Source [Pierre de Lauzun] Le pape François se caractérise par une approche résolument originale. Se référant certes à la tradition, au magistère et à la Doctrine sociale, elle leur donne un tour très particulier, lié à une démarche personnelle et philosophique propre, qui aboutit à durcir certains traits de la doctrine antérieure, et à faire plus ou moins silence sur d’autres, débouchant sur un composé de tonalité et de portée nouvelles.
C’est notamment le cas sur le thème de la fraternité, envisagée sous l’angle politique, telle que l’expose l’encyclique Fratelli tutti. Un point important ici est de distinguer la ‘fraternité’ et la ‘philia’, cette forme d’amitié qui soude une communauté politique particulière selon Aristote et s’exprime par des institutions politiques. La fraternité, elle, est hors structure. Insister sur celle-ci peut conduire à relativiser celle-là. La limite de Fratelli tutti est comme on va le voir, dans sa relativisation de la communauté politique et de son organe, l’Etat. Ce qui nous permettra de mieux comprendre un autre aspect de cette encyclique, la remise en cause de la thèse classique de la guerre juste.
Les facteurs de division
Voyons d’abord ce à quoi la fraternité s’oppose. Le pape critique d’abord fermement l’individualisme, qui ne mène pas au bien commun. Au 105 : « l’individualisme ne nous rend pas plus libres, plus égaux, plus frères. La simple somme des intérêts individuels n’est pas capable de créer un monde meilleur pour toute l’humanité. […] L’individualisme radical […] nous fait croire que tout consiste à donner libre cours aux ambitions personnelles, comme si en accumulant les ambitions et les sécurités individuelles nous pouvions construire le bien commun. » La revendication de droits peut elle-même être détournée dans le mauvais sens, si elle est centrée sur le seul individu. Car (111) « la personne humaine, dotée de droits inaliénables, est de par sa nature même ouverte aux liens. L’appel à se transcender dans la rencontre avec les autres se trouve à la racine même de son être. C’est pourquoi ‘il convient de faire attention pour ne pas tomber dans des équivoques qui peuvent naître d’un malentendu sur le concept de droits humains et de leur abus paradoxal. Il y a en effet aujourd’hui la tendance à une revendication toujours plus grande des droits individuels – je suis tenté de dire individualistes –, qui cache une conception de la personne humaine détachée de tout contexte social et anthropologique, presque comme une ‘monade’ (monás), toujours plus insensible. […] Si le droit de chacun n’est pas harmonieusement ordonné au bien plus grand, il finit par se concevoir comme sans limites et, par conséquent, devenir source de conflits et de violences’ ».
Si on dépasse l’individu, on en vient à l’idée de peuple. La problématique du « peuple », au cœur des idées du pape François, est un thème majeur de l’encyclique. Ce n’est pas toujours bien compris, car le pape insiste simultanément sur la défense de la culture spécifique du peuple en question, et sur ce qu’il estime être sa nécessaire ouverture. D’un côté, dit-il, il faut s’enraciner dans cette culture et ce sentiment collectif, qu’il qualifie de ‘mythe’, en donnant au terme un sens positif (développé au 158), et dont il faut préserver la spécificité. Ainsi au 143 : « la solution ne réside pas dans une ouverture qui renonce à son trésor propre. Tout comme il n’est pas de dialogue avec l’autre sans une identité personnelle, de même il n’y a d’ouverture entre les peuples qu’à partir de l’amour de sa terre, de son peuple, de ses traits culturels ». Mais d’un autre côté, il voit ce peuple comme une entité ouverte, accueillante aux évolutions et aux nouveaux venus (102). Dès lors, dit-il au 160 : « les groupes populistes fermés défigurent le terme ‘peuple’, puisqu’en réalité ce dont il parle n’est pas le vrai peuple. En effet, la catégorie de ‘peuple’ est ouverte. Un peuple vivant, dynamique et ayant un avenir est ouvert de façon permanente à de nouvelles synthèses intégrant celui qui est différent. Il ne le fait pas en se reniant lui-même, mais en étant disposé au changement, à la remise en question, au développement, à l’enrichissement par d’autres ; et ainsi, il peut évoluer. »Le peuple n’est donc pas une entité dénie et stable, et ne doit pas l’être.
Retrouvez l'intégralité de l'article en cliquant ici
- Pédophilie : quelques réflexions à partir du ra...
- Droite, gauche : la grande confusion
- Souveraineté financière et mouvements de capitaux
- Droitisation, vraiment ?
- Articuler dette et souveraineté financière
- Indigénisme, pensée décoloniale, intersectionna...
- Du bon usage du magistère
- Saint Thomas d’Aquin et l’économie
- Dette publique : que faire ?
- Crédit et géopolitique : réflexions sur le cas...