selon la règle que s’étaient fixés Vaclav Havel ou Jan Pato?ka. Il reste à cette élite à cristalliser dans la société politique les nombreux engagements qu’elle a déjà dans la société civile. Il faut maintenant la persuader de l’urgence de l’engagement pour une vaste cause nationale au profit des classes populaires laissées en déshérence par les libéraux / libertaires de droite et de gauche. Voilà un projet politique qui aurait le double avantage de se fonder sur une anthropologie réaliste et d’ouvrir un nouveau champ d’action pour la mise en œuvre de la doctrine sociale de l’Eglise, notamment dans son option préférentielle pour les pauvres. Puisque les élites pseudo-socialistes divorcent d’avec leur geste séculaire au service du peuple, la place se libère pour l’affirmation de l’espérance et de la fraternité chrétienne non seulement dans la société civile où elle œuvre déjà mais dans le service politique.
Il est en tout cas certain que parmi les institutions ébranlées par les ondes tectoniques de cette manifestation, l’Enseignement catholique sera la plus touchée. Il est arrivé à son « non possumus » et a désormais le choix entre deux étiquettes : enseignement catholique ou enseignement privé. Et ce au moment où les évêques ont ouvert le chantier de la mise à jour des statuts de 1992, avec la volonté de le recadrer sur sa mission d’évangélisation. L’éducation – l’Ecole – « substantielle » rejoint nécessairement la loi naturelle que le bon sens populaire a toujours soutenu. Si l’en était besoin, la Rénovation de l’Ecole publique de Vincent Peillon accentue la mise en abîme d’une école sous l’emprise idéologique du libertarisme. A l’école catholique de faire connaître sa vérité sur l’homme au moyen d’une parole libre, indépendante de l’idéologie éducative d’Etat.
On a vu dimanche la première épiphanie du « pouvoir des sans-pouvoir », pour reprendre le titre d’un essai de Havel. La détermination sur l’objectif à atteindre, la volonté sereine et non-violente, l’affirmation tranquille de principes qui surplombent l’humanité, la défense des lois non écrites, tout cela laisse augurer qu’après les chimères communistes, la volonté du nihilisme moderne d’établir le Brave New World se dissipera devant le principe de réalité.
Emmanuel Tranchant
Le 15 janvier 2013
Je rentre du Champ de Mars auréolé de banderoles et bruyant de slogans. Des papas et des mamans partout, des enfants, des grands-parents, des familles venus de tous les coins de France, de manière désintéressée, pour défendre le mariage, la filiation et la famille. Manifestants d’un jour venus proclamer à Paris leur attachement à ce qui fonde la vie.
Voir le commentaire en entierLes familles de France étaient dans la rue. Cette « manif pour tous » fut une fête ; elle était joyeuse et bonne enfant. Elle était communicative ! Opposée à un projet de loi, certes, mais contre personne ; vraiment pour tous ! Pas d’exclusion. Des sourires en réponse à quelques provocations isolées. Des centaines de milliers de sourires, sans doute un million de sourires. Autant de monde qu’en 1984 pour l’une des plus grandes manifestations jamais enregistrées… Les avenues et les boulevards de Paris noirs du peuple de France…Un soulèvement populaire : Le Champs de Mars rempli comme pour le concert de J. Halliday !
Quels enseignements en tirer ?
Il parait que les français en ont majoritairement assez que l’on parle de ce projet de loi; il y a plus urgent ! Et ils ont raison… Mais à qui en incombe la faute ? Malgré ce ras-le-bol légitime il existe donc une minorité forte et mobiliser, de conviction, ancrée dans sa foi et sa confiance en l’avenir, prête à défendre le mariage en ce qu’il a de fondateur et de structurant. En ces temps de crise, de difficultés, ce témoignage désintéressé est exemplaire. Car le projet combattu ne concerne pas et ne concernera pas ceux qui s’y opposent ! La loi si elle est votée, ne changera rien pour eux et les leurs. Car il ne s'agissait même pas de défendre l'école comme en 1984. Cette fois-ci la mobilisation est exclusivement altruiste et gratuite!..., ce qui est exceptionnel dans ce monde du « rien pour rien ».
Un autre enseignement est que cette manif était jeune, gaie, enthousiaste, communicante, contagieuse, moderne. Contraste saisissant avec le mal-être actuel de la famille, en crise, éclatée. La famille et son modèle traditionnel, soi-disant ringard, et petit-bourgeois est encore à la mode. Capable de générer l’enthousiasme ! Cela a de quoi faire réfléchir. Il s’agit d’un vrai signal politique, en devenir. Un chant du cygne n’aurait pas cette allure là…Il y a de l’avenir dans cet enthousiasme. Ce n’est pas un feu de paille non plus. Les braises resteront chaudes longtemps. Le modèle si difficile à atteindre attire toujours.
Troisième enseignement ; si le projet devait devenir loi, il ne fait aucun doute que ce mouvement perdurera ; sous quelle forme ? Comment ? Pour quoi ? Nul ne peut le savoir, mais ce soulèvement ne restera pas sans lendemain. Les familles sont une force, une force politique alors que les clivages traditionnels perdent de leur pertinence. Le schéma est simple et opérationnel ; révolutionnaire ! Il s’agit de dépasser les clivages habituels et surtout de les éviter avec leurs pièges… Qui saura lui donner la vigueur et le dynamisme nécessaires ? L'avenir nous le dira. La France est frondeuse et politique. Atypique, hors normes. Vercingétorix, Clovis, Bouvines, Jeanne-d'Arc, de Gaulle sont la marque de ce pays unique en son genre. La France a souvent montré la voie dans l’histoire. Ses familles sont sa conscience. Elles sont sa force, sa vitalité. Elles savent ce qui est nécessaire, frelaté ou dépassé, parce qu’elles le vivent. C’est une singulière alchimie qui a fait que notre peuple a toujours réagi de manière inattendue, responsable, intelligente et adulte. Il est révélateur que face à la crise qu’il traverse comme bien d’autres, il soit capable, grâce à ses familles, qui sont sa conscience, de réagir alors qu’on ne l’attend pas. Car qui l'attendait hier ?
Quatrième enseignement, le mouvement ne s’est pas laissé enfermer dans un carcan idéologique grâce à l’intelligence et au savoir-faire de ses organisateurs. Il est resté positif, joyeux, enthousiaste et respectueux des autres. Démontrant ainsi que la défense de valeurs traditionnelles n’est pas nécessairement d’arrière-garde, passéiste, intolérante, triste et « cul serré » ! Oui la famille moderne et elle l'a démontré hier en chantant et en souriant.
Reste maintenant à voir ce qu’il va en advenir et à apporter nos pierres à l’édifice afin de participer à ce réveil des familles et de la France des familles….Une force politique d’une nature nouvelle est peut-être en train de naître. Rien ne doit arrêter ce véritable re-commencement.