Après une longue bataille de retardement, le Parlement a finalement adopté le texte sur le travail du dimanche, jeudi 23 juillet. Une loi d'exceptions ambiguë, votée sans enthousiasme. La balle est désormais dans le camp du Conseil constitutionnel.
Le Sénat sert-il à quelque chose ? Vote conforme , sans amendements, avait-on exigé en haut lieu. 165 voix pour, 159 contre. Vote bloqué où tout a été joué d'avance et auquel il a manqué en définitive six voix... six pauvres voix. Ce qui s'est déroulé et achevé en cette nuit du 23 juillet lors de l'examen de la proposition de loi Mallié est plus qu'une discipline. Ce vote rapide, sans bruit, de nuit, a transformé le Sénat en une sorte de bande de suiveurs selon les mots fleuris du très pittoresque député Fortassin, lui qui avait essayé de dire stop au gouvernement parce que celui-ci n'avait proposé aux sénateurs que des conneries .
Six malheureuses voix
L'éclipse fascinante du jour, visible en Orient, se sera prolongée symboliquement plus noire que jamais en Occident ; elle aura révélé comment la lumière des arguments a été systématiquement voilée par l'idéologie. Beaucoup dans l'hémicycle en étaient de fait persuadés. Et cependant, le texte si contesté aura eu raison du dimanche en France et de son modèle social. Il l'aura livré non pour trente deniers mais aux six voix lâches et molles qui n'ont pas eu le courage de s'opposer. La solidarité s'est muée en inconditionnalité bête. Six malheureuses voix !
Il est des tournants inattendus dans un débat parlementaire, et ceux à propos de la vocation du Sénat qui ont émaillé l'examen de la proposition de loi Mallié IV sont lourds d'enseignements. Si la succession des amendements expliqués puis mis aux voix pouvait avoir l'apparence d'un dialogue démocratique sous les ors et les lambris de la Chambre pourpre, entre une majorité muette et une opposition sur le pont, tout cela ne restera qu'au stade de l'impression. Les litanies d'arguments de l'opposition faisant pourtant tous assaut d'intelligence mais ayant tous été repoussés lamentablement n'auront été que dialogue de sourds.
Le spectateur assidu, écoutant ébahi leurs réponses embarrassées, aura vécu en direct le rejet bétonné des amendements par le ministre Xavier Darcos et le rapporteur Isabelle Debré ; il en fallait de l'obsession ! Le citoyen témoin souffre chaque minute davantage tout au long de ces quatre-vingts heures de débat : plus qu'une frustration, un vrai déni démocratique. Rien n'y a fait : ni la conviction haute d'un Lardeux ou d'une Hermange, ni le charisme théâtral et la fougue jusqu'auboutiste d'un Desessard, pas davantage l'humanisme émouvant d'une Le Texier ou la colère sourde d'une Annie David et de l'impassible Isabelle Pasquet. Chapeau bas, Mesdames qui n'avez rien lâché dans ces discussions et explications vaines des articles et des amendements. Travail épuisant mais pourtant si juste, qui aura été nié jusqu'à la fin pour un débat à sens unique d'une proposition de loi inique et cynique .
L'incompréhension fut totale : un gouvernement persuadé de n'apporter que de petits ajustements et des simplifications indispensables à des situations particulières, d'apporter pragmatisme et bon sens, opposition voyant à juste titre plus loin une grande dérégularisation, ce avec quoi nous sommes d'accord. Six voix... six pauvres voix !
On nous aura fait avaler des ficelles grosses comme des cordes de navire , pris pour des attardés mentaux ... Oui, ce vote en plein cœur de l'été, en procédure accélérée d'une session extraordinaire n'annonce pas, c'est évident désormais, une réforme du Président mais bien une mutation profonde voulue par les puissances qui le soutiennent. Oui, cette proposition de loi, et non un projet de loi gouvernemental, voulue par le président de la République caché sous le masque d'un parlementaire prête-nom , permettant d'aller vite et de faire l'économie du Conseil d'État – et tant pis si le texte est mal écrit et non conforme – révèle les mœurs politiques qui nous attendent. Elles s'annoncent peu dignes de la hauteur des deux Assemblées de notre pays.
Tout cela a été dit, notamment dans les rappels répétés à un retour à la vraie vocation du sénat, autant de tournants dont je parlais plus haut et qui n'ont à aucun moment été pris. Un Sénat innovant , plus reconnu , qui ferait place à la bataille des idées n'est plus. Les propos de Gérard Larcher lui-même sont depuis cette nuit caduques, mais qui s'en étonnera ? Dans cette fatale nuit du 23 juillet à deux heures du matin, le Sénat s'est renié. La dénaturation humiliante du débat parlementaire a été très profondément sentie par tous en conclusion, Sénat qui a été obligé pour souscrire à la religion du vote conforme , de souscrire auparavant à la dévotion du vote accéléré . Six malheureuses voix !
Le travail du dimanche, c'est pour les autres
Il a fallu en finir vite, et pour cela se taire et laisser l'opposition se répandre. Lassitude il y a même eu avec ces votes répétitifs et monolithiques , avec un ministre et un rapporteur évacuant les réponses ou répétant avec désinvolture qu'ils avaient déjà répondu. L'impatience au cœur de ce débat aberrant s'est fait souvent jour et le si ça continue on est là jusqu'à dimanche... marquera symboliquement de son sceau les comptes-rendus, preuve dérisoire que nos sénateurs n'ont pas envie, quant à eux, de travailler le dimanche. Le travail du dimanche, c'est pour les autres, c'est pour les pauvres. La lassitude des sénateurs de la majorité était bien compréhensible puisque, animés d'aucune conviction, d'aucun questionnement, asthéniques, ils ont été réduits des heures durant à ne lever que mécaniquement les bras , ils n'étaient là en nombre que pour refuser, aux ordres, tout amendement. Six malheureuses voix !
Il s'en est pourtant trouvé pour refuser l'humiliation. André Lardeux [1] a été l'un des rares de la majorité à faire briller sa conviction, sa différence :
Et je refuse que la seule lumière qu'émet notre société s'apparente à l'enseigne lumineuse d'une galerie marchande ! Le risque est grand que le message de notre société se résume à une injonction à consommer ; injonction, a dit un philosophe, porteuse de notre propre vide. Nous serons alors prisonniers d'une rationalité à courte vue, qui valorise l'immédiateté, et dissout les structures de médiation, telle la famille. Les corps intermédiaires, déjà, sont gagnés par ce mouvement qui atteindra, j'en prends le pari, l'État lui-même. Notre société a besoin d'un supplément d'âme, et non de régulation marchande et d'argent. Avec le triomphe de l'individualisme absolutisé, nous deviendrons des sans domicile fixe au plan moral. Notre société, je le crois, a tout simplement besoin d'un peu d'humanité.
Ô Fabricius! qu'eût pensé votre grande âme ...
H. B.
Pour en savoir plus :
- Rendez-vous à la rentrée le 6 octobre 2009 pour une table ronde organisée par le Centre culturel Franklin, intitulée "Vivement dimanche !" Renseignements ici
[1] Lire l'intervention d'André Lardeux du 21 juillet 2009 : Dix raisons de dire non au travail du dimanche
Analyse du scrutin
Nombre de votants : 333
Suffrages exprimés : 324
Majorité des suffrages exprimés : 163
Pour : 165
Contre : 159
ANALYSE PAR GROUPES POLITIQUES
Groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des sénateurs du Parti de Gauche (24)
- Contre : 23
- N'a pas pris part au vote : 1 - M. Jean-Luc Mélenchon
Groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen (17)
- Pour : 4 - MM. Gilbert Barbier, Michel Charasse, Daniel Marsin, Aymeri de Montesquiou
- Contre : 11
- Abstentions : 2 - Mme Anne-Marie Escoffier, M. Jean-Pierre Plancade
Groupe Socialiste (115)
- Contre : 115
Groupe Union centriste (29)
- Pour : 19
- Contre : 4 - M. Denis Badré, Mme Jacqueline Gourault, MM. Jean-Jacques Jégou, Jean-Marie Vanlerenberghe
- Abstentions : 2 - M. Jean-Claude Merceron, Mme Catherine Morin-Desailly
- N'ont pas pris part au vote : 4 - MM. Jean Arthuis, Joseph Kergueris, Mme Anne-Marie Payet et M. Michel Mercier (membre du gouvernement)
Groupe Union pour un Mouvement Populaire (151)
- Pour : 138
- Contre : 3 - M. Alain Fouché, Mme Marie-Thérèse Hermange, M. André Lardeux
- Abstentions : 5 - MM. Michel Bécot, Alain Houpert, Pierre Jarlier, Mme Fabienne Keller, M. François Pillet
- N'ont pas pris part au vote : 5 - M. Gérard Larcher, Président du Sénat, M. Jean-Paul Alduy, Mme Béatrice Descamps, M. Ambroise Dupont et (M. Henri de Raincourt, membre du gouvernement)
- Sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe (7)
- Pour : 4
- Contre : 3 - MM. Philippe Darniche, Jean Louis Masson, Bruno Retailleau
Analyse détaillée (liste complète des votes pour et contre)
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