A la suite de l’article d’Anne Josnin « Misère du libéralisme, richesses de notre foi » http://www.libertepolitique.com/L-information/Decryptage/Miseres-du-liberalisme-richesses-de-notre-Foi , nous avons reçu divers commentaires. A notre demande, Anne Josnin répond à ceux qui l’interpellent. Sa dénonciation du libéralisme a indigné certains de ses lecteurs. Il est vrai que le mot est équivoque même si les chrétiens indignés l’emploient dans un sens qui ne l’est pas.
DSE D’abord
Il est temps de lire la Doctrine Sociale de l’Eglise non pour y trouver des arguments justifiant le libéralisme de droite ou de gauche, mais pour elle-même, comme préalable à tout engagement politique. Elle est tout autant retour, sans cesse ravivé, au cœur de notre foi, que réaction à une situation temporelle (que l’on a naturellement tendance à comprendre selon nos affinités). C’est pourquoi il faut sortir de toute conception binaire : qui critique le libéralisme est cryptocommuniste, qui critique le socialisme est d’extrême-droite. Le débat ne se situe pas là, mais bien en amont, dans la dénonciation d’une vision païenne, origine commune aux erreurs dramatiques de notre modernité. Ensuite, il serait toujours temps de chercher en Proudhon comme en Hayek, donc aussi en Bastiat que reprend Hayek, ce qu’ils peuvent nous apporter. La Doctrine Sociale de l’Eglise nous sauve du choc de toutes les oppositions binaires dont notre monde belliqueux est friand (feu URSS versus USA, Occident versus Orient, Islam versus Croisés, Nord versus Sud, libéralisme versus totalitarisme, conversion individuelle versus changement des structures ….) en nous appelant à avancer ensemble à partir de principes communs auxquels tout homme de bonne volonté peut adhérer, par-delà les sensibilités politiques, les appartenances sociales ou culturelles. En d’autres termes, ne lisons pas la DSE à la lumière de Bastiat, mais relisons Bastiat, ou Marx, ou Gandhi, à la lumière de la DSE, oui !
Sortons du parc d’attraction.
Est-il possible de parler du libéralisme seulement comme moyen de responsabiliser l’individu, en réduisant notamment le rôle de l’Etat à celui de la police (voir Bastiat) ? De fait, actuellement, l’Etat libéral se substitue insidieusement à nos consciences, étendant son domaine de police à tous les domaines de la morale, personnelle ou collective. Par exemple, où est la responsabilité, donc la grandeur et la dignité d’un médecin ou d’une infirmière devant des cas-limites (privilégier le soin à la mère de famille nombreuse ou à l’enfant apriori non viable, prolonger ou non une respiration artificielle), si tout est déjà couvert par la loi, protocole opératoire à suivre mécaniquement ?
Le libéralisme de droite n’est pas une garantie contre le totalitarisme, même si cela est plus insidieux que dans le socialisme. Sans une culture de la sobriété personnelle et communautaire, faute morale dans notre système économique, nous devenons tous des enfants assistés dans un parc d’attraction géant, où les procédures hygiénistes et les produits labellisés (hallal, kascher ou équitable : toute est prévu !) nous épargnent toute réflexion morale et spirituelle, rendent inutiles les vertus , nous dégagent de toute responsabilité, le seul impératif étant, en participant au maximum et même au-dessus de nos moyens à la fête au gré de nos envies, de faire fonctionner le parc devenu une fin en soi. Et tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Pour une liberté transcendante, qui nous relève de la fange où s’étouffe notre monde.
La misère est-elle vaincue par le libéralisme ? Mais quelle misère ? Nous assistons aujourd’hui à un misérabilisme culturel et social qui se répand comme la peste sur la planète entière. Avoir un frigo américain plein et une télé 3D à Calcutta comme à Dallas ne donnent pas à l’homme une raison de vivre. Hausse des moyens de certains (hausse très provisoire, puisque gage sur l’avenir de la planète : le véritable endettement est là !), pour tous perte tragique du sens de la vie. L’horizon matérialiste est le même dans l’économie de marché que dans l’économie marxiste : juste il s’avère qu’organiser des euro-millions fait davantage participer que chercher à partager les gains en autant de travailleurs. Pour quoi faire et dans quelles conditions ? Nous distraire de toute réalité spirituelle est aussi redoutable que de nous en condamner d’autorité l’accès, comme dans le communisme. Il faut remettre au cœur de nos activités intellectuelles, économiques, sociales et politiques, et non à la marge improductive, privée et subjective de nos vies, la quête de la transcendance. Cela nécessite et conversion personnelle et changement des structures de péché, comme nous y invite la DSE.
Décloisonnons nos esprits et nos coeurs !
Enfin le recours aux bons sentiments, dont les totalitarismes aussi, de tous bords, jouent sans modération, ne doit pas nous illusionner. Comme écrivait déjà Nimier en 49 : « Il s’agit de cette hypocrisie libérale, toujours prête à s’attendrir sur les victimes les plus éloignées. Les libéraux aiment passionnément les peuples opprimés-sauf celui qu’ils oppriment. Secourir les Grecs, pleurer sur le Bulgare, on n’a pas inventé de meilleur moyen pour oublier l'ouvrier lyonnais et concilier une âme tendre avec le souci de ses intérêts. » (Le Grand d’Espagne ).
Se forger une âme catholique, c’est-à-dire authentiquement universelle : voilà notre rempart contre toutes les indignations sélectives, celles de gauches comme celles de droite, en nous mettant concrètement au service de nos frères, et en premier, option préférentielle pour les pauvres oblige, des plus petits, nos maîtres. Voilà la conversion à laquelle nous invite la Doctrine Sociale de l’Eglise.
Universitaires ou humbles en savoir, hommes et femmes de terrain, les mains plongées dans la matière ou contemplatifs et poètes aux mains en offrande, qu’importe ? Mais debouts. Il est l’heure de se retrouver, par-delà les sensibilités et les limites de chacun, dans le combat commun face à l’orgie de notre système qui détruit l’homme et la vie sur notre terre.
Anne Josnin pour la Fraternité des chrétiens indignés
Retrouvez tous les articles de la Fraternité des chrétiens indignés dans notre dossier :
Vous écrivez que les chrétiens indignés emploient le mot libéralisme en un sens qui n'est pas équivoque. Or ces deux articles, par leurs amalgames, me semblent nourrir cette équivocité : le libéralisme devient un monstre aux contours de plus en plus flous... Tous les reproches faits ici au libéralisme peuvent être faits au communisme, au socialisme ou à la social-démocratie... Alors pourquoi attaquer le libéralisme ?
Voir le commentaire en entierL'avidité n'est pas la conséquence du libéralisme et je ne vois pas en quoi le libéralisme serait responsable des atteintes à la liberté de conscience perpétrées par l'Etat. Je ne suis pas un spécialiste de Bastiat que je ne connais que de seconde main mais il me semble qu'au contraire de ce qui est prétendu ici, il lutte contre l'emprise de l'Etat. Quand aux autres auteurs libéraux je n'y vois pas plus de justification d'une telle emprise de l'Etat...
S'il s'agit de se laisser modeler par la Doctrine Sociale de l'Eglise, soit, et je suppose que vous la connaissez bien, mais manifestement vous ne savez pas ce qu'est le libéralisme et vous semblez en ignorer la profonde diversité.