LIBERTE POLITIQUE n° 39, hiver 2007.
Par Pierre-Olivier Ardion. L'acceptation morale de l'euthanasie s'appuie sur un postulat très postmoderne : la survalorisation du principe d'autonomie du malade aux dépens de la relation patient/médecin. Le mourant peut-il être enfermé dans la faiblesse de sa subjectivité ?
L'ACCEPTATION morale de l'euthanasie, active ou passive, s'appuie sur un postulat : l' autodisposition du malade parvenu à la fin de sa vie comme expression de sa dernière liberté . Dans nos sociétés occidentales sécularisées, la relation médicale adopte un fonctionnement de pensée que le neurologue américain Pellegrino décrit comme un algorithme moral irrésistible, le principe d'autonomie du patient : Le patient est-il compétent ? Si oui, il a un droit moral et légal de décider s'il accepte ou rejette quelque traitement qu'on lui propose. Ses choix ont priorité sur les souhaits des médecins et de sa famille. Si le patient fut un jour compétent mais ne l'est plus, il faut chercher comment s'approcher le plus de ce que le patient aurait voulu s'il avait pu décider (consentement substitué). La source de ce jugement peut être une directive anticipée (un document précis) et/ou un mandataire à qui le patient a confié ses préférences.On reconnaît à l'œuvre dans ce raisonnement un concept très prégnant dans le monde de l'éthique médicale anglo-saxonne et qui alimente de manière toujours plus soutenue la réflexion bioéthique européenne. Parce que nous ne reconnaissons plus aux valeurs morales un caractère absolu, la force de la vérité s'incline devant la liberté à laquelle nous confions le soin de choisir de manière autonome ce qui est bien ou mal. Le champ médical est naturellement l'un des grands domaines culturels où est mis à bas le lien essentiel qui unit vérité, bien et liberté.
La loi relative aux droits des malades et à la fin de vie du 22 avril 2005, comme son intitulé l'indique, participe de ce courant autonomiste puisqu'elle renforce les droits du patient, en particulier lorsqu'il est hors d'état d'exprimer sa volonté, par l'instauration de deux mesures qui s'inscrivent entièrement dans le schéma moral de Pellegrino. La première confirme le rôle de la personne de confiance dont le statut avait été initialement élaboré par la loi du 4 mars 2002 , la seconde signifie à l'équipe soignante de prendre en compte les directives anticipées du malade avant toute décision.
La fin du modèle hippocratique
Nous sommes indéniablement les témoins d'une formidable transformation de la relation médicale, qui échappe peu à peu au modèle éthique hippocratique. Qualifié de paternaliste, ce modèle met à l'œuvre un raisonnement moral de type téléologique (du grec telos, la fin, la finalité) car orienté vers le bien à faire. Il repose sur un fondement méta-éthique objectif, le principe qu'il existe un bien à rechercher qui s'impose à la fois au médecin et au malade : le rétablissement de la santé. Le médecin protège son patient de l'angoisse en se chargeant du poids de la responsabilité de la décision afin de permettre au malade de mobiliser toutes ses forces pour lutter contre leur ennemi commun : la maladie.
Le principe prioritaire qui structure ce modèle est le principe de bienfaisance à l'égard de celui qui est en état de faiblesse à la fois du fait de sa maladie et de son ignorance. Le paradigme en est la responsabilité parentale : le médecin a pour mission de veiller sur le malade comme s'il était un enfant et le malade lui-même fait confiance à son médecin comme l'enfant vis-à-vis de ses parents. On peut parler d'une responsabilité médicale de type parentale, bienveillante, asymétrique. Ce modèle atteint son maximum d'intensité et de pertinence devant l'homme malade et il fonde le paternalisme médical, explique la philosophe Suzanne Rameix : Il y a une obligation morale à se substituer au patient pour faire son bien. Le paternalisme bienfaisant peut aller jusqu'à une rétention d'information – si celle-ci est jugée trop douloureuse – pour protéger le patient. La recherche d'un consentement peut apparaître ici contraire au principe de bienfaisance, voire même comme une malfaisance, c'est-à-dire un refus de l'engagement moral, une fuite de responsabilité.Un des grands témoins de l'éthique médicale française de l'après-guerre, Louis Portes, dans un discours demeuré célèbre à l'Académie de médecine en 1950, a fixé de manière emblématique le devoir de bienfaisance hippocratique : Tout patient est et doit être pour le médecin comme un enfant à apprivoiser, non certes à tromper – un enfant à consoler, non pas à abuser – un enfant à sauver, ou simplement à guérir. Une approche qui semble à jamais révolue.
En effet, le modèle alternatif qui s'impose aujourd'hui est celui de l'autonomie du patient tel qu'il est apparu outre-Atlantique à la fin des années soixante et se répand aujourd'hui en Europe de manière toujours plus incisive. Le médecin doit considérer le malade comme une personne morale libre et égale. La réalité première qui prime ici est le respect de l'autonomie. Le malade est pleinement informé par le médecin qui est son égal dans une relation de prestataire de service. C'est un professionnel de santé, à qui le malade n'octroie guère plus qu'une sorte de pouvoir de conseil renforcé. Le patient est doté d'une égalité réelle et non plus simplement d'une égalité formelle.
Si le modèle paternaliste est centré sur le bénéfice thérapeutique, le modèle autonomiste fait du malade le responsable de la décision thérapeutique qui le concerne. La valeur première n'est pas de faire le bien du malade, mais de respecter sa liberté d'être humain qui choisit lui-même dans une négociation contractuelle. Le paradigme familier devient ici le contrat entre égaux que l'on rencontre quotidiennement dans la vie civile, comme le note Suzanne Rameix. Le fondement méta-éthique est une justification autonomique (du grec autos, soi-même ; nomos, la loi) où les hommes se considèrent comme source des normes qu'ils se donnent librement à eux-mêmes. Il s'agit de biens individuels et subjectifs ; aucun bien extérieur et objectif ne vient donner d'indication sur les choix à poser.
Nous ne nous étendrons pas sur les raisons de cette sortie de la vision hippocratique. Il est certain que le développement de l'information médicale, la démocratisation des connaissances, toutes les formes de dénonciation de l'autorité et des institutions, la dictature du relativisme éthique..., pour ne citer que quelques aspects culturels de nos démocraties postmodernes, conduisent à un effondrement de ce modèle. Le consentement individuel est bien souvent absolutisé par détestation de toute autorité.
Paradoxe : la technicisation de la médecine accuse la dépendance du malade, qui est conduit de plus en plus à s'en méfier. Il finit par en appeler à un contre-pouvoir. Devant les menaces d'atteintes invasives à son intégrité corporelle que lui fait courir la médecine hyper-spécialisée et technicisée d'aujourd'hui, il veut pouvoir s'y opposer en revendiquant sa liberté totale et sa compétence à choisir. Autonomie qui devient la source suprême et souveraine du jugement moral.
La logique anglo-saxonne
[Fin de l'extrait] ...
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* Responsable de la commission bioéthique du diocèse de Fréjus-Toulon. Dernier ouvrage paru : La Bioéthique et l'Embryon (Editions de l'Emmanuel).